Alejandra Pijarnik – 5 très courts
embrassant ton ombre dans un rêve
mes os ployaient comme des fleurs
*
le rebord silencieux des choses
le tu qui parcourt la présence des choses
*
ces yeux
ne s’ouvrent que
pour évaluer l’absence
*
qui m’a perdue
dans le silence fantôme des mots ?
*
des pas dans le brouillard
du jardin de lilas
le cœur retourne
à sa lumière noire
*
Arseni Tarkovski – Stalker
Stalker ( photo extraite du célèbre film du même nom d’ Andrei Tarkovski – son fils)
—-
Comment ne pas aimer tes yeux
Et leur reflet étincelant,
Quand tu les lèves, malicieux,
Et traces un cercle miroitant
Tel un éclair venu des cieux…
Mais il est d’autres souvenirs,
Encore plus beaux : des yeux lassés.
Des baisers fous, l’âme en délire.
Et à travers les cils baissés
La flamme confuse du désir.
Arséni Tarkovski
A. Tarkovski. « Le Miroir ».
Jean Creuze – écorces (1 )
Écorces
Lier les mots qui se fabriquent dans la forge de notre
tête.
En faire vivre certains
commettre le meurtre d’autres.
Chauffer, taper, tordre au rouge le fer.
Chuchoter enfin ce qui nous habite
pour l’ultime tentative de la parole.
Des paroles données.
Silencieusement pointe la respiration.
Pulsation qui donne la vie.
Le soufflet active le feu
le mot juste jaillit
transforme nos corps et nos âmes
comme le travail acharné du forgeron
sur l’enclume transforme le métal.
Allongé sur le sol
sous le ciel bleu azur
beauté de l’oiseau dans les airs,
herbes folles dans le vent,
souveraineté des arbres.
Danse de l’univers présent
dans les vibrations lentes du jour qui passe.
Vols d’insectes éphémères,
parfums de fleurs,
odeurs d’humus,
chants de grillons,
craquements d’écorces.
Des forces de l’intérieur s’énervent.
Chasser les ombres du visage
pour s’enluminer-
Nouvelle peau.
La vague passe, se calme, s’anéantit.
Temps suspendu,
le corps flotte.
Soleil rouge,
sensation d’inachèvement
et caresse des ombres :
sa majesté la nuit approche.
Cortège d’étoiles,
respiration douce,
j’affronte l’inconnu,
clignements de cils,
goutte d’éther.
La figue éclate a force de mûrissement au soleil de l’été.
La terre grasse s »enfonce
sous les pas .l’automne est là, avec son humeur faite de rosée
de rafales de vent, de pluie froide.
Des hommes harassés, avinés, burinés, dépités, rendus sont là au coin de la rue,
attendent, rejetés du monde, comme de vieilles eaux usées auxquelles on aurait retiré toutes forces.
Dans ma tête un grand silence.
Tombés par terre, abandonnés,
résignés, abattus, esclaves.
Quels bourreaux? Comment faire?
L’alcool comme seul compagnon.
Idées vagues, brouillées,
délire, obsession, mensonges,
mal de tête,
perte de mémoire.
Oublier son histoire,
nier sa vie,
sacrifier son être.
Que faire avant l’hiver,
avant que le froid ne vous emporte?
Compagnon misère.
Le ciel est clair aujourd’hui, un vent frais se lève et fait
Frissonner les feuilles dans les arbres.
Quelques pensées me tapent le front, et s’évanouissent aussitôt.
Pour laisser le vide.
Le trou noir.
Ce noir si plein que l’on n’attend jamais.
Et pourtant, c’est le rien que l’on redoutait tant.
Il est là, accompagné de son malaise.
On ferme les yeux pour regarder à l’intérieur.
Dans un ultime effort encore.
Le noir toujours.
ça se dissipe.
Le rouge apparaît,
puis le jaune lumière
des éclats de blanc dans le rouge,
du bleu chartreuse,
du vert émeraude. qui coule de mes yeux ?
Serait-ce de la peinture
Les feuilles se remettent à tinter dans le vent et cette
musique douce emporte mes pensées.
Pierre Louys – Les yeux
Larges yeux de Mnasidika, combien vous me rendez heureuse quand l’amour noircit vos paupières
et vous anime et vous noie sous les larmes.
Mais combien folle, quand vous vous détournez ailleurs, distraits par une femme qui passe
ou par un souvenir qui n’est pas le mien.
Alors mes joues se creusent, mes mains tremblent et je souffre…
Il me semble que, de toutes parts, et devant vous, ma vie s’en va.
Larges yeux de Mnasidika, ne cessez pas de me regarder !
ou je vous trouerai avec mon aiguille et vous ne verrez plus que la nuit terrible.
Pierre LOUYS « Les Chansons de Bilitis » (Arthème Fayard)
Au risque de l’aventure – ( RC )
peinture: G de Chirico: deux masques – 1926
Ici l’errance se paie,
lorsque tu te bandes les yeux.
Il n’y a pas d’obscurité douce…
Tu peux avancer tes doigts,
au coeur des buissons,
de la fourrure.
Gare aux blessures,
…à commencer par le coeur !
Je t’entendrai crier,
lorsque la créature
se détache du fond,
qu’elle signe la fin de la trève,
après la caresse,
et plante ses crocs dans la paume.
Des fouets de fer,
la coupure du verre,
le scalpel habile des mandibules,
ont raison de l’avancée
imprudente d’un bras,
d’une tête.
On ne sort pas entier
de cette jungle.
Elle pénètre dans la chair
avant même qu’on ne l’explore,
On y laisse quelque chose,
définitivement.
Et si ce n’est le sang,
déjà la raison s’égoutte ,
voracement aspirée,
par l’inconnu (e).
C’était le risque encouru
par l’aventure.
Avant d’être savourée,
il a fallu qu’elle goûte d’abord à toi.
–
RC – mars 2016
Jean-Paul de Dadelsen – Il y a beau temps
–
Il y a beau temps que le soir est tombé
Il y a beau soir que le ciel est plombé
Il y a beau ciel qu’est partie la lumière
Il y a beau jour qu’est tarie la rivière.
–
Voici cet oiseau passer bas sous la nue
Il faut partir et rentrer dans le noir
Il n’est plus temps de chanter dans la rue
Il est trop tard pour causer dans le soir.
–
Les arbres dorment comme un corps inerte,
Un papillon se hâte vers sa perte.
Seul, sans recours, il faut fermer les yeux
Et tout au fond du noir creuser vers Dieu.
–
Jean-Paul de Dadelsen « Jonas » (Gallimard)
Katica Kulavkova – Premier soleil : Sagitarius

image : 5 ème Festival photo peuples et nature La Gacilly , 2008
——–
Ô, mère, comme la journée est courte !
Comme une maille de l’infini
le cercle solaire se retourne
non par amour, par obligation
et sans l’infidélité de la femme
pour laquelle rien n’est certain
rien n’est sien ni étrange
dans l’écliptique de l’existence.
Le jour croît et tombe
dans un rythme parfait
il répare la mort
et l’homme est confus et désorienté
dans la pantomime du temps.
Le solstice est initiation
aux coutumes supraterrestres
aux cultes païens
au feu et à l’eau
à la libido et à l’aventure.
Quand il s’arrête
le soleil renonce
aux affaires journalières, frivoles.
Au sommeil de l’ours. Au scepticisme.
Il a devant lui le rituel de l’équilibre
et du hasard. Faste et volupté.
Non, je ne pleure pas ;
je ferme seulement les yeux
devant les vies duelles
avec le sceau d’une évacuation précoce
devant la nuit blanche des amours parallèles
non échangées
non édifiantes.
Abdallah Zrika – Les murs vides de mon corps
–
Je ne sais pas. Mais ce que je sais, c’est le jour où j’ai décidé de m’arracher de mon corps. Je ne sais pas comment cela est arrivé. Mais je me suis trouvé comme ça : j’ai ôté tous mes vêtements.
J’ai ouvert un peu la porte. Je ne sais pas comment j’ai fait. J’ai voulu sortir tout nu.
J’ai voulu tout jeter comme on jette une ordure. J’ai senti à ce moment-là que tous les gens étaient contre moi, que même les mots me fuyaient, que j’étais devenu vide.
Complètement vide.
Un vide qui résonne. Et complètement vide de mots. Moi qui avais décidé de ne mettre aucun vêtement, aucun nom, aucune désignation…
J’ai senti que toute chose se détachait de moi, se dissipait, je n’avais pas ôté seulement mes vêtements – leurs vêtements si je puis dire, leurs : je ne sais pas dire autrement – , mais j’ai ôté tout ce que j’ai vécu.
Peut être n’ai-je rien à laisser qui m’appartienne, tout leur appartient, même mes ordures. J’ai ouvert encore un peu la porte. J’ai vu le premier mur devant la porte.
Même ce mur m’est apparu tout nu, rasé, chauve. J’ai reculé un peu pour écrire le premier mot qui m’est venu après avoir pris une décision. mais j’ai senti que ma tête était vide, d’un vide incroyable. Le papier est resté blanc, d’une blancheur presque bleue. j’ai senti que les mots sont comme les vêtements, lourds et suant, que toute chose est lourde d’une lourdeur insupportable et qu’il n’y a que moi à être léger, très léger. Puis je me suis retrouvé en train d’ouvrir toutes les fenêtres, même le robinet d’eau, et d’allumer toutes les allumettes que j’avais.
Plus tard, j’ai entendu frapper et une lettre glisser sous la porte ; une voix suffocante disait : facteur. je ne sais pas pourquoi mes doigts n’ont pas bougé affin de toucher la lettre restée, moitié à l’intérieur, moitié à l’extérieur, sous la porte. Je ne pouvais rien toucher comme si une paralysie totale me prenait. je sentais seulement mes yeux qui bougeaient tout seuls, ou il me semblait qu’ils bougeaient, je ne savais pas.
C’est terrible ce qui m’arrivait, une faim incroyable m’avait prise mais je ne pouvais toucher le pain qui était sur le coin de la table. Puis j’ai vu que le mur était vide, d’un vide que je n’avais jamais vu, que je n’avais jamais senti avant. Et ces jambes – mes jambes – , allongées là, avec des poils lourds, d’une lourdeur que je ne peux supporter. Je n’ai pas su ce qui s’est passé lorsque la nuit est venue. Je n’ai pas allumé la lumière, les heures se sont succédées, et je n’ai pas senti le sommeil.
Et au matin, je n’ai pu distinguer les mots que j’entendais de loin. Je n’ai pas ouvert la porte quand j’ai entendu frapper encore. Et lorsque je les ai entendus, en plein jour, je ne suis pas sorti comme je l’avais décidé le premier jour. Je n’ai pas fait attention à la voix du robinet ouvert.
Et je n’ai pas touché – oui, touché – le pain posé sur le coin de la table, je l’ai jeté par la suite afin que la table soit tout à fait vide. Je ne supportais rien, même pas un tout petit point sur la table. J’ai jeté plusieurs papiers sur lesquels j’avais écrit, avant. J’ai laissé la chaise et je me suis assis sur le froid du sol. Je me suis réjoui de voir le verre vide, les allumettes brûlées jetées ici et là.
J’ai éprouvé une joie énorme en voyant une mouche morte. Je me suis vu comme cette mouche, sans mouvements. Les pattes croisées et déformées. Je suis resté comme ça, sans bouger, lorsque j’ai entendu des voix, dehors, et je n’ai pas regardé par la fenêtre. Tout est loin. Loin. Je me sens très petit, d’une petitesse sans égale, et toute chose est plus grande, très grande. Même ce point que je vois sur le mur.
Tout est grand, très grand. Comment ne m’en suis-je pas rendu compte auparavant ? Je me sens très détaché de tout, solitaire, d’une solitude terrible. Même la faim s’est détachée de moi.
Je la sens plus grande que moi, plus grande que cette pièce même. Je ne parviens pas à la distinguer. J’ai vu une lettre posée là, une lettre que je n’ai pas ouverte, là depuis trois jours. Je ne l’ai pas touchée. Je sens que ma tête est vide, complètement vide, et aucune pensée n’est dedans. Rien. Rien. Ce mot qui résonne vide dans mon vide. Je sens que quelque chose me tient cloué là, entre ces choses qui ne me concernent pas.
J’ai encore entendu – ou imaginé – frapper avec insistance à la porte. Ce sont les autres. C’est leur porte. Ce n’est pas moi, je n’ai aucune porte. Je n’ai aucun mur. Ce sont les murs des autres. Je n’ai aucune maison.
Même ces choses-là leur appartiennent, à eux. Ce sont eux qui les ont jetées hors de leurs portes à eux, ce sont eux qui m’ont jeté ici. J’habite entre leurs murs et devant leurs portes.
Les gens qui frappent à cette porte, frappent à leurs portes, et peut-être me disent-ils de m’éloigner de leurs portes, de leurs murs.
Que vais-je dire ?
Ai-je vraiment quelque chose à dire ?
———
Abdallah Zrika dans Petites proses, éditions de l’Escampette.
Dominique Sampiero – La voix
photo: Joan Bardeletti
« la voix s’empare du corps s’ouvre en deux comme un fruit,
une fontaine, quelque chose comme ça.
Mais ça ne se voit pas.
Le corps est dans sa verticale et ruisselle par la bouche.
Les mots que l’on n’a pas dits montent dans tes yeux, et ce n’est plus être seul, mais être.
Plus encore, un être nous envahit dont nous ne savons rien que ces larmes qui sont étranges.
Nous n’avons aucune peine. Sauf cette joie douloureuse de la lumière . »
Philippe Delaveau – Les monts bleus
peinture : Morgan Ralston
–
Les monts bleus et le ciel songeur.
Toi
Dont les yeux ardents sont
L’abri du ciel et des monts.
Source, frisson, tristesse, joie.
Je baiserai de ma langueur
Ta bouche.
Je vois les mots se former
Dans tes pupilles, sur tes lèvres.
Et je respire ton haleine.
Je me raccroche à la vie,
Je sais l’existence du monde
Lorsque je tiens ta main.
–
in (Le Veilleur amoureux)
Ne rien saisir – ( RC )
photo: Jens Schott Knudsen.
Chercher et ne rien saisir…
Suivre un chemin, qui se déroule.
N’étant pas une voie tracée.
Bordée de signes semblent nous être destinés.
En fait c’est un langage qui ne s’adresse pas à soi.
Pas à soi en tant que personne…
Un bavardage qui prolifère, et dans les néons, et dans les annonces.
Une voix chuchotante, qui dissimule sa violence
sous l’amabilité, le jovial.
On peut toujours saisir ce qui nous est tendu, offert.
C’est d’abondance,
mais c’est courir le risque du leurre renouvelé.
Il n’y a de vraisemblance qu’à fermer ses yeux ( et donc n’en rien saisir),
la lumière ne s’accrochant aux choses
que pour mieux en cacher l’ombre .
Ainsi Ulysse continue son voyage
en restant sourd au chant des sirènes.
L’éclat des jeux des lumières, les fanfares pour toute occasion
peuvent poursuivre.
Je ne les écoute pas.
–
RC
Le sablier – ( RC )
Se réveillent les eaux sourdes, en profondeur,
Devant chaque feuille morte et chaque crépuscule.
Il y a une tempête,
mais l’espace est clair, tout autour…
c’est juste qu’elle est en toi
et vrille une partie de conscience,
sous la mélodie grinçante
d’un vent de sable,
dont les grains s’infiltrent
jusque dans les jardins calmes,
pour envahir l’espace.
Au coeur de cette tempête,
il n’y a pas de soleil, il n’y a pas de lune.
Il te faut affronter
le chemin des abîmes,
jusqu’à inventer la lumière.
C’est bien après que la rage du vent
soit retombée,
qu’on retrouve ses repères,
et qu’on peut rouvrir les yeux.
Le temps se cristallise,
comme s’est écoulé
celui qui est décompté.
De l’intérieur du sablier.
–
RC dec 2015
Quelqu’un regarde par mes yeux – ( RC )
–
–
Quelqu’un me regarde avec mes yeux.
Et ces yeux voient une pièce presque nue,
où la présence d’ombres se font et défont.
Des sons ne la franchissent pas,
et se répercutent d’un mur à l’autre,
indépendants.
Il se peut que ce soient mes propres phrases,
repoussées par les lueurs changeantes des lampes à pétrole.
Ainsi, quelqu’un parlerait par ma bouche,
et ce ne serait plus moi,
mais une mémoire de la nuit, enfermée ici ,
alors que de l’extérieur, le silence la compresse ,
comme sont compressés les jours.
Je ne les compte plus.
La nuit , aussi , ne compte pas les fleurs fanées .
Elles forment un tableau étrange,
celui d’un temps arrêté, nul,
saignant de ne pouvoir sortir, clos sur lui-même…
–
d’après « Présence d’ombre » d’Alejandra Pizarnik
RC- nov 2015
–
un texte-photo de Duane Michals, partage un peu ce thème:
Il rêva une nuit qu’elle vint et l’embrassa, et avec ce baiser entra dans son corps.
Elle regardait à travers ses yeux, et écoutait avec ses oreilles. Au matin, rien n’avait changé.
–
Georges Vernat – Dämmerung ( crépuscule )
–
‘Il a senti son dos sa nuque se raidir
Ses bras se consteller de brunes moisissures
Il allait raide blanc dans les éclats de rire
Ses petits yeux mouillés plantés sur ses chaussures’
Georges Vernat – Dämmerung (de Juego y Libertad )
–
plus de renseignements ? : voir chez Voxpoesi
Envahissement du ciel , par le corps d’une géante – ( RC )
photo: Raoul Ubac – nu solarisé 1938
Flottante, entre deux peaux,
Ou bien ayant quitté un temps la terre …
C’est un nuage de chair,
– Ainsi l’indique la photo.
L’envahissement du ciel,
Par le corps d’une géante :
Confisquées: les montagnes et leurs pentes ,
Battement à tire d’elle…
Peuplée de formes blanches,
Il n’y a de neige douce,
Que cette peau de rousse,
Et vers nous elle penche.
Souffle une brise dans tes cheveux,
- As tu froid, ainsi découverte ,
- Quel message, portent tes lèvres entr’ouvertes ?
- Que nous confient tes yeux ?
Tu prends tout l’espace de la vision
Occupes la totalité du paysage,
Nous protégeant des orages ,
de leur sourde invasion :
Prenons nos désirs pour la réalité,
Allons nous réfugier sous le parapluie,
De son corps : un prélude à la nuit,
> Indulgence et sensualité .
Une ondulation des hanches ,
Répand des sourires sur la ville,
Le creux de ton nombril est une île,
Où pas un cyclone ne se déclenche .
Et de ces syllabes à détacher,
S’il faut parler mété-o,
Je préfère t’aimer haut
Ayant quelque mal à m’arracher
A l’humaine condition …
Pour admettre que les caresses,
Conviennent aussi aux déesses ,
( et qu’il peut pleuvoir en émotions ).
–
RC – sept 2015
Freddy Taminiaux – Dis moi pourquoi
Dis-moi pourquoi
Maintenant que mes jours
tremblent un peu
dis-moi pourquoi
aujourd’hui
je vois des étoiles
dans tes yeux
Dis-moi pourquoi
le soleil descend
tout doucement
au fond de ma gorge
en parfumant les mots
de tendresse
juste avant que sur mes lèvres
ils naissent
Dis-moi pourquoi
le monde qui s’ aventure
sous mes paupières
est bien plus beau qu’ hier
Si tu le sais
alors dis-moi pourquoi
maintenant
que ma vie s’ amenuise
pourquoi
j’ entends beaucoup mieux
lorsque je ferme les yeux.
–
Patti Smith – sur la mort de Robert
C’est le tout premier texte de son ouvrage » just Kids »... elle évoque le décès de Robert Mapplethorpe… « Foreword » ( préambule).
—

photo: Robert Mapplethorpe – Javier – 1985
J’étais endormie quand il est mort. J’ avais appelé l’hôpital pour lui dire encore bonne nuit, mais il avait disparu sous des couches de morphine.
Je tenais le récepteur et j’ai écouté sa respiration laborieuse à travers le téléphone, sachant que je pourrais ne jamais l’entendre à nouveau.
Plus tard, j’ai rangé tranquillement mes affaires, mon cahier et stylo. L’encrier de cobalt qui avait été le sien. Ma coupe de Perse, mon coeur pourpre, un plateau de dents de lait.
J’ai monté lentement les escaliers, comptant les marches : quatorze , l’une après l’autre.
Je tirai la couverture sur le bébé dans son berceau, embrassai mon fils endormi, puis me suis allongée à côté de mon mari et ai dit mes prières.
Il est encore en vie, je me souviens avoir chuchoté. Ensuite je me suis endormie.
Je me suis réveillée tôt, et alors que je descendais l’escalier, je savais qu’il était mort. Tout était calme, il y avait encore le son de la télévision qui avait été laissé dans la nuit. C’était sur une chaîne d’arts . Il y avait un opéra .
J’étais attirée par l’écran quand Tosca a déclaré, avec puissance et tristesse, sa passion pour le peintre Cavaradossi. C’était une matinée froide de Mars et j’ai mis un pull.
Je levai les stores et la lumière est entré dans le studio. Je lissai le lourd tissu de lin drapant ma chaise et ai choisi un livre de peintures de Odilon Redon, l’ouvrant sur l’image de la tête d’une femme flottant dans une petite mer. Les yeux clos. Un univers pas encore marqué ,contenu sous les paupières pâles.
Le téléphone a sonné et je me suis levée pour répondre.
C’ était le plus jeune frère de Robert, Edward. Il m’a dit qu’il avait donné un dernier baiser à Robert de ma part, comme il l’avait promis. Je restai immobile, frigorifiée; puis, lentement, comme dans un rêve, je suis retournée à ma chaise. A ce moment, Tosca a entamé le grand aria «Vissi d’arte. » J’ai vécu pour l’amour, j’ai vécu pour l’art. Je fermai les yeux et croisai mes mains.
La Providence avait choisi comment je pourrais lui dire adieu.
–
PS
–
(traduction RC )
–
I WAS ASLEEP WHEN HE DIED. I had called the hospital to say one more good night, but he had gone under, beneath layers of morphine. I held the receiver and listened to his labored breathing through the phone, knowing I would never hear him again.
Later I quietly straightened my things, my notebook and fountain pen. The cobalt inkwell that had been his. My Persian cup, my purple heart, a tray of baby teeth. I slowly ascended the stairs, counting them, fourteen of them, one after another. I drew the blanket over the baby in her crib, kissed my son as he slept, then lay down beside my husband and said my prayers. He is still alive, I remember whispering. Then I slept.
I awoke early, and as I descended the stairs I knew that he was dead. All was still save the sound of the television that had been left on in the night. An arts channel was on. An opera was playing. I was drawn to the screen as Tosca declared, with power and sorrow, her passion for the painter Cavaradossi. It was a cold March morning and I put on my sweater.
I raised the blinds and brightness entered the study. I smoothed the heavy linen draping my chair and chose a book of paintings by Odilon Redon, opening it to the image of the head of a woman floating in a small sea. Les yeux clos. A universe not yet scored contained beneath the pale lids. The phone rang and I rose to answer.
It was Robert’s youngest brother, Edward. He told me that he had given Robert one last kiss for me, as he had promised. I stood motionless, frozen; then slowly, as in a dream, returned to my chair. At that moment, Tosca began the great aria “Vissi d’arte.” I have lived for love, I have lived for Art. I closed my eyes and folded my hands. Providence determined how I would say goodbye.
François Corvol – Après l’errance
–
Parfois, fatigué de ces mondes intérieurs
Repu, ennuyé, blasé
J’ouvre lentement les yeux
Lentement afin de supporter
Le violent et serein éclat de notre soleil
Ainsi qu’un voyageur revenu du pôle après un long séjour
Retrouvant les plaines, les arbres
Tout ce qui est vert et tout ce qui se meut
Ressent l’immense vitalité
Se soulever en lui
Ainsi qu’un homme retrouvant son foyer
Après l’errance d’entre les nuits
De la même manière je recouvre le monde
Chaque jour
Chaque minute
Après les yeux fermés
Après l’avoir réinventé
Herta Müller – L’homme est un grand faisan sur terre ——–( petit extrait )
–
Windisch ferme les yeux. Il sent la courbe de ses yeux entre ses mains. Ses yeux qui n’ont pas de visage.
Avec ses yeux seuls et sa pierre dans la poitrine, Windisch dit à haute voix : « L’homme est un grand faisan sur terre. »
Ce que Windisch entend, ce n’est pas sa voix. Il sent que sa bouche est nue. Ce sont les murs qui ont parlé.
–
Herta Müller avec ce récit poignant et très imagé, obtient le Prix Nobel pour « L’homme est un grand faisan sur terre »
La tête du monstre de fer – ( RC )
photo perso: oeuvre du sculpteur A Jakovskis 2001 – europaparkos Vilnius
–
Au détour de forêts mystérieuses
Les rideaux du soleil
Accrochés dans les brumes
Entre les troncs.
Bien sûr, ce qui vient à l’esprit
« les fées sont d’exquises danseuses » *
Et les doigts de lumière
Evoquent les légendes .
Celles des esprits des bois ;
Les marches taillées dans le granite,
proches d’un sommet
servant peut-être
A enjamber
L’échelle des siècles.
Un rituel du sang
Réservé aux initiés.
En progressant de clairière en clairière,
J’ai rencontré le monstre de fer.
Je ne peux expliquer comment
Sa tête seule , échoua là ….
Ni quelle bataille,
Avait déchiqueté le temps. .
La tête seule me regardait
de ses yeux vides .
La rouille déjà progressait
De jeunes pousses proliférant ;
La nature reconquiert ses droits,
Quelques décennies plus tard ,
Elle finira par digérer la face de métal.
Le corps décapité ayant continué sa marche,
Quelque temps, pour finir, avalé par l’étang voisin
Maintenant parcouru par des canards .
–
RC- oct 2014
- les fées sont d’exquises danseuses ,est le titre d’une pièce pour piano de Claude Debussy
–
L’acteur a disparu, dans un tourbillon – ( RC )
C’est une vue qui suggère la chute .
Cela pèse, un désir qui grandit
Mèle le sentiment de vertige,
Et l’attirance des couleurs .
Bien entendu, quand on les pose sur la toile,
On ne s’en rend pas compte tout de suite .
C’est un état de veille,
Où l’ extérieur n’émeut plus.
La respiration manque.
C’est sur le fil du labeur ,
Que se construit l’ équilibre.
Toujours précaire.
En fait le peintre a franchi le bord.
Le bord du vide, … depuis longtemps
Un sommeil éveillé,
Empêche qu’il chute .
Et d’ailleurs , sa vue n’emprunte pas
Les chemins de ses yeux ,
Comme si quelqu’un voyait à travers lui,
Et lui guidait la main.
L’inconscience parle,
Regarde à sa place,
Déplace ses gestes,
Maintient suspendu, son souffle .
Quand le vertige se dissipe,
Le corps se recompose,
Traverse son écran d’âme ,
Il retombe sur ses pieds.
Ne se souvient plus du vide,
S’il s’est envolé, ou a chuté…
Il regarde la toile .
Elle est achevée …
Il ne peut dire qu’il l’a rêvée,
La matière de la peinture en témoigne.
Elle colle encore aux doigts .
Cà sent la térébenthine.
Le regard s’ouvre,
Et avec, parfois le doute….
Comment pourrait-il avouer,
– » Ce qu’on voit n’est pas de moi ?
Je n’ai que disposé des couleurs,
« dans un certain ordre assemblées » « ….. ,
D’avoir déclenché une action .
– Il se remémore la chimie,
Les produits mis en contact,
Neutres, se cotoyant dans le récipient…
Il fallait un catalyseur
Pour que la réaction commence… –
« Je ne l’ai pas contrôlée…
Comme l’apprenti sorcier…
Veuillez m’excuser…
– Chacun peut commenter
… Si cette œuvre, est la mienne
Elle m’échappe encore…
J’ai connu ce privilège
D’en être le premier spectateur…
L’acteur a disparu dans un tourbillon,
J’ai rendez-vous avec lui…
Dans un jour, dans un an … ?
Pour la prochaine toile… »
–
RC – sept 2014
Celle qu’on ne peut plus rattraper – ( RC )
–
Tu vois, je t’ai écrit,
Enfin , après des années,
Et des feuillets éparpillés,
Des jardins de papier,
Des ratures et des gros mots…
Je suis allé boire à la source,
Remonter le cours des histoires,
Et les pieds mouillés,
Face à mon miroir,
Je t’ai perçue par-derrière,
Happant mon reflet,
Les cheveux en bataille,
Prenant dans tes mains diaphanes,
La danse de mon âme,
Leurrée par ton regard.
Et j’ai trempé la parole dans l’encre,
Maladroit, et incertain,
Encore ahuri de la nuit, ce matin,
Répandant sur les pages blanches,
Les empreintes de mes mots.
Un temps sans cruauté,
Où les phrases jaillissaient
Avec difficulté.
Une petite récolte, glanée,
Reconquise à ta mémoire.
Mais finalement,
Après quelques essais,
Et ces pages rassemblées,
Je ressentais déjà le parcours de tes yeux,
Etreignant mes lignes.
Tu vois, je t’ai écrit,
J’ai fini le reste de la cafetière,
Le temps s’était dilué
Avec le fil du récit,
Qui t’était destiné.
Je n’ai plus que quelques pas à faire,
Pour achever l’entreprise,
Et glisser dans la boîte,
Cette lettre.
Après une dernière hésitation…
J’ai entendu le petit floc ! ,
Une fois lâchée…
Je ne pourrais plus alors
Interrompre son voyage .
….Une parole émise, qui se déplace,
Et qu’on ne peut plus rattraper.
RC – avril 2014
Aveugle – ( RC )
–
Tu tiens la balance,
A peser les étoiles,
J’en sens la caresse des rayons,
Ils me relient quelque part,
Au chant de l’ailleurs,
Que je ne perçois pas,
Ou juste à tâtons …
Mais ta voix me parvient.
Elle est une bonne étoile,
Et me permet de traverser,
Des champs, où les blés,
Ondulent dans le noir.
J’ignore la forme de ton visage,
Mais je reconnaîtrais entre mille,
Le grain de ta peau,
J’ai juste des yeux au bout des doigts,
Même s’ils ne voient pas .
–
RC- avril 2014
Oiseau mécanique – ( RC )
On dit que tu as tout ce que tu veux
Et un oiseau mécanique merveilleux,
Aux ailes incrustées d’émeraude,
Chante à la place d’un vrai.
Ton oiseau est de couleur verte,
Il est au centre de tes richesses,
Tu ne regardes qu’elles;
Et ne me vois pas.
Tu es fasciné par son chant
Par les reflets des cristaux,
Toutes ces choses précieuses,
Dont l’abondance te cache l’univers.
> Le monde tel qu’il est
Est bien loin de toi;
Tu ne m’entends pas,
Mais seulement le chant de cet oiseau.
Dès que tu ouvres la boîte,
Inscrustée d’ivoire et de nacres
Que tu tournes la clef,
Attendant son tour de piste .
Mais un jour le ressort casse,
La belle mécanique se dérègle,
Le précieux automate reste figé,
Désormais inutile et grotesque.
Tu découvres soudain,
Qu’un vrai rossignol,
Se balance sur une branche,
Face à ta fenêtre.
Libre d’aller et venir,
Il attendait ton réveil,
Et que ton regard se pose sur la nature,
Où les ors et vermeils ne sont pas nécessaires.
On dit que tu as tout ce que tu veux,
Mais les biens matériels ,
Finissent par te masquer la vie.
Ouvre donc la fenêtre.
Il y a un ailleurs,
Qui s’étend loin autour
De ton château.
Tu m’y verras peut-être, maintenant.
Il suffit d’ouvrir ses yeux,
Et ses oreilles, aux rossignols,
Un coeur ouvert aussi
Au reste du monde.
—
– Librement inspiré du conte » le rossignol et l’empereur » ( Andersen),
et de la chanson des « Fab Four »: » And your bird can sing ».
–
RC- mai 2014
–
Quand la lumière ne vient plus – ( RC )
–
Quand la lumière ne vient plus,
Ou qu’il n’est plus possible,
De la percevoir
Si je n’y accède plus,
–
Elle serait quelque part,
– Suspendue, –
Invisible,
Je ne pourrai plus la toucher,
–
Comme elle, nue,
Quand elle caresse les formes,
Et ondule sur la matière…
Elle a tant donné de chaleur,
–
Et , de toutes les couleurs,
Que je l’ai imprimée,
Au fond de ma mémoire,
Si, plongé dans le noir,
–
Je ne peux que l’imaginer,
> Avec mes yeux soudés,
A jamais,
Je ne pourrai que regarder,
–
A l’intérieur…
Un « jour » viendra, alors
Invisible, emporter mon corps,
Mais j’aurai en mémoire,
–
Malgré mon désespoir,
La conscience de son prix,
Ne pouvant m’accrocher , à rien d’autre,
que mon cri…
–
…. Encore un peu de vie,
Avant de sombrer,
> Dans la nuit.
– Incitation: Brigitte Tosi: Un jour la mer.
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RC – 26 novembre 2013 –