voir l'art autrement – en relation avec les textes

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Leliana Stancu – berçeuse


Petrov-Vodkin, Kuzma détail de la peinture « l’alarme »

Mon enfant, mon ange,
C’est un rêve étrange,
Chaque soir quand je veille
Ton profond sommeil,
Quand le crépuscule
Emporte tous les jours
Vers d’autres soleils
Attendant l’éveil,
Signe que les Dieux
Avec leurs aveux
Embrassent d’autres mondes,
Et l’amour inonde
Tour à tour, les terres,
Même si celles d’hier,
Vivant en caresse,
Demain, ils les blessent…

Mon enfant, mon rêve,
Chaque jour qui s’achève,
Je murmure un doux
Chant, sur tes chères joues,
Comme une belle corolle
De merveille étole,
Tu m’entends, je sais,
Dans ton monde de fées,
Sans avoir l’orgueil
De donner conseils,
Que même dans ma vie
Je n’ai pas suivis,
Juste quelques légendes,
Ensuite je défends
Tes éternels rêves,
Mon enfant, ma sève…

Mon enfant déesse,
Reçois ma tendresse,
Un jour viendra
Quand on partira
Sur des terres de conte,
Sur des anodontes,
Dans des lointains,
Au-delà des humains,
Quand les beaux voyages
Finiront d’ancrage,
Mais je te promets
Ma bienfaisante fée,
Que tu ne perdras
A jamais mes bras,
Tu vivras toujours
L’infini amour…

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Marie Huot – dans l’agenda de Marie ( 2 février )


extrait de « la maison de Géromino « 

peinture – » marins d’eau douce » : Jean-Pierre Lorand

Dans l’agenda de Marie 2 février

J’ai 27 ans aujourd’hui. Je sais que je recevrai de mon homme une petite carte dans les jours qui viennent.
C’est si compliqué pour lui de connaître le temps du voyage.
Une carte fleurie pleine de pensées délicates qui aura traversé les orages en mer,. les ports inconnus.
J’ai glissé ce matin un brin de mimosa frais dans une enveloppe pour lui, pour que nos fleurs se croisent et se répondent en haute mer.
Drôles de gestes en ces jours terribles de bombardements et de misère.
Un prince avec de la menthe dans ses poches
et un bassin aux nénuphars
pour s’y tenir au bord et glisser leur nez dans son cou
c’est ce quelles voulaient les petites fillettes


Puis le temps est passé
elles sont allées sur le port
faire claquer les talons de leurs souliers
acheter du muguet à des revendeurs à la sauvette
Elles ont passé des heures à lire les noms des bateaux
à écouter les mâts se balancer dans le vent
et petit à petit sans quelles s’en rendent compte
la mer les a prises
leur a jeté un marin dans les bras
avec son costume à boutons dorés
son pompon rouge son sourire
et elles n’ont plus pensé à rien d’autre
qu’aux éternels départs et retours
et les bateaux inlassablement ont rayé chacune de leurs nuits


Des pierres serrées les unes contre les autres – ( RC )


Civaux Nécropole mérv 06 bstr

photo perso 2019  – Nécropole de Civaux ( Vienne )

            Il y a ces pierres dressées,
serrées les unes contre les autres.
         Elles forment une barrière,
peut-être pour empêcher
les vivants de passer .

C’est la traversée des voyages,
           le temps s’est inversé,
les sarcophages se sont ouverts,
des corps en sont sortis,
illuminés.

C’est bien d’ici qu’un peuple
s’est souvenu de son histoire,
s’est reformé, a reconquis un bout de terre,
a confronté son sang
au retour de lumière.

C’est pourquoi ils n’avaient plus besoin,
                      de leur boîte en pierre .
Ils ont dressé les lourds couvercles
à la verticale
pour en interdire l’accès.

On ne sait ce qu’ils sont devenus.
Ils se sont mélangés aux vivants,
sans doute pour leur conter des choses,
– des histoires de métempsychose..
              > on a perdu leur trace .

C’est qu’ils se sont fondus dans la masse,
            portant un masque d’homme .
Pour ne pas nous effrayer,
           ils sont entrés dans la danse ;
chacun croit que c’est notre descendance.

Mais         ceux-ci sont éternels :
ayant trouvé moyen de remonter le temps,
ils ont signé notre acte de naissance
répandu un tout petit peu de sang
sur le sol et la poussière.

Plus personne ne les pleure
– ou ne leur apporte des fleurs –
         quelqu’un aurait oublié une auréole
         dans un tombeau de la nécropole
où elle luit faiblement.

            Personne ne l’a réclamée :
le cimetière est désaffecté .
           Si il y a parmi nous des anges,
            ils restent très discrets,
ne voulant pas qu’on les dérange….


RC – oct 2017

cf   nécropole de Civaux ( Vienne )cf   nécropole de Civaux ( Vienne )


Echapper à son auteur – ( RC )


Crazannes  carrières   02-.jpgphoto perso – Crazannes – 17

 

La vie m’écrit demain .
Je ne saurais pas dire si c’est d’encre violette
Ni qu’elle me choisit un destin
( je n’en fais qu’à ma tête ) ! –
             Je suis né par accident
             Parce qu’un jour mon auteur
             Qui aimait cette couleur
             Fut un peu imprudent

En voulant remplir les pages
Contre l’avis du vent
Le livre s’est fermé brusquement,
          – Et plutôt qu’en être otage
           J’ai fui sous le canapé
En emportant quelques lettres
Que je pourrais peut-être
Utiliser sans me faire attraper.

J’ai donc dû m’aplatir
Le nez dans la poussière,
Avec tous ces caractères .
            Ils m’ont aidé à grandir,
           A me rendre autonome
Ce fut une aventure
De se lancer dans l’écriture,
Nom d’un petit bonhomme !

Me glisser dans un feuille,
Une autre encore et ainsi de suite
Mon récit n’a pas de limite
             Jetez-y un œil  !  :
J’y inscris les rires
Je m’invente des personnages
Pars pour de lointains voyages
Parcours des souvenirs

Je rencontre Prévert…
             – Ah, ce qu’on a ri,
               Au rayon poésie
               En vidant des vers… !!
( Il faut être un peu ivre
Pour qu’au moindre prétexte
On caresse un texte ,
Qu’on écrive un livre ).

Je n’ai aucun programme ….
           » Est-ce grave, docteur ? « 
           D’avoir échappé à son créateur
            Et des brumes de son âme ?

RC – sept 2016


Jean Blot – Les cosmopolites


photo perso  quartier chinois  de Dublin - 2007

photo perso quartier chinois de Dublin – 2007

 

 

 

A force de courir  le monde…
la vie devient  étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais  était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la  retrouve, la  durée se ressoude, son tissu se refait, comme  si l’absence avait été une  blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque  étape  le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux  éloignés et telle  conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte  dans un café  de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié  seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir;  ni lieux  distincts, mais un seul présent aux  facettes  nombreuses qui résistent  au classement et n’obéissent  
qu’aux  lois  secrètes  du sentiment.

Voyages départs  et retours font  que la  vie prend  de l’épaisseur, mais  qu’elle  ne  coule pas comme  elle  devrait.
Quand  on revient, on dirait que le temps se fait réversible:  tout  recommence…

 

Les cosmopolites   ( Gallimard)


W H Auden – Atlantide


 

Obsédé par l’idée
d’atteindre l’Atlantide,
tu as, bien sûr, trouvé
que seule la Nef des Fous
fait le voyage cette année,
parce qu’on prévoit des tempêtes
d’une violence exceptionnelle
et que tu dois donc être prêt
à te montrer assez absurde
pour être accepté dans la bande
en faisant tout au moins semblant
d’aimer l’alcool, la farce et le tapage.

Si, comme il se peut, les tempêtes
devaient t’amener à mouiller une semaine
dans quelque vieux port d’Ionie,
parle avec ses savants retors,
des gens qui ont prouvé l’impossibilité
d’un endroit tel que l’Atlantide ;
apprends leur logique, mais note
que leur subtilité trahit
une simple, énorme tristesse ;
ils t’enseigneront la façon
de douter que tu puisses croire.

Si, plus tard, tu viens à échouer
sur les promontoires de Thrace,
où, torche en main, toute la nuit,
une race barbare et nue
fait des bonds forcenés aux sons
de la conque et du gong discordant,
sur ces rivages durs, sauvages,
arrache tes habits et danse,
car si tu n’es pas capable
d’oublier complètement
l’Atlantide, ton voyage
ne s’achèvera jamais.

De même, si tu arrives
à la joyeuse Carthage
ou à Corinthe, prends part
à leurs amusements sans fin ;
et si, dans un bar, une fille
dit, en caressant tes cheveux :
« Chérie, c’est ici l’Atlantide »,
écoute avec grande attention
l’histoire de sa vie : à moins
de connaître dès à présent
chaque refuge qui s’efforce
de jouer l’Atlantide, à quoi
reconnaître la véritable ?

À supposer que tu échoues enfin
près de l’Atlantide et commences
le terrible voyage à pied
à travers les forêts sinistres et les steppes
glacées où tous seront bientôt perdus,
si, abandonné, tu te trouves
rejeté de tous les côtés,
pierre et neige, air vide et silence,
rappelle-toi les nobles morts
et fais honneur à ton destin,
toi le voyageur tourmenté,
le dialecticien bizarre.

Trébuche, avance et réjouis-toi ;
et si, peut-être parvenu enfin
jusqu’au dernier col, tu t’effondres?
avec l’Atlantide entière qui rayonne
à tes pieds sans que tu puisses
y descendre, sois fier pourtant
d’apercevoir cette Atlantide
dans une vision poétique,
rends grâces et repose en paix,
car tu auras vu ton salut.

Tous les petits dieux domestiques
sont en pleurs, mais fais tes adieux
à présent, et embarque-toi.
Bon voyage, ami, bon voyage,
puissent Hermès, le dieu des routes,
et les quatre nains Cabires
te protéger et te servir
toujours, et puisse l’Éternel
t’offrir pour ce que tu dois faire
sa direction invisible
en répandant, ami, sur toi
la lumière de Son visage.

Wystan Hugh Auden, in Poésies choisies,


Albertine Sarrazin – Nous nous étions…


photo: Man Ray

                                                                                     photo: Man Ray

 

 

Nous nous étions promis retour à la Saint-Jean

Pour marier d’amour nos routes vagabondes

Tu me reviendrais pâle avec les lèvres blondes

Toute peine finie avec le long printemps

Sous ma tranquillité cachant le bel émoi

Je m’étais maquillée à l’air des longs voyages

Mais au bar le miroir dénonça nos visages

Lorsque tu m’apparus debout derrière moi

La joie étincela au contact de nos mains

Et nous sommes allés filant la Fantaisie

Jetant à travers champs l’éternité choisie

Pour qu’elle nous revînt au bout des lendemains

Les amants ont franchi les feux porte-bonheur

Ils dorment souriants l’aube les illumine

Les yeux clos tu conduis mes doigts vers ta poitrine

Et je griffe des majuscules sur ton coeur

Albertine Sarrazin


Rainer Maria-Rilke – Pour écrire un seul vers


Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes, et de choses, il faut connaitre les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux, et savoir quels mouvements font les petites fleurs en s’ouvrant le matin.

gravure: Gustave Doré , de la série : la complainte du vieux marin

Il faut pouvoir penser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance, dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils nous apportaient une joie , et qu’on ne la comprenait pas ,et c’était une joie faite pour un autre, à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans les chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyages qui frémissaient très haut, et volaient avec toutes des étoiles.

Et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.

Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.

Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts dans la chambre, avec la fenêtre ouverte, et des bruits qui venaient par à-coups.

Il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux. Il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent, car les souvenir eux-mêmes ne sont pas encore ceux-là.

Ce n’est que, lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver, qu’en une heure très rare du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »

extrait de « Cahiers de Malte   Laurids Brigge « , de Rainer Maria Rilke,

gravure: Gustave Doré sur les écrits de Dante: Le Purgatoire et le Paradis

 

Je viens de voir  qu’un de mes « bloggers favoris »,  (Beauty will save the  world), a choisi précisément le même  extrait...