Gérard Titus-Carmel – Voici une échappée (De craie) –

.
voici une échappée à ce jour dans l’horizon
ne ressemblant à aucune autre il est dit
que je m’éloigne à présent il est dit
voilà l’étendue mongole
.
pourquoi faut-il
que le récit de mon rêve
s’enchasse à ce point dans le récit
de ton rêve
.
à ce point si exactement
qu’à la fin même le compte de nos os
ne nous satisfait plus car vois-tu Taïeb
tu t’impatientes ce geste las
& violent tu balaies les agates
d’un geste qui en dit long
.
il dit ce geste
Je suis mort aux tumultes du monde
.
.
La tombée
Fata Morgana (1987)
**
Photo : Laura Tastayre
https://un-monde-a-velo.com/interview-laura-france-mongolie/
Nicolas Deleau – Epiphanies (extraits) –

1.
Et il lui dit :
Nous irons dans le Tigré.
Ce sera le matin ; la lumière baignera crue
nos gestes engourdis et l’on sentira, imperceptible,
ce frémissement que prennent parfois les paysages
familiers : un départ !
Nous embarquerons, chacun se calera pour la route.
Nous quitterons ensemble ces collines au flanc
desquelles se mêlent les échos perdus de la ville
et des hyènes. Nous longerons les routes,
interminablement, jusqu’aux plaines arides.
Mais ils étaient là, juste là; et des promesses,
tels les moutons qu’abrite l’ombre de midi,
se nichaient patientes contre leur seuil.
3.
Chargés de bidons jaunes ou rouges,
chargés de fagots de bois trois fois grands
comme les femmes qui les portent, chargés de
bâtons, de fusils, de la marche d’un troupeau,
d’un ballot de bijoux d’argent ou de sacs de
semences, de poteries, chargés – et qui cheminent.
Ici, on va.
Peuple de marcheurs, peuple en route,
peuple pastoral, à la frange – juste à la frange.
A merci.
Au moindre caprice du climat.
Peuples précaires, infiniment : portez !
Exodes sans destination. Exodes massifs,
exodes vespéraux, sous l’œil rond du soleil,
entre les ombres. Exodes en chapelets, isolés,
en familles, en bandes, en armes –
Anes de bât,
Dromadaires,
Calèches gémissantes,
Foins, bois, eau, et ce que l’on vendra plus
loin, et les rumeurs encore trop lointaines
des marchés que l’on devine,
Et les bâtons sur les épaules soutiennent les
mains fatiguées – silhouettes crucifiées, pai-
sibles – et les futas volent aux vents solaires.
Les armes brillent.
4.
J’ai vu l’argent à leurs oreilles, leurs che-
veux de jais de dentelle, le ciel de nuit posé
sur leurs peaux sombres, ceignant leurs yeux,
feux follets.
Ici, maintenant.
Et partout cette quiétude, et partout cette
sollicitude qui – digne, courtoise, distante –
bondit , mord le ventre et ne lâche plus.
9.
Dehors, la nuit s’était alourdie de brume;
j’ai marché, transi, gorge et ventre brûlants,
guettant les gros yeux jaunes des taxis sans savoir
si je cherchais à les éviter ou à les héler.
Je me souviendrai longtemps de ces vieilles
Lada bleues et blanches, brinquebalantes,
empestant l’essence et grimpant crachotantes
-étemels derniers râles – jusqu’aux pentes
sans lumière de nos quartiers.
Havres d’un soir.
Le confort d’un siège défoncé, mais au sec;
un peu de musique; la main paisible d’un guide
qui lâche un instant le volant et cherche,
dans le noir, une tige de khat dans le gros
bouquet posé à la place du mort.
Je serai bientôt chez nous. Je me blottirai
contre toi et te raconterai, demain,
cette sourde envie de pleurer qui m’étreint.
.
Revue apulée 2016
.1 Galaxies identitaires
p 182-191
traduit en amharique par Brooke Beyene et François Morand
Ici, texte intégral avec sa traduction en amharique
lire également quelques reflexions sur la traduction en amharique des Epiphanies de Pierre Deleau
Prémices – (Susanne Derève) –

.
Ce qui importait était le voyage
ventre du futur
autre temps autre lieu
qui nous réunirait
**
Les noms des villes empreints
de douceur
claquaient parfois
la langue la nôtre était impuissante
à en reproduire les inflexions
alors que sa musique d’autrefois
chantait encore à nos oreilles
**
Retrouver les bruits les voix
les klaxons le vacarme
et le ton de ce verbe inconnu qui résonne
navigue doucement dans l’aigu du rire
.
Jorge Carrera Andrade – Les amitiés quotidiennes

Fenêtres, portes, lucarnes : amies intimes,
complices de mon évasion quotidienne,
messagères d’un monde clair et agile
qui pose sur les meubles son éclatant reflet.
La fenêtre est invitation incessante au voyage :
son fleuve d’air et de lumière débouche dans le ciel.
Dans ses profondeurs transparentes
plus d’un rêve a naufragé.
La porte évite ma présence et me laisse passer
dans l’éternelle attitude roide du soldat.
Ne déjouent sa consigne
que le jour et l’air.
Avec sa corde de lumière
la lucarne me hisse jusqu’au bord du ciel.
Les nuages et les pigeons domestiques
s’approchent en leur voyage de sa bouche de puits.
extrait de l’anthologie « poètes d’aujourd’hui ( Seghers )
Sculpture – collage – dentelles – ( RC )

Nous voilà transportés à la plage
dans une écume beige
toute en dentelles.
Il y a cette demoiselle
sur fond de galaxies
parmi les tourbillons de neige,
avec ce ciel à la Pollock
qui fait un peu toc !:
c’est donc le grand départ
de l’histoire de l’art
qui s’en va visiter d’autres continents;
( ayant acquitté les frais de son voyage )
avant de se trouver prisonnière
dans les filaments gluants
de ton collage:
on la voit comme étrangère
à sa future mutation :
est-elle candidate à l’immigration
après avoir survécu pendant un millénaire
elle qui a été retrouvée sous la mer –
pour être exposée dans un musée
sans même l’avoir demandé ?
C’est que l’aventure esthétique continue
dans un monde qu’elle n’a pas connu
et ne connaîtra jamais
( mais ça… c’est ton secret ) !
–
collage Cathy Garcia Canalès
Tioman, soir de mousson – (Susanne Derève) –

Pluie acre des moussons ressac, pluie sur les toits et pluie sur les manguiers un air de reggae dans la nuit et sous l'ampoule nue , le refrain du marteau écrasant le métal, caisses, roues , guidons tôles froissées qu'avale la lagune le cri de l'oie et celui du crapaud pluie d'ombres pluie sans lune qu'effaceront les matins innocents de leurs eaux de turquoise, et dans le lit des vagues les ciels d'armoise rouge du couchant
.


.
extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)
( partage de Susanne)
Retour – ( Susanne Derève ) –

L'hiver nous pose sur la rive dans un coin du foyer , - bleus vestiges du voyage -, nous voguons désormais à l'amble d'un feu de bois vaguement ivres encore de la traversée. Je cherche un mot pour nommer le navire que la lame porta sur la plage, le chemin harassé du retour, l'échine grise de notre toit à l'horizon. Ta main dresse à présent le bois de cheminée, et de ton souffle naît le feu. Chuchote-moi les mots : antre, abri, vaisseau, la bûche est un bras mort, un bardeau de lumière qui sombre au fond de l'âtre, aisselle noire d'où jaillit plus vive la flamme, la lame rouge du tison par ta bouche avivée qu'enfante l'étincelle, fleur avide, lèvre dévorante, l'encre de son masque fiévreux sur nos peaux, dans nos verres sa figure riante, son ombre affamée sur les murs, elle, qui fut doigt divin, poussière, silex, cendre où couve sous la pierre jusqu'au matin la rouge braise.
Tioman l’endormie – (Susanne Derève) –

.
A Tioman, le temps n’a guère d’importance
seuls les nuages passent
Les hommes attendent que la pluie vienne
ou bien qu’elle cesse
avec l’indifférence de ceux qui ne possèdent
rien d’autre que le soleil
le chant des vagues et l’eau du ciel
***
A Tioman, des chats faméliques hantent les rues
avec la même démarche lasse que les hommes,
Ils n’attendent rien, les chats, les hommes ,
que quelques miettes et ce qu’offre le ciel :
la morsure du soleil et la pluie des moussons,
pluie insensée à leurs oreilles
qui martèle inlassablement les toits de tôle,
efface les bruits du monde, et s’insinue
dans leur sommeil
.
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extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)
( voir partage de Susanne)

Petit-matin aux Perenthians – (Susanne Derève)

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Les voix du ciel tirent le mécréant du sommeil
vers 5 heures du matin
Quand elles s’éteignent , reste le bruit des vagues
et des climatiseurs
un rêve de turquoise , et les dents acérées
d’un baliste moqueur creusant son nid ,
indifférent aux bruits du monde .
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extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022) ( voir partage de Susanne)
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Perhentians – ( Susanne Derève)

Iles Perhentians – Malaisie
A l’heure où résonne l’appel à la prière
tu te fais fantôme,
épousant frileusement la mer de tes sombres foulards,
elle, que j’embrasse à pleine poitrine,
et qui me rend au centuple sa monnaie de lumière,
ses ors, ses turquoises, ses poissons chamarrés
et ses doigts de corail, son sable de fine farine,
la chape étincelante du ciel à midi.
.
Quand sonne le muezzin du couchant,
les dernières barques gagnent le port pour y jeter l’amarre.
Les pourpres noient la mer de Chine,
de fins nuages blancs étêtent les montagnes
et la nuit tend ses voiles , la nuit
est ta compagne.
.
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extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022) ( voir partage de Susanne)
Un Janus en état de marche – ( RC )

Janus ( sculpture de Max Ernst )
–
Janus est là, qui nous regarde
de ses yeux ronds.
On ne saura jamais
si le double de son visage
apparaît derrière son dos.
Son corps de rectangle
a plutôt l’aspect
d’une planche à découper.
Incrustées à la verticale
deux coquilles Saint-Jacques
pour le voyage initiatique
qui l’emmènera
plus loin qu’on ne le pense,
( amulettes précieuses
nous rappelant que la mer
n’est jamais loin ).
Une petite tortue,
qui lui sert de bourse,
est aussi du voyage.
Elle évolue au rythme
éternellement lent
du marcheur .
En effet Janus
semble être immobilisé,
les deux pieds soudés
sur une plaque de bronze.
Mais comme la tortue,
l’espérance est le guide
le rapprochant du terme
de son pèlerinage.
L’important n’est pas d’arriver,
mais de partir à point….
Le terme du voyage (sur une peinture de N De Staël ) – (RC )

C’est au sommet de la montée
que se joue le terme du voyage .
L’horizon nous est caché,
mais on peut le deviner
derrière la pente.
La colline se divise en deux parties
nettement opposées :
le couteau d’ombre a tranché
dans les plages de lumière,
et les arbres, dont on ne voit que la tête
opposent au vent leur silhouette
juste avant la descente.
Si j’emprunte ce chemin
plus aride que le ciel désert
sans savoir où il conduit,
ne me mène-t-il pas tout droit
dans la vallée de pierres
du pays d’effroi
où le Blanc sombre dans un Noir
qui n’a pas de fin ?
quand je bascule de l’autre côté
de ce paysage illusoire
où s’égarent les repères …
Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
Renaître et revenir à son point de départ – ( RC )

S’il faut jouer à pile ou face
je n’ai rien décidé de mon destin…
je vais me prendre en main
( impair ou passe )
pour décider de mon voyage,
mais la terre est-elle ronde ou plate ?
Je commence à la parcourir sans hâte
avec très peu de bagages.
S’il faut débuter par son lieu de naissance
chaque foulée m’en éloigne au fur et à mesure
gagnant en envergure
pour retrouver mon innocence ;
je sème au passage quelques pierres
histoire de retrouver mon chemin
en suivant les méridiens :
on se demande à quoi ça sert:
peut-être à retrouver la mémoire
quand on égraine les kilomètres
est-ce ainsi renaître
que revenir à son point de départ ?
Jean-Michel Espitallier- Land (Appoggiature)

.
Vous reveniez de contrées fort lointaines.
Dans vos regards, le long ruban des régions traversées
montrait des choses mal connues.
Ç’avait été un pays de manufacturiers bossus.
Le chiendent des prairies masquait un peu l’emplacement
de très anciennes villes (on distinguait les traces d’un clocher ;
des viaducs, des tourelles, des mâchicoulis effondrés
dormaient au fond d’un lac).
Sous les joncs, quelqu’un avait trouvé des cheminées d’usines.
Des claies abandonnées vibraient dans les plis d’un talus.
Vous nous parliez aussi d’anciennes plâtrières, d’un four à chaux,
d’une fabrique et de quatre ou cinq forges refroidies.
Des vents charriant des odeurs de bassins et de planches
rembourraient tous les bruits.
Les forêts sentaient la rouille et le carton humide.
Près d’un lavoir, des bêtes étaient venues se rafraîchir.
Vous certifiiez avoir vu dans la vase l’étreinte
de leurs griffes.
La marquise d’une gare, des pendules, une armoire crevée
s’enfonçaient lentement sous des haies de mûriers.
Comme vous traversiez un long champ de rhubarbe, quelqu’un
dans l’équipage avait montré du doigt
des choses un peu particulières.
Vous ne nous dîtes rien à leur sujet.
.
Ponts de Frappe
Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne
Elle disait – (Susanne Derève) –

Elle balançait son pas léger sur le pavé des rues et ses cheveux flottaient comme d’anciennes voiles avec leur lien de chanvre abandonné au vent Elle disait: Je m’en vais pour longtemps et son regard brillait du fol émoi qui gouverne les rêves habillait l’horizon de palais de lumière tandis que j’y voyais lever un éternel hiver Elle disait je m’en vais dans son oeil tremblait le reflet des lagunes … et j'y noyais mon infortune
Ingeborg Bachmann – Le monde est vaste et nombreux sont les chemins –

Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de
pays en pays,
je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,
de toutes les tours j’ai vu des villes,
les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.
Vastes étaient les champs de soleil et de neige,
entre rails et rues, entre montagne et mer.
Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à
mon oreille
elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.
D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,
quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes
cheveux mouillés.
Le voyage est fini,
pourtant je n’en ai fini de rien,
chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,
chaque lumière m’a consumé un œil,
à chaque ombre se sont déchirés mes atours.
Le voyage est fini.
À chaque lointain je suis encore enchaînée,
pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières
pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,
n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,
n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager…
Je sais le monde plus proche et silencieux.
Derrière le monde il y aura un arbre
aux feuilles de nuages
et à la cime d’azur.
Dans son écorce en ruban rouge de soleil
le vent taille notre cœur
et le rafraîchit de rosée.
Derrière le monde il y aura un arbre,
à sa cime un fruit
dans une peau en or.
Regardons de l’autre côté
quand à l’automne du temps,
dans les mains de Dieu il roulera !
Die Welt ist weit und die Wege von Land zu Land,
und der Orte sind viele, ich habe alle gekannt,
ich habe von allen Türmen Stadte gesehen,
die Menschen, die kommen werden und die schon gehen.
Weit waren die Felder von Sonne und Schnee,
zwischen Schienen und Straβen, zwischen Berg und See.
Und der Mund der Welt war weit und voll Stimmen an
meinem Ohr
und schrieb, noch des Nachts, die Gesänge der Vielfalt
vor.
Den Wein aus fünf Bechern trank ich in einem Zuge aus,
mein nasses Haar trocknen vier Winde in ihrem
wechselnden Haus.
Die Fahrt ist zu Ende,
doch ich bin mit nichts zu Ende gekommen,
jeder Ort hat ein Stück von meinem Lieben genommen,
jedes Licht hat mir ein Aug verbrannt,
in jedem Schatten zerriβ mein Gewand.
Die Fahrt ist zu Ende.
Noch bin ich mit jeder Ferne verkettet,
doch kein Vogel hat mich über die Grenzen gerettet,
kein Wasser, das in die Mündung zieht,
treibt mein Gesicht, das nach unten sieht,
treibt meinen Schlaf, der nicht wandern will…
Ich weiβ die Welt näher und still.
Hinter der Welt wird ein Baum stehen
mit Blättern aus Wolken
und einer Krone aus Blau.
In seine Rinde aus rotem Sonnenband
schneidet der Wind unser Herz
und kühlt es mit Tau.
Hinter der Welt wird ein Baum stehen,
eine Frucht in den Wipfeln,
mit einer Schale aus Gold.
Laβ uns hinübersehen,
wenn sie im Herbst der Zeit
in Gottes Hände rollt !
Toute personne qui tombe
a des ailes
Poèmes 1942-1967
Traduction de l’allemand (Autriche)
par Françoise Rétif
Nrf Poésie /Gallimard
Les clefs de la maison – ( RC )

Des générations se sont succédé,
dans la vieille maison.
Imagine alors les décennies,
où des portes se sont ouvertes et closes,
les secrets scellés,
derrière le silence
ou les coffres muets
aux serrures bien huilées.
On a perdu bien des choses,
comme les arômes des roses,
et des outils
dont on ne connaît plus l’usage.
Dans un fond du tiroir du vaisselier,
se sont entassées toutes sortes de clefs,
qui ont résisté au passé,
mais ne permettent plus de l’ouvrir.
J’en ai trouvé de toutes sortes:
des lourdes et des longues,
des fines et des plates,
de toutes petites aussi.
J’ai pensé que certaines s’adaptaient
à un cadenas, une autre à un coffret à bijoux.
Clefs rouillées, clefs égarées,
qu’est-ce qui vous rassemble ?
Aucune d’elles n’a plus d’utilité :
je les imagine dans un tableau de Magritte,
ne permettant d’entrer
que dans les nuages .
Je trouve, parmi toutes ces clefs,
celles que des amis m’avaient confié,
avant qu’ils ne déménagent
pour leur dernier voyage….
Peut-être trouverai-je parmi
celles qui me restent
la clef du paradis
( on m’y aurait réservé une place ).
Reste à savoir laquelle
aura des ailes ,
quand ce sera mon tour
un petit tour, et puis s’en va ….
Faut s’en faire une raison :
je n’aurai pas besoin , pour la maison
de la fermer à double tour ,
( je garderai toujours la clef de ton amour ) .


Basho -La pièce perdue
–
La pièce perdue dans la rivière se trouve dans la rivière
Le soleil et la lune sont des voyageurs dans l’éternité.
Même les années sont errantes.
Pour ceux dont la vie est sur les eaux
ou qui conduisent un cheval au fil des ans
chaque jour est un voyage
et le voyage lui-même est la maison .
– Basho
( tentative de traduction RC à partir de l’anglais )
The Coin Lost In The River Is Found In The River
The sun and moon are travelers in eternity.
Even the years are wanderers.
For those whose life is on the waters or leading a horse through the years
each day is a journey and the journey itself is home
–
Le parfum de l’absence – (Susanne Derève)

Max Ernst – Frottage
L’absence a ce matin une odeur de sarriette
et de menthe
Hirondelle lutine que tu dessines
légère
entre les bras du temps
est-ce un tourment le beau tourment du jour
un tango de printemps où versent
les automnes
et la voix qui chantonne son accent de velours
sait-il le parfum de l’absence
les feuilles clairsemées que l’arbre abandonne
au grand vent aux gants de brume de l’hiver
avec ses cheminées de nuages
le tambourin des toits de zinc sous la pluie
et la voix qui claironne sait-elle
l’odeur du bois coupé
les mains qui s’affairent au dehors
le heurt des bûches qu’on entasse
pendant que l’esprit baguenaude
loin si loin plus loin que le froissement
d’ailes d’un oiseau migrateur,
plus loin que le cliquetis des rails le sourd balancement
d’un wagon sur les rails paysages brouillés
de vallons d’arbres de bosquets
qu’on déroulerait sans fin
dont on ne dirait ni le nom ni l’odeur
ni la matière rugueuse ou lisse
ou lisse et douce sous le doigt
Et la voix qui fredonne, sait-elle le grain du bois
écharde fine sous la peau
Sait-elle l’aiguillon de l’attente
ce parfum entêtant de sarriette
et de menthe que j’invoque tout bas
Pierre Béarn – les clefs du voyage
peinture : Jozsef Rippl-Ronai
J’apportai les clefs du voyage
à la prisonnière effrayée
de se découvrir vulnérable…
Négligeant l’azur arraché
qui parait d’attraits la magie
l’éléphant piétina les roses.
Quand tu partis vêtue de nuit
serrant ton cœur telle une lampe
éclairant ta honte soumise
l’éléphant n’aimait plus les roses.
Karel Logist – Force d’inertie
image Sara Dunn
J’emporte en voyage deux montres
l’une marque l’heure de mon départ
l’autre semble indiquer celle de mon retour
Vous le savez mieux que moi:
les belles étrangères
si accueillantes aux étrangers
sont rarement ponctuelles en amour
C’est pourquoi j’ignore toujours
laquelle de mes montres retarde
et pour qui mes fuseaux horaires
se déhanchent
ainsi que sur des airs de danse.
Franchir le seuil – ( RC )
C’est encore loin,
( je n’envisage pas encore le voyage ),
mais tu as franchi le seuil,
tout à coup, – là -,
sous tes pieds
et ton visage s’est fondu dans les ténèbres ,
délaissant la lumière,
soudain inutile.
Ou peut-être, inversement,
l’as-tu bue,
la lumière , entièrement,
pour nous laisser la nuit ,
rapetissés.
Alors que s’étend devant toi
l’immensité, et son inconnu,
toi – devenue invisible à nos yeux.
–
RC – août 2017
Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste
peinture: Arpad Szenes
Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal
Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie
L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?
Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.
Tes mots revenus – ( RC )
J’ai emporté les mots que tu m’as glissé à l’oreille,
je les ai confiés aux ,
afin qu’ils voyagent,
et qu’ils les racontent à leur façon…
Je suis le passeur des phrases, celles qui sont dites,
et celles qui ne le sont pas.
Un jour, comme je l’ai vu,
( ou plutôt, comme je les ai entendus,
les mésanges sont venues frapper à ma fenêtre ) :
c’est qu’elles avaient sans doute
une réponse à me donner, et le récit de ton voyage .
J’ai essayé de l’interpéter à ma façon,
et les mots pensés,
ont ainsi continué leur voyage,
dans ma tête peut-être,
en donnant naissance à d’autres écrits .
C’est que tu parles un peu en moi…
–
RC – avr 2017
( réponse à Anna Jouy : voir les mots partis )