Leliana Stancu – berçeuse

Petrov-Vodkin, Kuzma détail de la peinture « l’alarme »
Mon enfant, mon ange,
C’est un rêve étrange,
Chaque soir quand je veille
Ton profond sommeil,
Quand le crépuscule
Emporte tous les jours
Vers d’autres soleils
Attendant l’éveil,
Signe que les Dieux
Avec leurs aveux
Embrassent d’autres mondes,
Et l’amour inonde
Tour à tour, les terres,
Même si celles d’hier,
Vivant en caresse,
Demain, ils les blessent…
Mon enfant, mon rêve,
Chaque jour qui s’achève,
Je murmure un doux
Chant, sur tes chères joues,
Comme une belle corolle
De merveille étole,
Tu m’entends, je sais,
Dans ton monde de fées,
Sans avoir l’orgueil
De donner conseils,
Que même dans ma vie
Je n’ai pas suivis,
Juste quelques légendes,
Ensuite je défends
Tes éternels rêves,
Mon enfant, ma sève…
Mon enfant déesse,
Reçois ma tendresse,
Un jour viendra
Quand on partira
Sur des terres de conte,
Sur des anodontes,
Dans des lointains,
Au-delà des humains,
Quand les beaux voyages
Finiront d’ancrage,
Mais je te promets
Ma bienfaisante fée,
Que tu ne perdras
A jamais mes bras,
Tu vivras toujours
L’infini amour…
–
lire d’autres textes de cette auteure ?
Echapper à son auteur – ( RC )
–photo perso – Crazannes – 17
–
La vie m’écrit demain .
Je ne saurais pas dire si c’est d’encre violette
Ni qu’elle me choisit un destin
( je n’en fais qu’à ma tête ) ! –
Je suis né par accident
Parce qu’un jour mon auteur
Qui aimait cette couleur
Fut un peu imprudent
En voulant remplir les pages
Contre l’avis du vent
Le livre s’est fermé brusquement,
– Et plutôt qu’en être otage
J’ai fui sous le canapé
En emportant quelques lettres
Que je pourrais peut-être
Utiliser sans me faire attraper.
J’ai donc dû m’aplatir
Le nez dans la poussière,
Avec tous ces caractères .
Ils m’ont aidé à grandir,
A me rendre autonome
Ce fut une aventure
De se lancer dans l’écriture,
Nom d’un petit bonhomme !
Me glisser dans un feuille,
Une autre encore et ainsi de suite
Mon récit n’a pas de limite
Jetez-y un œil ! :
J’y inscris les rires
Je m’invente des personnages
Pars pour de lointains voyages
Parcours des souvenirs
Je rencontre Prévert…
– Ah, ce qu’on a ri,
Au rayon poésie
En vidant des vers… !!
( Il faut être un peu ivre
Pour qu’au moindre prétexte
On caresse un texte ,
Qu’on écrive un livre ).
Je n’ai aucun programme ….
» Est-ce grave, docteur ? «
D’avoir échappé à son créateur
Et des brumes de son âme ?
–
RC – sept 2016
Jean Blot – Les cosmopolites
–
A force de courir le monde…
la vie devient étrange et plus docile à l’espace qu’au temps…
C’était Paris, Londres, New York, ou Genève, mais était-ce avant ou bien après ?
En chaque ville, quand on la retrouve, la durée se ressoude, son tissu se refait, comme si l’absence avait été une blessure et le retour une guérison.
Qui vit en un lieu suit le temps dans sa marche et épouse son mouvement.
Mais le vagabond reprend à chaque étape le jour qu’il avait laissé là, qui s’était endormi et qu’il réveille en revenant. Ou bien, au contraire, un fil relié sans cause des lieux éloignés et telle conversation commencée à New York se poursuit à Genève, rebondit à Londres, et se conclut à Paris.
Cet ami rencontré sur la 5è avenue, on le retrouve sur le pont du Mont-Blanc, on le quitte dans un café de Montparnasse.
Ou encore on oublie le lieu, le temps: l’amitié seule demeure.
Il semble parfois qu’il n’est ni passé, ni avenir; ni lieux distincts, mais un seul présent aux facettes nombreuses qui résistent au classement et n’obéissent
qu’aux lois secrètes du sentiment.
Voyages départs et retours font que la vie prend de l’épaisseur, mais qu’elle ne coule pas comme elle devrait.
Quand on revient, on dirait que le temps se fait réversible: tout recommence…
Les cosmopolites ( Gallimard)
W H Auden – Atlantide
–
Obsédé par l’idée
d’atteindre l’Atlantide,
tu as, bien sûr, trouvé
que seule la Nef des Fous
fait le voyage cette année,
parce qu’on prévoit des tempêtes
d’une violence exceptionnelle
et que tu dois donc être prêt
à te montrer assez absurde
pour être accepté dans la bande
en faisant tout au moins semblant
d’aimer l’alcool, la farce et le tapage.
Si, comme il se peut, les tempêtes
devaient t’amener à mouiller une semaine
dans quelque vieux port d’Ionie,
parle avec ses savants retors,
des gens qui ont prouvé l’impossibilité
d’un endroit tel que l’Atlantide ;
apprends leur logique, mais note
que leur subtilité trahit
une simple, énorme tristesse ;
ils t’enseigneront la façon
de douter que tu puisses croire.
Si, plus tard, tu viens à échouer
sur les promontoires de Thrace,
où, torche en main, toute la nuit,
une race barbare et nue
fait des bonds forcenés aux sons
de la conque et du gong discordant,
sur ces rivages durs, sauvages,
arrache tes habits et danse,
car si tu n’es pas capable
d’oublier complètement
l’Atlantide, ton voyage
ne s’achèvera jamais.
De même, si tu arrives
à la joyeuse Carthage
ou à Corinthe, prends part
à leurs amusements sans fin ;
et si, dans un bar, une fille
dit, en caressant tes cheveux :
« Chérie, c’est ici l’Atlantide »,
écoute avec grande attention
l’histoire de sa vie : à moins
de connaître dès à présent
chaque refuge qui s’efforce
de jouer l’Atlantide, à quoi
reconnaître la véritable ?
À supposer que tu échoues enfin
près de l’Atlantide et commences
le terrible voyage à pied
à travers les forêts sinistres et les steppes
glacées où tous seront bientôt perdus,
si, abandonné, tu te trouves
rejeté de tous les côtés,
pierre et neige, air vide et silence,
rappelle-toi les nobles morts
et fais honneur à ton destin,
toi le voyageur tourmenté,
le dialecticien bizarre.
Trébuche, avance et réjouis-toi ;
et si, peut-être parvenu enfin
jusqu’au dernier col, tu t’effondres?
avec l’Atlantide entière qui rayonne
à tes pieds sans que tu puisses
y descendre, sois fier pourtant
d’apercevoir cette Atlantide
dans une vision poétique,
rends grâces et repose en paix,
car tu auras vu ton salut.
Tous les petits dieux domestiques
sont en pleurs, mais fais tes adieux
à présent, et embarque-toi.
Bon voyage, ami, bon voyage,
puissent Hermès, le dieu des routes,
et les quatre nains Cabires
te protéger et te servir
toujours, et puisse l’Éternel
t’offrir pour ce que tu dois faire
sa direction invisible
en répandant, ami, sur toi
la lumière de Son visage.
Wystan Hugh Auden, in Poésies choisies,
Albertine Sarrazin – Nous nous étions…
–
Nous nous étions promis retour à la Saint-Jean
Pour marier d’amour nos routes vagabondes
Tu me reviendrais pâle avec les lèvres blondes
Toute peine finie avec le long printemps
Sous ma tranquillité cachant le bel émoi
Je m’étais maquillée à l’air des longs voyages
Mais au bar le miroir dénonça nos visages
Lorsque tu m’apparus debout derrière moi
La joie étincela au contact de nos mains
Et nous sommes allés filant la Fantaisie
Jetant à travers champs l’éternité choisie
Pour qu’elle nous revînt au bout des lendemains
Les amants ont franchi les feux porte-bonheur
Ils dorment souriants l’aube les illumine
Les yeux clos tu conduis mes doigts vers ta poitrine
Et je griffe des majuscules sur ton coeur
–
Albertine Sarrazin
–
Rainer Maria-Rilke – Pour écrire un seul vers
Pour écrire un seul vers, il faut avoir vu beaucoup de villes, d’hommes, et de choses, il faut connaitre les animaux, il faut sentir comment volent les oiseaux, et savoir quels mouvements font les petites fleurs en s’ouvrant le matin.
Il faut pouvoir penser à des chemins dans des régions inconnues, à des rencontres inattendues, à des départs que l’on voyait longtemps approcher, à des jours d’enfance, dont le mystère ne s’est pas encore éclairci, à ses parents qu’il fallait qu’on froissât lorsqu’ils nous apportaient une joie , et qu’on ne la comprenait pas ,et c’était une joie faite pour un autre, à des maladies d’enfance qui commençaient si singulièrement par tant de profondes et graves transformations, à des jours passés dans les chambres calmes et contenues, à des matins au bord de la mer, à la mer elle-même, à des mers, à des nuits de voyages qui frémissaient très haut, et volaient avec toutes des étoiles.
Et il ne suffit même pas de savoir penser à tout cela.
Il faut avoir des souvenirs de beaucoup de nuits d’amour, dont aucune ne ressemblait à l’autre, de cris de femmes hurlant en mal d’enfant, et de légères, de blanches, de dormantes accouchées qui se refermaient.
Il faut encore avoir été auprès de mourants, être resté assis auprès de morts dans la chambre, avec la fenêtre ouverte, et des bruits qui venaient par à-coups.
Il ne suffit même pas d’avoir des souvenirs, il faut savoir les oublier quand ils sont nombreux. Il faut avoir la grande patience d’attendre qu’ils reviennent, car les souvenir eux-mêmes ne sont pas encore ceux-là.
Ce n’est que, lorsqu’ils deviennent en nous sang, regard, geste, lorsqu’ils n’ont plus de nom et ne se distinguent plus de nous, ce n’est qu’alors qu’il peut arriver, qu’en une heure très rare du milieu d’eux, se lève le premier mot d’un vers. »
extrait de « Cahiers de Malte Laurids Brigge « , de Rainer Maria Rilke,
Je viens de voir qu’un de mes « bloggers favoris », (Beauty will save the world), a choisi précisément le même extrait...
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