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Articles tagués “voyage

Gérard Titus-Carmel – Voici une échappée (De craie) –


Mongolie – photo Laura Tastayre (Terra Wairua)

.

voici une échappée à ce jour dans l’horizon

ne ressemblant à aucune autre     il est dit

que je m’éloigne à présent        il est dit

voilà l’étendue mongole

.

pourquoi faut-il

que le récit de mon rêve

s’enchasse à ce point dans le récit

de ton rêve

.

à ce point si exactement

qu’à la fin même le compte de nos os

ne nous satisfait plus      car vois-tu Taïeb

tu t’impatientes     ce geste las

& violent      tu balaies les agates

d’un geste qui en dit long

.

il dit ce geste

Je suis mort aux tumultes du monde

.

.

La tombée

Fata Morgana (1987)

**

Photo : Laura Tastayre

https://un-monde-a-velo.com/interview-laura-france-mongolie/


Nicolas Deleau – Epiphanies (extraits) –


Photo Eric Tourneret – Les routes du miel (Ethiopie)

1.
Et il lui dit :
Nous irons dans le Tigré.
Ce sera le matin ; la lumière baignera crue
nos gestes engourdis et l’on sentira, imperceptible,
ce frémissement que prennent parfois les paysages
familiers : un départ !

Nous embarquerons, chacun se calera pour la route.

Nous quitterons ensemble ces collines au flanc
desquelles se mêlent les échos perdus de la ville
et des hyènes. Nous longerons les routes,
interminablement, jusqu’aux plaines arides.

Mais ils étaient là, juste là; et des promesses,
tels les moutons qu’abrite l’ombre de midi,
se nichaient patientes contre leur seuil.

3.
Chargés de bidons jaunes ou rouges,
chargés de fagots de bois trois fois grands
comme les femmes qui les portent, chargés de
bâtons, de fusils, de la marche d’un troupeau,
d’un ballot de bijoux d’argent ou de sacs de
semences, de poteries, chargés – et qui cheminent.

Ici, on va.
Peuple de marcheurs, peuple en route,
peuple pastoral, à la frange – juste à la frange.
A merci.
Au moindre caprice du climat.
Peuples précaires, infiniment : portez !

Exodes sans destination. Exodes massifs,
exodes vespéraux, sous l’œil rond du soleil,
entre les ombres. Exodes en chapelets, isolés,
en familles, en bandes, en armes –
Anes de bât,
Dromadaires,
Calèches gémissantes,
Foins, bois, eau, et ce que l’on vendra plus
loin, et les rumeurs encore trop lointaines
des marchés que l’on devine,

Et les bâtons sur les épaules soutiennent les
mains fatiguées – silhouettes crucifiées, pai-
sibles – et les futas volent aux vents solaires.
Les armes brillent.

4.

J’ai vu l’argent à leurs oreilles, leurs che-
veux de jais de dentelle, le ciel de nuit posé
sur leurs peaux sombres, ceignant leurs yeux,
feux follets.
Ici, maintenant.
Et partout cette quiétude, et partout cette
sollicitude qui – digne, courtoise, distante –
bondit , mord le ventre et ne lâche plus.

9.

Dehors, la nuit s’était alourdie de brume;
j’ai marché, transi, gorge et ventre brûlants,
guettant les gros yeux jaunes des taxis sans savoir
si je cherchais à les éviter ou à les héler.
Je me souviendrai longtemps de ces vieilles
Lada bleues et blanches, brinquebalantes,
empestant l’essence et grimpant crachotantes
-étemels derniers râles – jusqu’aux pentes
sans lumière de nos quartiers.
Havres d’un soir.
Le confort d’un siège défoncé, mais au sec;
un peu de musique; la main paisible d’un guide
qui lâche un instant le volant et cherche,
dans le noir, une tige de khat dans le gros
bouquet posé à la place du mort.

Je serai bientôt chez nous. Je me blottirai
contre toi et te raconterai, demain,
cette sourde envie de pleurer qui m’étreint.

.

Revue apulée 2016
.1 Galaxies identitaires
p 182-191
traduit en amharique par Brooke Beyene et François Morand

Ici, texte intégral avec sa traduction en amharique

lire également quelques reflexions sur la traduction en amharique des Epiphanies de Pierre Deleau



	

Prémices – (Susanne Derève) –


Hanoï – 2016

.

Ce qui importait était le voyage

ventre du futur

autre temps autre lieu

qui nous réunirait

              **

Les noms des villes empreints

de douceur

claquaient parfois

la langue la nôtre était impuissante

à en reproduire les inflexions

alors que sa musique d’autrefois

chantait encore à nos oreilles

             **

Retrouver les bruits les voix                                 

les klaxons le vacarme

et le ton de ce verbe inconnu qui résonne

navigue doucement dans l’aigu du rire

.


Jorge Carrera Andrade – Les amitiés quotidiennes


Fenêtres, portes, lucarnes : amies intimes,
complices de mon évasion quotidienne,
messagères d’un monde clair et agile
qui pose sur les meubles son éclatant reflet.

La fenêtre est invitation incessante au voyage :
son fleuve d’air et de lumière débouche dans le ciel.
Dans ses profondeurs transparentes
plus d’un rêve a naufragé.

La porte évite ma présence et me laisse passer
dans l’éternelle attitude roide du soldat.
Ne déjouent sa consigne
que le jour et l’air.

Avec sa corde de lumière
la lucarne me hisse jusqu’au bord du ciel.
Les nuages et les pigeons domestiques
s’approchent en leur voyage de sa bouche de puits.

extrait de l’anthologie « poètes d’aujourd’hui ( Seghers )


Sculpture – collage – dentelles – ( RC )


Nous voilà transportés à la plage
dans une écume beige
toute en dentelles.
Il y a cette demoiselle
sur fond de galaxies
parmi les tourbillons de neige,
avec ce ciel à la Pollock
qui fait un peu toc !:

c’est donc le grand départ
de l’histoire de l’art
qui s’en va visiter d’autres continents;
( ayant acquitté les frais de son voyage )
avant de se trouver prisonnière
dans les filaments gluants
de ton collage:


on la voit comme étrangère
à sa future mutation :

est-elle candidate à l’immigration
après avoir survécu pendant un millénaire

elle qui a été retrouvée sous la mer –
pour être exposée dans un musée
sans même l’avoir demandé ?
C’est que l’aventure esthétique continue
dans un monde qu’elle n’a pas connu
et ne connaîtra jamais
( mais ça… c’est ton secret ) !


collage Cathy Garcia Canalès


Tioman, soir de mousson – (Susanne Derève) –


Soir de mousson , Tekek (photo RC)
Pluie acre des moussons 
ressac, pluie sur les toits et pluie sur les manguiers
un air de reggae dans la nuit
et sous l'ampoule nue , le refrain du marteau
écrasant le métal, caisses, roues , guidons
tôles froissées  qu'avale la lagune

le cri de l'oie et celui du crapaud
pluie d'ombres pluie sans lune
qu'effaceront les matins innocents 
de leurs eaux de turquoise, 
et dans le lit des vagues les ciels d'armoise rouge 
du couchant

.

.

extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)

( partage de Susanne)


Retour – ( Susanne Derève ) –


Yves Klein – Fire color 30
L'hiver nous pose sur la rive 
dans un coin du foyer ,
 - bleus vestiges du voyage -,
nous voguons désormais à l'amble d'un feu de bois
vaguement ivres encore de la traversée.   
                                                                                                                                                                         
Je cherche un mot pour nommer 
le navire que la lame porta sur la plage,
le chemin harassé du retour, l'échine grise de notre toit 
à l'horizon.                                                                            
Ta main dresse à présent le bois de cheminée,                           
et de ton souffle naît le feu.                                                      
                                                                                      
Chuchote-moi les mots :
antre, abri, vaisseau,        
la bûche est un bras mort,                                                                      
un bardeau de lumière qui sombre au fond de l'âtre, 
aisselle noire d'où jaillit plus vive la flamme,  
la lame rouge du tison par ta bouche avivée                                                                                                                                                                            
                                                                                                            
qu'enfante l'étincelle, fleur avide, 
lèvre dévorante,                                                                                 
l'encre de son masque fiévreux sur nos peaux,                               
dans nos verres sa figure riante,                                                                                                                                 
son ombre affamée sur les murs, 
                                            
elle, qui fut doigt divin, poussière, 
silex, cendre                                                              
où couve sous la pierre jusqu'au matin
la rouge braise.  




Tioman l’endormie – (Susanne Derève) –


Kuala Besut (Malaisie) – photo RC

.

A Tioman, le temps n’a guère d’importance

seuls les nuages passent

Les hommes attendent que la pluie vienne

ou bien qu’elle cesse

avec l’indifférence de ceux qui ne possèdent

rien d’autre que le soleil

le chant des vagues et l’eau du ciel

***

A Tioman, des chats faméliques hantent les rues

avec la même démarche lasse que les hommes,

Ils n’attendent rien, les chats, les hommes ,

que quelques miettes et ce qu’offre le ciel :

la morsure du soleil et la pluie des moussons,

pluie insensée à leurs oreilles

qui martèle inlassablement les toits de tôle,

efface les bruits du monde, et s’insinue

dans leur sommeil

.

.

extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)

( voir partage de Susanne)

Tioman , chaton – photo RC

Petit-matin aux Perenthians – (Susanne Derève)


Baliste (photo web)

.

Les voix du ciel tirent le mécréant du sommeil

vers 5 heures du matin

Quand elles s’éteignent , reste le bruit des vagues

et des climatiseurs

un rêve de turquoise , et les dents acérées

d’un baliste moqueur creusant son nid ,

indifférent aux bruits du monde .

.

.

extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022) ( voir partage de Susanne)

.


Perhentians – ( Susanne Derève)


Iles Perhentians – Malaisie

A l’heure où résonne l’appel à la prière

tu te fais fantôme,

épousant frileusement la mer de tes sombres foulards,

elle, que j’embrasse à pleine poitrine,

et qui me rend au centuple sa monnaie de lumière,

ses ors, ses turquoises, ses poissons chamarrés

et ses doigts de corail, son sable de fine farine,

la chape étincelante du ciel à midi.

.

Quand sonne le muezzin du couchant,

les dernières barques gagnent le port pour y jeter l’amarre.

Les pourpres noient la mer de Chine,

de fins nuages blancs étêtent les montagnes

et la nuit tend ses voiles , la nuit

est ta compagne.

.

.

.

extrait de Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022) ( voir partage de Susanne)


Un Janus en état de marche – ( RC )


Janus                              ( sculpture  de Max Ernst )     

Janus est là, qui nous regarde
de ses yeux ronds.
On ne saura jamais
si le double de son visage
apparaît derrière son dos.
Son corps de rectangle
a plutôt l’aspect
d’une planche à découper.
Incrustées à la verticale
deux coquilles Saint-Jacques
pour le voyage initiatique
qui l’emmènera
plus loin qu’on ne le pense,
( amulettes précieuses
nous rappelant que la mer
n’est jamais loin ).

Une petite tortue,
qui lui sert de bourse,
est aussi du voyage.
Elle évolue au rythme
éternellement lent
du marcheur .


En effet Janus
semble être immobilisé,
les deux pieds soudés
sur une plaque de bronze.
Mais comme la tortue,
l’espérance est le guide
le rapprochant du terme
de son pèlerinage.
L’important n’est pas d’arriver,
mais de partir à point….


Le terme du voyage (sur une peinture de N De Staël ) – (RC )


Peinture Nicolas de Staël – la route d’Uzès – 1954

C’est au sommet de la montée
que se joue le terme du voyage .
L’horizon nous est caché,
mais on peut le deviner
derrière la pente.
La colline se divise en deux parties
nettement opposées :
le couteau d’ombre a tranché
dans les plages de lumière,
et les arbres, dont on ne voit que la tête
opposent au vent leur silhouette
juste avant la descente.


Si j’emprunte ce chemin
plus aride que le ciel désert
sans savoir où il conduit,
ne me mène-t-il pas tout droit
dans la vallée de pierres
du pays d’effroi
où le Blanc sombre dans un Noir
qui n’a pas de fin ?
quand je bascule de l’autre côté
de ce paysage illusoire
où s’égarent les repères …


Philippe Delaveau – marcher


Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.

Ses bottes malmènent les fleurs,

l’herbe aux rêves de voyage.

Puis le petit village près d’un bois.

L’harmonica d’une eau rapide qui se cache

pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux

entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.

Entendre alors la persuasion très tendre

et douce d’un oiseau qui solfie les mesures

d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout

dans la perfection pure et simple du silence.


Renaître et revenir à son point de départ – ( RC )


S’il faut jouer à pile ou face
je n’ai rien décidé de mon destin…
je vais me prendre en main
( impair ou passe )
pour décider de mon voyage,
mais la terre est-elle ronde ou plate ?
Je commence à la parcourir sans hâte
avec très peu de bagages.
S’il faut débuter par son lieu de naissance
chaque foulée m’en éloigne au fur et à mesure
gagnant en envergure
pour retrouver mon innocence ;
je sème au passage quelques pierres
histoire de retrouver mon chemin
en suivant les méridiens :
on se demande à quoi ça sert:
peut-être à retrouver la mémoire
quand on égraine les kilomètres
est-ce ainsi renaître
que revenir à son point de départ ?


Jean-Michel Espitallier- Land (Appoggiature)


Robert Juniper – Sculptures by the sea

.

Vous reveniez de contrées fort lointaines.

Dans vos regards, le long ruban des régions traversées

montrait des choses mal connues.

Ç’avait été un pays de manufacturiers bossus.

Le chiendent des prairies masquait un peu l’emplacement

de très anciennes villes (on distinguait les traces d’un clocher ;

des viaducs, des tourelles, des mâchicoulis effondrés

dormaient au fond d’un lac).

Sous les joncs, quelqu’un avait trouvé des cheminées d’usines.

Des claies abandonnées vibraient dans les plis d’un talus.

Vous nous parliez aussi d’anciennes plâtrières, d’un four à chaux,

d’une fabrique et de quatre ou cinq forges refroidies.

Des vents charriant des odeurs de bassins et de planches

rembourraient tous les bruits.

Les forêts sentaient la rouille et le carton humide.

Près d’un lavoir, des bêtes étaient venues se rafraîchir.

Vous certifiiez avoir vu dans la vase l’étreinte

de leurs griffes.

La marquise d’une gare, des pendules, une armoire crevée

s’enfonçaient lentement sous des haies de mûriers.

Comme vous traversiez un long champ de rhubarbe, quelqu’un

dans l’équipage avait montré du doigt

des choses un peu particulières.

Vous ne nous dîtes rien à leur sujet.

.

Ponts de Frappe

Biennale Internationale des Poètes en Val-de-Marne


Elle disait – (Susanne Derève) –


– photo SD –
Elle balançait son pas léger sur le pavé 
des rues 
et ses cheveux flottaient 
comme d’anciennes voiles 
avec leur lien de chanvre abandonné au vent 

Elle disait:
Je m’en vais pour longtemps
et son regard brillait du fol émoi 
qui gouverne les rêves
habillait l’horizon de palais de lumière 

tandis que j’y voyais lever un éternel hiver 
Elle disait je m’en vais 
dans son oeil tremblait le reflet des lagunes …

et j'y noyais mon infortune

Louis Brauquier – Liberté des mers-


René Génis – Marine –




L’homme passe sa vie à lancer des amarres,
Puis, quand il est saisi dans le calme du port,
Pour peu qu’à l’horizon une fumée l’appelle,
Il regrette à nouveau la liberté des mers ;

La liberté des mers, avec leur solitude,
Qui parleront toujours au sel de notre sang,
Où, plus que le printemps enchanteur de la terre, 
Tardif est l’alizé pour le coeur qui l’attend.

(Eau douce pour navires)



Peut-être un vieux regret des migrations lentes 
Et le goût de l’ouest aux naseaux du matin ;

Peut-être un rire une promesse enchanteresse d’îles,
Faite à  mi-voix par un voyageur imprécis ;

Ou quelqu’ennui au long de corridors trop vastes 
De la similitude évasive des jours;

Ou la mission d’appareiller une tristesse 
Secrète qu’un ami me confie sans parler,

Me donnent ce désir de voir, un jour encore, 
Autour du pont mouillé d’un vapeur du commerce

La pluie tomber sur l’océan Pacifique.

(Liberté des  mers)



Louis Brauquier

Anthologie de la poésie française du XXe siècle

nrf Poésie/Gallimard


Ingeborg Bachmann – Le monde est vaste et nombreux sont les chemins –


ARKHIP KUINDZHI – Field-

Le monde est vaste et nombreux sont les chemins de

    pays en pays,

je les ai tous connus, ainsi que les lieux-dits,

de toutes les tours j’ai vu des villes,

les êtres qui viendront et qui déjà s’en vont.

Vastes étaient les champs de soleil et de neige,

entre rails et rues, entre montagne et mer.

Et la bouche du monde était vaste et pleine de voix à

    mon oreille

elle prescrivait, de nuit encore, les chants de la diversité.

D’un trait je bus le vin de cinq gobelets,

quatre vents dans leur maison changeante sèchent mes

   cheveux mouillés.

 

Le voyage est fini,

pourtant je n’en ai fini de rien,

chaque lieu m’a pris un fragment de mon amour,

chaque lumière m’a consumé un œil,

à chaque ombre se sont déchirés mes atours.

 

Le voyage est fini.

À chaque lointain je suis encore enchaînée,

pourtant aucun oiseau ne m’a fait franchir les frontières

pour me sauver, aucune eau, coulant vers l’estuaire,

n’entraîne mon visage, qui regarde vers le bas,

n’entraîne mon sommeil, qui ne veut pas voyager…

Je sais le monde plus proche et silencieux.

 

Derrière le monde il y aura un arbre

aux feuilles de nuages

et à la cime d’azur.

Dans son écorce en ruban rouge de soleil

le vent taille notre cœur

et le rafraîchit de rosée.

 

Derrière le monde il y aura un arbre,

à sa cime un fruit

dans une peau en or.

Regardons de l’autre côté

quand à l’automne du temps,

dans les mains de Dieu il roulera !

 

Die Welt ist weit und die Wege von Land zu Land,

und der Orte sind viele, ich habe alle gekannt,

ich habe von allen Türmen Stadte gesehen,

die Menschen, die kommen werden und die schon gehen.

Weit waren die Felder von Sonne und Schnee,

zwischen Schienen und Straβen, zwischen Berg und See.

Und der Mund der Welt war weit und voll Stimmen an

  meinem Ohr

und schrieb, noch des Nachts, die Gesänge der Vielfalt   

  vor.

Den Wein aus fünf Bechern trank ich in einem Zuge aus,

mein nasses Haar trocknen vier Winde in ihrem

  wechselnden Haus.

 

Die Fahrt ist zu Ende,

doch ich bin mit nichts zu Ende gekommen,

jeder Ort hat ein Stück von meinem Lieben genommen,

jedes Licht hat mir ein Aug verbrannt,

in jedem Schatten zerriβ mein Gewand.

 

Die Fahrt ist zu Ende.

Noch bin ich mit jeder Ferne verkettet,

doch kein Vogel hat mich über die Grenzen gerettet,

kein Wasser, das in die Mündung zieht,

treibt mein Gesicht, das nach unten sieht,

treibt meinen Schlaf, der nicht wandern will…

Ich weiβ die Welt näher und still.

 

Hinter der Welt wird ein Baum stehen

mit Blättern aus Wolken

und einer Krone aus Blau.

In seine Rinde aus rotem Sonnenband

schneidet der Wind unser Herz

und kühlt es mit Tau.

 

Hinter der Welt wird ein Baum stehen,

eine Frucht in den Wipfeln,

mit einer Schale aus Gold.

Laβ uns hinübersehen,

wenn sie im Herbst der Zeit

in Gottes Hände rollt !

 

 

Toute personne qui tombe
        a des ailes
Poèmes 1942-1967 
Traduction de l’allemand (Autriche)
par Françoise Rétif
Nrf   Poésie /Gallimard


Les clefs de la maison – ( RC )


Des générations se sont succédé,
dans la vieille maison.
Imagine alors les décennies,
où des portes se sont ouvertes et closes,

les secrets scellés,
derrière le silence
ou les coffres muets
aux serrures bien huilées.

On a perdu bien des choses,
comme les arômes des roses,
et des outils
dont on ne connaît plus l’usage.

Dans un fond du tiroir du vaisselier,
se sont entassées toutes sortes de clefs,
qui ont résisté au passé,
mais ne permettent plus de l’ouvrir.

J’en ai trouvé de toutes sortes:
des lourdes et des longues,
des fines et des plates,
de toutes petites aussi.

J’ai pensé que certaines s’adaptaient
à un cadenas, une autre à un coffret à bijoux.
Clefs rouillées, clefs égarées,
qu’est-ce qui vous rassemble ?

Aucune d’elles n’a plus d’utilité :
je les imagine dans un tableau de Magritte,
ne permettant d’entrer
que dans les nuages .

Je trouve, parmi toutes ces clefs,
celles que des amis m’avaient confié,
avant qu’ils ne déménagent
pour leur dernier voyage….

Peut-être trouverai-je parmi
celles qui me restent
la clef du paradis
( on m’y aurait réservé une place ).

Reste à savoir laquelle
aura des ailes ,
quand ce sera mon tour
un petit tour, et puis s’en va ….

Faut s’en faire une raison :
je n’aurai pas besoin , pour la maison
de la fermer à double tour ,
( je garderai toujours la clef de ton amour ) .

Armand Pierre Fernandez
Art : accumulation de Arman
clefs spirales
ou bien en idée de mobile…


Bornéo – ( SD/RC )


Raoul Dufy – Le cargo noir

et une version plus récente du texte de R C

Jean Dufy – Port du Havre


Basho -La pièce perdue


euro, 5 cents, pièce de monnaie en cuivre, de tomber, de crise, de l'eau

La pièce perdue dans la rivière se trouve dans la rivière
Le soleil et la lune sont des voyageurs dans l’éternité.
Même les années sont errantes.
Pour ceux dont la vie est sur les eaux
ou qui conduisent un cheval au fil des ans
chaque jour est un voyage
et le voyage lui-même est la maison .


– Basho

( tentative  de traduction RC à partir  de l’anglais )

 

The Coin Lost In The River Is Found In The River

The sun and moon are travelers in eternity.
Even the years are wanderers.
For those whose life is on the waters or leading a horse through the years
each day is a journey and the journey itself is home

– 


Le parfum de l’absence – (Susanne Derève)


 

frottage

 Max Ernst  – Frottage             

 

 

L’absence a ce matin une odeur de sarriette

et de menthe

Hirondelle lutine que tu dessines

légère  

entre les bras du temps

est-ce un tourment le beau tourment du jour

un tango de printemps où versent

les automnes

 

et la voix qui chantonne son  accent de velours

sait-il le parfum de l’absence    

les feuilles clairsemées que l’arbre abandonne

au grand vent  aux gants de brume de  l’hiver

avec ses cheminées de nuages 

le tambourin des toits de zinc  sous la pluie      

 

et la   voix qui claironne sait-elle

 l’odeur du bois coupé

les mains qui s’affairent au dehors

le heurt  des bûches qu’on entasse                                                       

pendant que l’esprit baguenaude   

loin  si loin    plus loin que le froissement

d’ailes  d’un oiseau migrateur,

 

plus loin que le cliquetis des rails le sourd balancement

d’un wagon sur les rails  paysages brouillés

de vallons d’arbres  de bosquets  

qu’on déroulerait sans fin

dont on ne dirait  ni le nom  ni  l’odeur

ni  la matière    rugueuse ou  lisse  

ou lisse et douce sous le doigt

 

Et   la  voix qui fredonne,  sait-elle  le grain du bois

écharde fine sous la peau     

Sait-elle l’aiguillon  de l’attente

ce parfum entêtant   de sarriette     

et de menthe   que j’invoque tout bas

 


Pierre Béarn – les clefs du voyage


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peinture : Jozsef Rippl-Ronai

J’apportai les clefs du voyage
à la prisonnière effrayée
de se découvrir vulnérable…

Négligeant l’azur arraché
qui parait d’attraits la magie
l’éléphant piétina les roses.

Quand tu partis vêtue de nuit
serrant ton cœur telle une lampe
éclairant ta honte soumise
l’éléphant n’aimait plus les roses.


Karel Logist – Force d’inertie


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image    Sara Dunn

 

J’emporte en voyage deux montres

l’une marque l’heure de mon départ

l’autre semble indiquer celle de mon retour

 

Vous le savez mieux que moi:

les belles étrangères

si accueillantes aux étrangers

sont rarement ponctuelles en amour

 

C’est pourquoi j’ignore toujours

laquelle de mes montres retarde

et pour qui mes fuseaux horaires

se déhanchent

ainsi que sur des airs de danse.

 


Franchir le seuil – ( RC )


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C’est encore loin,
( je n’envisage pas encore le voyage ),
mais tu as franchi le seuil,
tout à coup,               –  là  -,
sous tes pieds
et ton visage s’est fondu      dans les ténèbres ,
délaissant la lumière,
soudain inutile.

Ou peut-être, inversement,
l’as-tu bue,
la lumière ,           entièrement,
pour nous laisser la nuit ,
rapetissés.
Alors que s’étend devant toi
l’immensité,      et son inconnu,
toi –         devenue invisible à nos yeux.

RC – août 2017


Foroukh Farrokhzâd – il n’y a que la voix qui reste


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peinture:  Arpad  Szenes

Pourquoi m’arrêterais-je, pourquoi?
Les oiseaux sont partis en quête d’une direction bleue
L’horizon est vertical
L’horizon est vertical, le mouvement une fontaine
Et dans les limites de la vision
Les planètes tournoient lumineuses
Dans les hauteurs la terre accède à la répétition
Et des puits d’air
Se transforment en tunnels de liaison.
Le jour est une étendue,
Qui ne peut être contenue
Dans l’imagination du vers qui ronge un journal

Pourquoi m’arrêterais-je?
Le mystère traverse les vaisseaux de la vie

L’atmosphère matricielle de la lune,
Sa qualité, tuera les cellules pourries
Et dans l’espace alchimique après le lever du soleil
Seule la voix
Sera absorbée par les particules du temps
Pourquoi m’arrêterais-je?
Que peut être le marécage, sinon le lieu de pondaison des insectes de pourriture
Les pensées de la morgue sont écrites par les cadavres gonflés
L’homme faux dans la noirceur
A dissimulé sa virilité défaillante
Et les cafards…ah                 Quand les cafards parlent!
Pourquoi m’arrêterais-je?
Tout le labeur des lettres de plomb est inutile,
Tout le labeur des lettres de plomb,
Ne sauvera pas une pensée mesquine
Je suis de la lignée des arbres
Respirer l’air stagnant m’ennuie
Un oiseau mort m’a conseillé de garder en mémoire le vol
La finalité de toutes les forces est de s’unir, de s’unir,
À l’origine du soleil
Et de se déverser dans l’esprit de la lumière
Il est naturel que les moulins à vent pourrissent
Pourquoi m’arrêterais-je?
Je tiens l’épi vert du blé sous mon sein
La voix, la voix, seulement la voix
La voix du désir de l’eau de couler
La voix de l’écoulement de la lumière sur la féminité de la terre
La voix de la formation d’un embryon de sens
Et l’expression de la mémoire commune de l’amour
La voix, la voix, la voix, il n’y a que la voix qui reste
Au pays des lilliputiens,
Les repères de la mesure d’un voyage ne quittent pas l’orbite du zéro
Pourquoi m’arrêterais-je?
J’obéis aux quatre éléments
Rédiger les lois de mon cœur,
N’est pas l’affaire du gouvernement des aveugles local
Qu’ai-je à faire avec le long hurlement de sauvagerie?
De l’organe sexuel animal
Qu’ai-je à faire avec le frémissement des vers dans le vide de la viande?
C’est la lignée du sang des fleurs qui m’a engagée à vivre
La race du sang des fleurs savez-vous?

Traduction de Mohammad Torabi & Yves Ros.

 


Tes mots revenus – ( RC )


 

 

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J’ai emporté les mots que tu m’as glissé à l’oreille,

je les ai confiés aux ,
afin qu’ils voyagent,
et qu’ils les racontent à leur façon…

Je suis le passeur des phrases, celles qui sont dites,
et celles qui ne le sont pas.
Un jour, comme je l’ai vu,
( ou plutôt, comme je les ai entendus,

les mésanges sont venues frapper à ma fenêtre ) :
c’est qu’elles avaient sans doute
une réponse à me donner, et le récit de ton voyage .
J’ai essayé de l’interpéter à ma façon,

et les mots pensés,
ont ainsi continué leur voyage,
dans ma tête peut-être,
en donnant naissance à d’autres écrits .

C’est que tu parles un peu en moi…


RC – avr 2017

 

(  réponse à Anna Jouy : voir les mots partis )