Thomas Vinau – Nos cheveux blanchiront avec nos yeux

Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ?
Des fils de laine dans sa petite main. Des murmures
quand tu t’endors. De la chaleur sur les crépis.
Du givre blanc sur les pare-brise. Du brouillard qui
monte doucement. De la montagne de linge sale. Du trou
d’argent de la pleine lune. Du pigeon déchiqueté
par le chien. Du panache de l’écureuil. Des brindilles
fraîches dans mes mains. De trois roses jaunes
dans le jardin. De la prestance des bêtes dans les champs
glacés le matin. Des vignes oranges. Qu’est-ce que
j’en fais moi de tout çà ? Du miel qui colle sur la table.
De ta voix brisée par le froid. De ses mimiques quand
il s’endort. Des cheveux qui lui manquent derrière
la tête. Des grands projets de grands bonheurs.
Des petits rêves sur l’épaule. De l’avenue froide et trempée.
Qu’est-ce que j’en fais moi de tout çà ? De toute
cette boue, de tout cet or. De cette impression qui m’étreint
lorsque je me déshabille dans le couloir avant de vous
rejoindre dans le noir. De cette façon de marcher
sur la pointe des pieds. De mes gestes gauches.
De mon amour maladroit. De la roulette russe du temps.
De la fatigue et la colère. La joie béate et l’impuissance.
La peur de gâcher ou de perdre. Qu’est-ce que j’en fais
moi de tout çà ?
Thomas Vinau – Sun/sun

C’est pour ça que des hommes parlent fort.
Hurlent. Courent.
Et travaillent.
S’épuisent chaque soir.
C’est parce que c’est vide et c’est noir dedans.
C’est pour ça qu’on a appris à lire.
À écrire et à compter.
À souder et à conduire.
C’est pour remplir le noir dedans.
C’est pour ça qu’on court après un ballon.
Qu’on escalade une montagne.
Qu’on répertorie les papillons.
C’est pour ça que des hommes ont inventé dieu
et les ampoules électriques.
Ont construit des églises et des appartements.
C’est parce que c’est noir dedans.
Thomas Vinau – de ce côté-ci du ciel
photo Bruno Daversin ( Cévennes )
De ce côté-ci du ciel ne perdure qu’une miette, une impression rosâtre, un soupçon de nuage qui disparaît avant d’y accrocher un seul mot.
De ce côté-ci du ciel, le crépuscule est venu me chuchoter que le temps nous rattrape comme un ogre affamé, que dès que je m’assoie il a les dents qui poussent, que la poussière attend, patiente, que chacun lui revienne.
De ce côté-ci du ciel, le vent a battu la cadence pour que l’obscurité avance jusqu’à me piétiner la tête de ses chaussons brillants et laisser dans mes cheveux des paillettes embrumées, des sentiments d’étoiles.
De ce côté-ci du ciel, les parfums se mélangent dans le grouillement du monde. L’air se frotte à la terre. Les arbres s’enlacent entre eux et l’eau creuse des lits sombres pour l’amour des poissons.
De ce côté-ci du ciel, la lune gomme le fracas des hommes, elle efface tendrement les vestiges du vacarme et la terre se repose un peu pendant qu’une poussière explore le monde sur le dos sombre de la lumière.
De ce côté-ci du ciel, les ailes des chauve-souris qui lui chatouillent le ventre font frissonner la nuit et son rire délicat est comme une prière, une chanson lancinante qui nous dit que le vide est le seigneur du monde.
Thomas Vinau – Quelque chose
Il y a quelque chose en lui
d’un enfant mort
qui se battrait
avec un vieux chat
Quelque chose de poussière et de cendre
de murmure et d’oubli.
il y a quelque chose en lui
qui chante
comme un Indien s’en va.
Quelque chose
de la bête qui fuit
de l’ironie d’un ciel
d’une petite brûlure
quelque chose
d’un méandre qui gonfle
d’un complot qui s’ourdit
D’une tempête perdue
dans les yeux d’une fille.
quelque chose de tendre
qui crie .
Thomas Vinau – Manoeuvre
( dédié à Thierry Metz )
La lumière va à la pelle
manoeuvre de nos yeux
de nos creux de nos bosses
la lumière tient la pelle
je creuse
Thomas Vinau – Ni foule, ni meute
– sculpture médiévale – photo perso -Musée Fenaille Rodez
Ni foule
ni meute
mais plutôt
un troupeau
pâle et rose
transhumance
de nos petites
forces vives
qui traversent
les neiges grises
entre mes yeux
et tes sourires
Thomas Vinau – Sous la table
A hauteur des chiens
des ivrognes,
des enfants
là où les genoux
font des sourires
là où les bas nylons
posent des questions
là où l’on finit
par comprendre
que la curiosité
est le plus joli
des vilains défauts .
T V
Thomas Vinau – Fais un voeu
– photo novaplanet
–
Elles n’apparaissent
jamais
au bon moment
ces étoiles là.
Tu étais triste
sans trop savoir
pourquoi.
Je t’ai serrré
dans mes bras
j’ai levé la tête,
et je l’ai vu
balafrer le ciel
et venir s’éteindre
au milieu de tes larmes
en faisant le bruit
d’une cigarette
dans un évier
Elles n’apparaissent
jamais
au bon moment
ces étoiles là .