Paul Eluard – Air vif

J’ai regardé devant moi
Dans la foule je t’ai vue
Parmi les blés je t’ai vue
Sous un arbre je t’ai vue
Au bout de tous mes voyages
Au fond de tous mes tourments
Au tournant de tous les rires
Sortant de l’eau et du feu
L’été l’hiver je t’ai vue
Dans ma maison je t’ai vue
Entre mes bras je t’ai vue
Dans mes rêves je t’ai vue
Je ne te quitterai plus.
Maria Luisa VEZZALI- yeux (occhi)
LE BA DANG, « Yeux », 2006
Yeux
qui ont papillonné
en moi comme des ailes sous-marines
qui ont vu le rouge pour la première fois
sans mot pour pouvoir le décrire
qui sont passés de la cécité à la vue
non l’inverse comme c’est inévitable
qui m’ont distinguée parmi les ombres
comme une fenêtre
qui cristallisent la lumière
dans le sérieux du jeu
qui savent se faire pierre, de tourbillon
de miroir
fermés dans le sommeil comme une friandise
à sucer
ouverts au jour
comme une main
qui chaque jour semblent s’enrichir d’années
pour ensuite redevenir rosée
et bien que j’essaie – et dieu sait
que j’essaie – je ne peux imaginer
pourtant j’ai imaginé juste assez
pour les évoquer à l’argile humide
du monde
Occhi
che hanno sbattuto
come ali sottomarine dentro di me
che hanno visto il rosso per la prima volta
senza parole per poterlo descrivere
che hanno avanzato dalla cecità alla visone
non viceversa come inevitabile
che tra le ombre mi hanno distinta
come una finestra
che cristallizzano la luce
nella serietà del gioco
che sanno farsi pietra, di vortice
di specchio
chiusi nel sonno come un dolce
da succhiare
aperti al giorno
come una mano
che ogni giorno paiono crescere anni
per poi tornare rugiada
che per quanto provi – e dio sa
come provo – non posso immaginare
pure ho immaginato quanto bastava
per evocarli all’ argilla umida
del mondo
Maria Luisa VEZZALI
Matrices du soleil ébranlées
Extrait de la mini-série Explosions
Poèmes extraits de ligne mère
Traduits par Claire Pellissier
Richard Brautigan – les choses s’incurvent
Les choses s’incurvent lentement hors de vue
jusqu’à disparaître tout à fait.
Après ne reste plus
que la courbe.
L’acteur a disparu, dans un tourbillon – ( RC )
C’est une vue qui suggère la chute .
Cela pèse, un désir qui grandit
Mèle le sentiment de vertige,
Et l’attirance des couleurs .
Bien entendu, quand on les pose sur la toile,
On ne s’en rend pas compte tout de suite .
C’est un état de veille,
Où l’ extérieur n’émeut plus.
La respiration manque.
C’est sur le fil du labeur ,
Que se construit l’ équilibre.
Toujours précaire.
En fait le peintre a franchi le bord.
Le bord du vide, … depuis longtemps
Un sommeil éveillé,
Empêche qu’il chute .
Et d’ailleurs , sa vue n’emprunte pas
Les chemins de ses yeux ,
Comme si quelqu’un voyait à travers lui,
Et lui guidait la main.
L’inconscience parle,
Regarde à sa place,
Déplace ses gestes,
Maintient suspendu, son souffle .
Quand le vertige se dissipe,
Le corps se recompose,
Traverse son écran d’âme ,
Il retombe sur ses pieds.
Ne se souvient plus du vide,
S’il s’est envolé, ou a chuté…
Il regarde la toile .
Elle est achevée …
Il ne peut dire qu’il l’a rêvée,
La matière de la peinture en témoigne.
Elle colle encore aux doigts .
Cà sent la térébenthine.
Le regard s’ouvre,
Et avec, parfois le doute….
Comment pourrait-il avouer,
– » Ce qu’on voit n’est pas de moi ?
Je n’ai que disposé des couleurs,
« dans un certain ordre assemblées » « ….. ,
D’avoir déclenché une action .
– Il se remémore la chimie,
Les produits mis en contact,
Neutres, se cotoyant dans le récipient…
Il fallait un catalyseur
Pour que la réaction commence… –
« Je ne l’ai pas contrôlée…
Comme l’apprenti sorcier…
Veuillez m’excuser…
– Chacun peut commenter
… Si cette œuvre, est la mienne
Elle m’échappe encore…
J’ai connu ce privilège
D’en être le premier spectateur…
L’acteur a disparu dans un tourbillon,
J’ai rendez-vous avec lui…
Dans un jour, dans un an … ?
Pour la prochaine toile… »
–
RC – sept 2014