voir l'art autrement – en relation avec les textes

Bienvenue en typique parcours littératique

Parcourez, dialoguez, écrivez,échangez et dites nous tout ...

Nouveau

Pierre Lieutaghi – dans les moments du monde


photo steppe de l’Ouzbekistan

Avant les mots,j’étais ce blanc effiloché
incapable de rien à cause des alphabets d’oiseaux
et la nuit claire à bords perdus où tranquille on apprend
les règles bleutées du silence.

Dire ce qui n’appelle pas les mots tente souvent le plomb
l’innocence.


Toute pierre console de l’impatience
et plus encore celle qui s’est fait un front
contre cinq cent mille ans de pluie.

J’appuie mon front sur la leçon de temps
je reconnais mes parentés d’avant le bruit
d’avant la muséographie des sables.

Au-dedans est un nid de cristaux
pour le jour qui brisera.

Tant d’acquis à l’argile à la pierraille
poing serré sur le pommeau la crosse
qui sait ce qu’ils voulaient défendre ou conquérir
qui sait leur cri leur face sous le dernier ciel
peut-être à la clémence d’un milan
montrant le chemin d’oubli.

Depuis longtemps octobre a dispersé
qu’ils avaient nourri de feuilles on a brûlé
le bois suceur d’os les pies se sont lassées
des boutons des sous bientôt noircis.

La roche cependant demeure ici
lavée du sang mais pleine de mémoire
à son abri l’éternité aux yeux de poulpe
guette le passant sans passé.

Les arbres savent qu’il s’ouvre
pour chaque feuille un poing de pierre
dans le noir entre deux règnes
où les fourmis du dernier jour prêchent
au grès l’espoir sableux.

Si peu retourne à la terre
des impatientes passions
la saison s’en défait en pollen en samares
pas d’obsèques pour l’hirondelle
mais l’encre a traversé le faire-part
en filigrane on voit la mer
des larmes en tenue d’abeilles
passent vers les yeux à éclore.

Que doit-on à la peur de jour
règne au fond des falaises.

J’acquiesce à l’usure merveilleuse du monde.

Absolu bonheur incertain ligne visible
d’horizon entre accord et refus
on n’ose pas coucher sa tête
sur le billot du soir là
où ce qui se lève tranchant
délivre dépouille sépare.

Estampe d’un moment du monde
défaut des haches sous le soir
sans haine ni clémence simple moment
dans l’indifférence du temps
cela n’attend rien des mots mais va
guider plus loin leur passage.

Nul ne sait le projet des atomes d’instants
sinon franchir l’indifférence épaisse
jusqu’au cœur parfois tranquille.


Oublie les yeux plein d’alouettes
brise le sceau d’adieu
bouche empreinte sur la paume
fil du sourire
ne provoque pas l’ombre aux dés de mémoire
tient la main de l’alisier au bord du gouffre
le clair qui vient dans l’encre
dans le soir brûlé d’attente jusqu’à toi.

Tout ceci deviendra langue morte.
Mais l’image qui consigne les moments du monde
passe en sa jeunesse à l’inintelligible futur.
L’autre temps voit le même, comprend le nouveau.
Les mots encore tus s’y reconnaissent.
Ainsi va la grâce accordée à qui ose
encore offrir un silence propre
à la sainte face des jours.


–extrait de propos de campagne n°14 « correspondances »

Benjamin Fondane – nos rides poussent dans la glace


Nos rides poussent dans la glace

et le monde se refroidit dans notre sang…

Jorge Carrera Andrade – Les amitiés quotidiennes


Fenêtres, portes, lucarnes : amies intimes,
complices de mon évasion quotidienne,
messagères d’un monde clair et agile
qui pose sur les meubles son éclatant reflet.

La fenêtre est invitation incessante au voyage :
son fleuve d’air et de lumière débouche dans le ciel.
Dans ses profondeurs transparentes
plus d’un rêve a naufragé.

La porte évite ma présence et me laisse passer
dans l’éternelle attitude roide du soldat.
Ne déjouent sa consigne
que le jour et l’air.

Avec sa corde de lumière
la lucarne me hisse jusqu’au bord du ciel.
Les nuages et les pigeons domestiques
s’approchent en leur voyage de sa bouche de puits.

extrait de l’anthologie « poètes d’aujourd’hui ( Seghers )

Femme de vent – ( RC )


Femme de vent à l’âme secrète,
l’orage est ta chevelure,
je verrai presque ta tête
dans l’œil de l’ouragan

pendant un court instant de répit.

Bascule dans la saumure
l’errance de mon pays tropical.
Je t’entendrai hurler dans la nuit,
et pour me retenir de ta furie,
quand se déchaînent les éclairs,

mon corps se crispe sur les rochers coupants 
mes pieds lestés de plomb :
Les vagues projetées
s’en sont prises aux navires
dans l’étau de tempête.

Autant de dents
qui les déchiquettent
dans la tourmente :
spirale géante
d’une gueule béante

où l’horizon s’est dissout
le ciel éclaté
comme pulvérisé
de fragments de verre,
sifflements stridents de ta colère

qu’avons nous fait
pour la provoquer,
et qui invoquer dorénavant
pour t’apaiser,
… femme de vent ?

Martine Cheval – marches


Les marches sur les routes du soleil,
la lumière qui penche elle aussi,
vers les cailloux de contes à ramasser
avant que de les raconter.
Les marches en montagne, dans les bois, les vallées,
celle de l’Ourika et Oulmès,
Oukaimeden, Besse, l’Atlas et tant d’autres…

Les haltes des cabanes à construire
et les fleurs en couronnes à la manière des Russes :
les filles en princesses des contes qu’elles lisaient,
les garçons en « homme fleurs » de l’Arabie du Sud.

extrait de « Jardins d’enfants »

Hélène Cadou – Bonheur du jour


photo Ellen Hoverkamp

Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.

Yehuda Amichai – ton corps a gardé sa chaleur pendant longtemps


Montage Viki Olner

Les cheveux étaient les derniers à sécher.
Quand nous étions déjà loin de la mer, quand les mots et le sel, qui s’étaient mêlés sur nous, se séparèrent les uns des autres avec un soupir,
et que ton corps ne montrait
plus les signes d’une terrible ancienneté.
Et en vain nous avions oublié quelques choses sur la plage,
afin d’avoir une excuse pour revenir.

Nous ne sommes pas revenus.
Et ces jours-ci, je me souviens des jours
qui portent ton nom, comme un nom sur un navire, et comment nous avons vu à travers deux portes ouvertes un homme qui pensait,
et comment nous avons regardé les nuages avec l’ancien regard que nous avons hérité de nos pères ,
qui attendaient la pluie, et comment la nuit,
quand le monde s’est refroidi,
ton corps a gardé sa chaleur pendant longtemps, comme la mer.

extrait ( avec traduction automatique du site…)

Serge Marcel Roche – Variations neige


Et les années dansaient ce matin

avec les flocons gaiement derrière la vitre

villes visages heures ainsi tournoyant

dans l’air froid et ceux qui tambourinent

contre les carreaux selon le pouls

intermittent du souvenir toi

assis au bureau guettant le bruit

des pas fantômes sur la page neuve

l’approche au loin des voix profondes

avec une lenteur de neige

Martine Cheval – îles


Iles

photo R – îles de Tioman

les îles au thé et les îles citronnelle
Les îles d’ivoire
Et celles aux sables noirs
Les îles où l’on but l’eau de Perrin
les îles d’où l’on ne voulait plus s’en aller
Les îles transparentes
Les îles aux moines
Celles du nord et du sud, de l’ouest,
des tropiques et du golfe persique

Nos îles !

Isolées des terres d’où l’on venait,
chacune était un bout du monde
qui menait en bateau
nos envies d’évasion.

extrait de « jardins d’enfants » ed la Lauze 2005

Le baiser de la femme araignée – ( RC )


peinture  » woman » W De Kooning

C’est une femme aux mille ressources,
qui vit au sein de la peinture,
sous les couches de couleur…
Nous prend-elle dans sa toile,
nous enrobant de caresses drues,
où virevoltent les pinceaux ?
De la plage, la sérénité
des jours d’été semble s’éloigner.
Nous serons à notre tour
ce corps fragmenté
se débattant sous les vernis
et les baisers
de la femme araignée…

( réponse à un écrit de Louba Astoria sur Wilhem DeKooning )

Caroline Dufour – Saturation


peinture RC

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre

d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour

des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde

gorgé

mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente

· du site de Caroline D  » Si j’étais un arbre »

Heinrich Böll – se dérober à tous les risques


Il y a des artistes, des maîtres qui sont devenus de simples routiniers mais, sans se l’avouer à eux-mêmes ni le confesser à autrui, ils ont cessé d’être des artistes.

On ne cesse pas d’être un artiste en produisant quelque chose de mauvais mais à partir du moment où l’on commence à se dérober à tous les risques.

extrait de la plaquette  » Je veux le cheveu qui est tombé de la tête »

Carl Norac – prière pour le soldat Kostrowitzky


encre: Tadeuz-Kantor

la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
je n’ai pas encore mis
de mots sous les cailloux
j’écris « je suis vivant »
tout en fermant les yeux
la mort me suit parfois et je lui dis
patiente
tous les matins je suis vieux mais les soirs
je m’enfante laisse-moi jouer un peu
dans la cour des grandes ombres
patiente ô sage mort
écoute si ténu
le bruit de l’encre bue
sur cette page
et puis dors

( extrait de « une valse pour Billie » )

Le ruban noir – ( RC )


J’ai vu cette main en gros plan,

posée sur un membre,

ou un corps  souple .

Peut-être  était-ce celui d’un autre

plutôt que celui de  la personne  

à qui appartient la main.

Rien ne l’indique .

Ou peut-être  une  petite  différence 

de pigmentation de la peau  :

Les doigts sont face à nous .

La main repose, légère,

abandonnée.

Lassitude,  tendresse ?

Elle s’enfonce apparemment 

dans la peau, souple, accueillante.

Mais les ombres sont  pourtant assez marquées :

elles tirent sur le mauve.

Ce qui surprend , 

c’est  aussi l’ombre portée du bras

sur l’arrière plan,

placé précisément sur l’axe diagonal du tableau ;

comme si  celui-ci était plaqué

sur la surface  d’un mur, 

donc n’ayant pas l’espace nécessaire

pour qu’il puisse se poser

sans faire une  contorsion.

C’est une main féminine, 

et le torse,  horizontal,

si ç’en est un, 

montre un petit grain de beauté  

au niveau du pouce :

cela fait un ensemble empreint de douceur, 

mais l’arrangement de l’ensemble

ne semble pas tout à fait naturel :

la position rappelle un peu

celle de la main de l’Olympia,   de Manet.

Le titre attire notre attention

sur un ruban noir étroit,

noué au niveau du poignet.

C’est un détail, 

qui réhausse le côté un peu blafard de la chair;

et on se demande s’il y a un sens particulier,

donné par sa présence:

s’il était placé plus haut, 

ou ailleurs, 

plus  épais, d’une teinte différente.

Si le nœud  n’était pas si  apparent…,

et s’il n’y avait rien du tout,

seulement  son empreinte  ?

Comme un ruban du même type 

est aussi présent dans l’Olympia,

mais autour du cou, et noir également

c’est une similitude,

comme l’oblique  du bras,

qui n’est peut-être pas  fortuite ,

et on s’attendrait sur d’autres  toiles,

à des rapprochements similaires…

Plus proches des insectes que des étoiles – ( RC )


Je multiplie les voix,
colle mon oreille sur le sol.
J’entends le crépitement de l’univers
à même la terre.

Viennent des vibrations,
et l’enfance de l’herbe,
dont l’enthousiasme se nourrit
du temps et des vents.

De petits riens
que la pluie dépose.
Des feuilles s’ébrouent,
se développent et se ternissent.

C’est dans l’ordre des choses,
ainsi l’éclosion des roses,
leur parfum suave
comme l’éclat des astres.

Je ne vais rien décrire,
la couleur existe,
vibre de lumière,
elle se passe de moi.

Le monde est un chapiteau,
et le spectacle est à deux pas.
Nous sommes plus proches des insectes
que des étoiles.

Rainer Maria Rilke – Élégies de Duino (extrait)


peinture Fra Angelico – Annonciation

Et qui, si je criais, m’entendrait donc depuis les ordres
des anges ? Et quand bien même l’un d’entre eux soudain
me prendrait sur son cœur : son surcroît de présence
me ferait mourir. Car le Beau n’est rien d’autre que
ce début de l’horrible qu’à peine nous pouvons encore
supporter,
Et nous le trouvons beau parce qu’impassible il se refuse
à nous détruire ; tout ange est terrifiant.
Et donc je me retiens et ravale l’appel d’obscurs sanglots.

Ah, de qui pouvons-nous donc avoir besoin ?
Ni d’anges, ni d’humains,
et les bêtes ingénieuses voient déjà bien
que nous ne sommes pas si confiants que cela
sous nos toits dans l’univers expliqué.

Peut-être qu’il nous reste
quelque arbre sur la pente,
où nous pourrions chaque jour le revoir ;
il nous reste la route d’hier
et la fidélité mal élevée d’une habitude
qui s’est bien plu chez nous et n’est pas repartie.

Ô la nuit, et la nuit quand le vent emblavé d’univers
nous dévore le front —


traduction de Jean-Pierre Lefebvre

Hala Mohammad – Le sourire qui n’a pas trouvé son chemin


photo Everett Egripos

Le sourire

Qui n’a pas trouvé son chemin vers mes lèvres

Les jours de bonheur,

Tel un vent silencieux

Telle une pierre tombale

Fend mon visage

Dans mon chagrin 

Mon corps lourd de la nuit – ( RC )


J’ai le corps lourd de la nuit
qui pèse à plat sur moi,

– ma doublure effacée par le sommeil-.

Un nuage m’entoure
me coupe le souffle.
Il est de plomb.

Entraîné par son poids
je décroche de mes rêves
pour chuter d’un coup

dans le présent,
éteignant
mes étoiles d’argent.

Plus fine que la dentelle des cathédrales – (Susanne Derève )


photo RC

Tout près si près

plus proche que le silence

plus pure que la fine dentelle

des cathédrales

plus chatoyante que le jade ,

l’aigue-marine,

palpite dans un souffle ,

juste au dessus de l’eau ,

une aile immense

de libellule…

Chemins dérobés- ( Susanne Derève)


Léon Spilliaert – Sur la plage

.

Qu’advient-il à prendre les chemins dérobés
du poème  ?
Un égarement sans doute, une fugue entre les mains
ardentes du pianiste – l’ivoire sous les doigts – ,
une eau qui se referme,
un pas foulant le sable des étés

Semelles d’or que révèle la fuite
je ne retiens de l’absence
qu’une empreinte à demi effacée , tienne ,
qu’arase le vent des dunes,

le vent qui me jette en pâture ses averses de sel,
ses grumeaux d’écume ,
et les mots du poème qu’effaceront les brumes

Instant – (Susanne Derève )


Edward Hopper – Automat 1927

Au lever d’un  jour  incertain,

la vitre me renvoie une  image figée 

que noient   les verts humides du  matin,       

la ligne bleue des toits sagement alignés,

un paysage urbain

On croirait entrevoir un tableau  de Hopper : 

silhouette oisive  accotée au  comptoir

d’un bar ou d’une chambre vide

un mannequin de cire aux prunelles livides

au  regard  orphelin  …

Ce n’est  que mon reflet traquant mes rêves

souterrains,

la table de cuisine  et le pain

une tasse jaunie  où tiédit le café :       

                le même néant  sans objet.

À  tasse vide  coupe pleine,

trinquons aux  instants  qu’on égrène

… comme des pans  d’éternité

Comme chez Francis Bacon – ( RC )


Si c’est la chair abandonnée,
de peine, de joies, de rages,
l’éclairage cru, d’otage,
le sang égoutté
lentement dans la nuit,
cette grande baignoire
où la vie s’enfuit
d’un coup de rasoir.

Difficile ainsi de se représenter
en auto-portrait….

  • plutôt se filmer là,
    devant la caméra :
    machine sans émotion
    oeil indifférent
    où s’installe l’espion
    de nos derniers instants

( Pour ceux qui aurait du mal à le croire
en léger différé – vous pourrez revoir
la vidéo prise ce soir là ) :
une fleur pourpre s’étend
lentement sur le drap ,

  • un bras pend
  • et la lumière s’éteint

Bacon aurait pu peindre
cet évènement sur la toile:
une pièce presque vide

  • un fond bleu pâle
  • une sorte de suicide
    sous un éclairage livide
    cru dans son contour électrique
    une ampoule laissée nue
    ( on dira que cela contribue
    au geste artistique ).

Un corps semblant inachevé
aux membres désordonnés
exhibés comme dans une arène
livré au regard obscène
alors que , pour tout décor
l’air brassé par un vieux ventilateur
tourne lentement encore
dans d’épaisses moiteurs

La peinture a de ces teintes sourdes
comme enfermée dans une cage
On n’y rencontre aucun visage
c’est une atmosphère lourde
de senteurs délétères,
dont elle demeure prisonnière.


Même exposée dans le musée,
elle sent le renfermé …

voir au sujet de F Bacon, cette étude….

Bornéo – ( SD/RC )


Raoul Dufy – Le cargo noir

et une version plus récente du texte de R C

Jean Dufy – Port du Havre

Ils ont croqué le jour – (Susanne Derève)


Coquillages, 1920

Raoul Dufy – coquillages

 

 

Ils ont croqué le jour                                                                                 

de leurs  quenottes blanches

et ri jusqu’au-dedans des nuits

 

Mais le matin leur va si bien

– les tartines beurrées et les fruits du matin –

 

et les frasques du jour roulant leur robe

                                                 de turquoise

 

                      

l’air ,  la mer,  le  ciel ,  la conque grise

                                                des nuages

Ont-ils  jamais prêté l’oreille ?

 

De la paume des coquillages

nait  le vent

l’espace infini du vent

bercé du  blanc roulis des vagues

traçant ses roses de sable

jusqu’aux portes de l’océan

 

Eaux vives,  routes de sel

Pressés, ils ont mordu le cœur orange

de midi

de leurs dents blanches

ils ont fini de dévorer la nuit

 

 Prêteront-ils   jamais l’oreille  au murmure 

des jours enfuis ?

 

 

 

Géographie du silence – (Susanne Derève)


 

 

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 peinture : Nicolas de Staël 

 

 

Silence

pas tout à fait la paix      une attente

les bruits assourdis de la vie fusant dans  la lumière du jour

qui ne l’amenuisent pas

l’étreignent

 

comme une bulle vient crever  la surface de l’eau

on ne sait plus  si c’est  un rêve

ou juste    son lointain écho

 

Il arrive que le ciel soit si bleu

qu’il vous inonde

Soleil de plein été chassant la grisaille du  jour

et   le jour  soudain une ronde  qui passerait

sans vous

 

un grand manège vide

dont  les chevaux de bois dansent  la gigue

dans un bruit de grelot

 

En êtes-vous le camelot, dans la comédia  del  arte

ou l’Arlequin désabusé

portant  le monde sur son dos

 

si loin que son pas l’entraîne

dans le clair-obscur  des nuits

à chercher les mots de l’enfance

– est-ce donc en  rêve qu’il poursuit

la géographie du silence ?  –

ou peut-être à gagner l’oubli

 

 

 

Otto Tolnai – la rose de Kichinev ( extrait )


Anne Leroy    Je ne suis pas mort, la famille  va bien.jpg

photo : Anne  Leroy

… et elle dit espèce de petit samouraï
et elle l’envoie chercher de la chicorée
mais le garçon simplet ne va pas chercher de la chicorée
petit âne têtu qui s’amourache
attend sa mission
l’oncle Béla de Kichinev l’aidera
à recarrier la meule de roses de sable —
bien sûr c’est déjà le sujet d’un autre
poème et peut-être que cela encore pourrait être le sujet
d’un poème à venir
(qui croirait que la poésie pure aussi est ainsi
que la poésie pure est autant thématique)
dans cet autre poème il serait révélé
que ce serait moi le garçon simplet
que la directrice envoie chercher de la chicorée
et il apporte de la chicorée
et nous buvons de la chicorée
et l’odeur de la chicorée s’infiltre
dans le reste de l’hospice
et quelqu’un s’accoude
l’oncle Béla de Kichinev s’accoude lui aussi
pourtant il est perclus
et il dit qu’il sent l’odeur de la chicorée
et ça c’était la vie
parce que la rose d’inde puante est belle
tout comme l’odeur de la julienne aussi est belle
tout comme l’odeur de la bouse de vache fraîche
tout comme l’odeur salée de sperme
de l’huître aussi est belle
mais ceci est le mystère
de la belle vie

personne ne connaît le mystère de la vie
tout le monde croit que c’est plus compliqué
bien que ce soit plus simple
le mystère de la vie est plus simple
personne ne connaît le mystère de la vie
parce que c’est cela le mystère de la belle vie
elle avait une odeur de chicorée
et alors je serais vraiment le garçon simplet
comme le petit Tibi Vigh l’aveugle
tout comme  Jonathân Batta avec son basedow azur
parce qu’il y a un hospice dans l’asile psychiatrique
alors ce serait vraiment moi le garçon simplet
parce que j’ai l’habitude de faire un saut pour de la chicorée
parce que je suis le garçon simplet à la chicorée
parce que si tu n’arrives pas à Kichinev
pour Ouigorod avec la rose de Jéricho
il reste encore petit samouraï
il reste encore une mission
petit âne qui s’amourache
j’ai toujours voulu être un poète
avec une mission lointaine
si je meurs dans l’hospice
enlève-moi mes braies

la « rose de Kichinev » est extrait d’une parution des éditions   » le temps des cerises »

A l’heure où reflue la marée – (Susanne Derève)


 

 

lande-bretagne-henri-moret

    Henri Moret – Lande bretonne

 

 

 

Il me reste à brûler  quelques roses flétries

et les hampes rouillées des acanthes

à tailler de grandes coupes dans les blés

 

pour rejoindre les prairies rases de Juillet

la lande rouge  les bruyères

jusqu’à  l’estran  à l’heure où reflue la marée

            

Il me reste à sonder  le ciel sans espérer 

y distinguer rien d’autre qu’un fin brouillard  d’été

–  il tient  lieu ici de beau temps  –      

 

Que le soleil darde enfin  un rayon blanc

alors le voile se déchire

et la renverse du courant dessine des moires                                  

tremblantes  où chavirent les bois flottés 

 

Il me reste  la nuit tombée  à suivre  l’oblique

 faisceau  des phares dans le reflet laiteux

 des vagues pour franchir  la  dune où zigzague  

blafard un  dernier rai de lune

et sonner le départ

 

 

 

 

Petit astre – ( RC )


 

 

 

J Pierre Nadeau   villa Tamaris.jpg

dessin J Pierre Nadeau

 

Je joue à cache-cache avec la nuit,
je disparais quand elle arrive,
car elle étend des draps noirs,
pour que la terre se repose.
Moi, je continue de l’autre côté
sans jamais me lasser,

Vénus et les autres voudraient s’approcher,
et se dorer à mes rayons,
mais comme on le sait les planètes
attendent qu’on les invite,
et patientent sur leur orbite ,
à chacun leur tour .

Ça fait partie du protocole,
que chacun reste à sa place
car jamais je ne m’ennuie
ni ne me lasse
car mes voisins de galaxie,
m’envoient des messages codés.

Je ne sais jamais trop où ils sont
car l’espace se distend :
quelques années-lumière,
le temps que leur message arrive,
il faudrait que j’étudie leur trajectoire,
en tenant compte des trous noirs.

C’est beaucoup trop me demander,
Je me contente de rayonner,
et de plaire à ces dames:
je joue de toutes mes flammes,
tire des traits entre les étoiles
( c’est déjà pas mal ) !

Pas trop loin il y a la terre ;
– je ne fais pas mystère
de mes préférences – ,
alors je lui fais quelques avances,
bien qu’une lune soit sa voisine,
mais à part quelques collines

elle est plutôt déserte,
aussi c’est en pure perte
qu’elle étale des cratères,
qui franchement manquent de caractère:
( une sorte de boule de poussière
qui ne devrait pas beaucoup lui plaire ).

Par contre sur ma planète, je vois et des prairies,
des fleuves, des fleurs et des forêts,
dès que je suis levé, je fais des galipettes,
je dors quand j’en ai envie,
et tire une couverture
en ouates de nuages .

Mon voyage est silencieux,
il illumine tout ce qui se trouve
sur son passage ,
et je prends un certain plaisir
à lancer des rayons
vers ce qui semble être vide .

Rien ne se perd pourtant,
car j’en reçois d’autres
qui me parviennent .
Le temps n’a pas d’importance.,
il se recourbe, ainsi , à chaque fois
je renais à l’infini…


RC – avr 2019

Erri de Luca – la brebis brune


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photo denvedarvro  ( écomusée  du musée de Rennes )

 

 

La brebis brune

Est la première agressée par l’éclair et le loup,
le tour de mauvaise chance qui gâte la couleur uniforme
du blanc troupeau.
Le jour la chasse, la nuit l’accueille
dans le noir térébenthine qui dissout couleurs et contours
et fait qu’elle ressemble aux autres.
La nuit est plus juste que le jour.
Face au danger le cri le plus limpide est le sien,
sur la glace de l’aube c’est elle qui marque la trace.
Où passent les confins, elle seule longe la haie de mures
Qui fait frontière à la vie frénétique, féroce, qui ne donne répit.

La pecora bruna

È la prima aggredita dal lampo e dal lupo,
lo scherzo di mala fortuna che guasta il colore uniforme
del bianco di gregge.
Il giorno la scaccia, la notte l’accoglie
nel buio d’acqua ragia che scioglie colore e contorno
e fa che assomigli alle altre.
La notte è più giusta del giorno.
In faccia al pericolo il grido più limpido è il suo,
sul ghiaccio dell’ alba la traccia è battuta da lei.
Dove corre il confine, lei sola rasenta la siepe di more,
e chi si è smarrito si tiene al di qua della pecora bruna,
che fa da frontiera alla vita veloce, feroce, che tregua non dà.

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traduction par Antonio Silvestrone : voir son site 

Ludovic Degroote – réduire la distance


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il faut du temps
pour se conserver
réduire la distance
qui vous mène à vous-même
à travers ce qui disparaît .

Des rivières si profondes – ( RC ) – haïku


Les rivières si profondes,
tes yeux transparents,
la lune s’y reflète .

Et si le vent ne contenait aucune promesse (Susanne Derève)


Granville_Redmond_-_Morning_on_the_Pacific     

  Granville Redmond       Morning on the Pacific

 

 

Et si le vent ne contenait  aucune  promesse

S’il fallait rejoindre la mer

–  les rivières ne recèlent qu’un reflet trop pâle

 éphémère   du temps,     

de ce va et vient sur l’estran –

 

 

S’il fallait la rejoindre au-delà des estuaires

quand elle se déleste aux confins du rivage

de son trop-plein d’algues et de pierres

de  bois flottés   de coquillages 

 

 

Lorsqu’on atteint le large,  là est le vent

et sous le vent on largue à la mer 

les derniers repères il n’y a plus trace

de ce que l’esprit formait de rêves et

de chimères

Ou plutôt le rêve est là, il vit, il nous précède

Il bondit plus  bleu que le bleu des

pigments  d’outre-mer

 

 

Et si le ciel blanchit c’est simplement

que la lumière l’inonde

et c’est là que s’abrase la plus petite parcelle

de l’esprit rétif, comme à coup de canifs,

à petits coups de langue, un halètement

plaintif

 

 

Là, la fête commence,   les grandes épousailles

de la mer et du vent, on ne sait plus le dire,

ou peut-être les noces de l’espace et du temps  

pour embrasser le vide   

et d’y plonger on en est plus avide

d’immensité  alors on sait ce n’est pas un vain mot

que la promesse est là  de se couler dans le plus petit

interstice entre deux gouttes d’eau, deux esquilles

de vent sous la peau

comme la vague       toujours plus haut

 

 

 une vague etude PE ROSSET GRANGER

                 Paul Edouard ROSSET-GRANGER  « Une vague, étude »

 

 

 

Ile Eniger – Hors tout


Pleiades Star Cluster_ by Robert Gendler 2004_O.jpg

Pleiades Star Cluster_         by Robert Gendler      2004

Je veux une averse d’étoiles sur les villes sales, des arbres qui dansent dans les pas fatigués des passants, le tournesol d’une robe jaune sur la grisaille des tristesses, le souffle pur d’une terre haute, l’eau glacée d »un torrent éclatant de rire, des étincelles de nuit faisant battre le cœur des mots pour nettoyer celui des hommes, un petit matin clair, irrévérencieux, insolent, confiant, où des fées en espadrilles font le ménage du jour. Les fées n’existent pas mais leurs gestes perdurent. Et quand j’écris : « Je t’aime hors approbation, hors cadre, hors limite, hors tout« , ce sont elles qui me disent de ne pas avoir peur.

 

Ile Eniger – Solaire – (à paraître)

Horizons (Susanne Derève)


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         John Joseph Enneking  (Spring Hillside)

 

 

Un dégradé de jaunes et de verts
jusqu’à l’horizon
de genêts, d’ajoncs, de graminées légères
Être là
sans raison
sans autre raison que de se sentir vivre
vivant
 
de l’incroyable élasticité de la mousse
sous les pas
du tronc  lisse    clair
–  l’écorce cède sous les doigts  –
de la respiration profonde  du bois
d’une plume tombée à terre

 

Je sais que la source en est là
enfouie dans le bonheur des mots
Tenter  d’approcher ce qui est
ce qui demeure
et nous survit

 

Tenter de pénétrer l’instant
où l’émotion surgit
sans raison
il suffit d’en rester ébloui

 

Si les étoiles se dispersent
si les désirs d’enfant transpercent
la monotonie des jours
au sortir de l’averse
il y a cette trace lumineuse dans le ciel

 

Où qu’elle mène
j’en cerne  inlassablement le contour
au-delà des jaunes pastels
et des verts chancelants du jour

Petites pièces (Susanne Derève)


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 Berthe MORISOT  Jardin de roses (1885)

 

 
Pigeons
roucoulements du matin
tendresse

et le sommeil qui fuit
paresse
je reste au lit
                *
Soleil
c’était hier sous l’érable
chaleur    ombre
Mêlées

 

sommeil d’après-midi
bonheur d’été
                *
Roses blanches, roses rouges
auxquelles la chaleur sied
les hortensias bleus ont fané

 

L’orage gronde et rien ne bouge
                *
Mais ce matin
fraicheur et pluie
le bleu a disparu de la palette

 

tout est gris
C’est au loin que  l’orage a fui
               *
Changement de décor
dans mon tout petit monde
que Lodge me pardonne
mes emprunts

 

Ce n’est pas  la brume
qui monte

 

ce sont les vapeurs de la terre
et ses parfums
              *
Un espace un silence
demeurer ainsi
dans l’instant 
vide de sens

 

Espérer que l’éclat du soleil
ne le dérobe pas

 

ni le pas qui s’approche
ni la porte qui s’ouvre et grince
sur ses gonds
sursaut

 

Chercher le silence profond
même la nuit est un fardeau
                *

James NOEL (Des poings chauffés à blanc)


Le Paradis Perdu d'Haiti

Ernst JEAN PIERRE    Paradis Perdu de Haïti

                    Sous le manguier des femmes mûres 

Sous le manguier
des femmes mûres
je me mets un plâtre au cœur
maintenant ça bat
tout bas
bas bas bas
pour les jupes volantes
des femmes qui veulent
monter au ciel
au ciel bleu des cerfs-volants

maintenant
elles peuvent
croiser leurs bras
mâcher du chewing-gum
dire je m’en fous
et puis point merde
aux mots d’amour
elles peuvent tout dire
tout se permettre
moi je joue bien
aux mots croisés
elles peuvent prendre
leurs brosses à dents
ces femmes-là
elles peuvent prendre
une cigarette
moi j’aime bien
la mèche des femmes
des femmes qui fument
sans se cacher la chevelure
sans éteindre les feux de joie
elles peuvent jouir
si ça ne dérange
c’est à l’unisson
que naît la chanson
dans le naufrage

                           Confession des formes

La nature est confession de courbes
de montagnes qui se déplacent
à reculons

une femme enceinte a plusieurs veines
plusieurs identités
des densités multiformes
aérées par des respirations profondes
pour prolonger
les mouvements du monde

filles d’orfèvre qui cherchez des rayons d’or
pour vous parer en face du soleil
parcourez la terre dans le parfum du jour
et renvoyez dans le sommeil cette vapeur acquise
allez dire
paix sur les nuages
paix sur les fleuves

s’il pleut du miel
tendez-lui votre bouche

si c’est du sang
dites que vos mains sont bien trop frêles
pour empoigner la cueillette de l’épée
                         
Extraits du recueil  Des poings chauffés à blanc   (Ed Bruno Doucey)
                          James NOEL ( né en Haïti en 1978)

Patrick LAUPIN Il y a la terre ( Œuvres poétiques Tome II Ed La rumeur libre)


John Singer SARGENT   The black brook 1908

IL Y A LA TERRE, SOUVIENS-TOI  de tel ciel tel été, une ombre discordante et pure. Il y a la terre et l’eau, ce tremblement à peine perceptible du corps et des lèvres, une pâle buée, l’empreinte visible du temps. Mais ce n’est déjà plus. Ce ne sont  plus jamais ce cœur ni même cette voix. Notre vie est une part de ce que nous ne savons plus retrouver, non plus vers quoi nous ne savons nous retourner. Je n’imagine aujourd’hui rien de plus émouvant que cette rosée matinale sur tes joues, ces pétales de rose posés doucement sur tes lèvres, à l’orée de l’autre hiver. Le monde se referme, la lumière nous quitte et ne laisse rien. Nous demeurons. Devant. Im­mobiles, ouverts, vacants. Guettant l’alerte et le moment, le point du jour, la première aurore, si fragile, si proche, comme sous le coup d’une butée venue du fond des âges, la première déflagration dans la nuit humaine de la pensée.

.

Promesse (Susanne Derève)


 

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Cézanne  Le jardin des Lauves  (1906)

Promesse d’un vent clair
les feuilles argentées des peupliers
le vent calme
à peine un soleil
 
Enfouie  toujours – toujours –  l’attente
de ce qui serait
un bruissement dans l’air
le poids du silence
ce qui ne peut se dire
et qui pourtant se fait écho
pour un mot retenu un bruit un son
le louvoiement de la lumière
entre les branches
 
A cette place près du ruisseau
– et les pierres jamais ne mentent –
est-on de trop
cette  vie indicible sous les berges de sable          
ensevelie sous les roseaux  faut-il que toujours
nous tourmente ce qui n’est pas
ce qui n’est plus
le flot qui s’écoule et tarit
ces linges comme effeuillés comme
échappés aux doigts
et puis ce peu qui me reste de toi
après que se soient dissipées
les dernières franges de l’ivresse
                                          l’éveil
qu’ait reculé le jeu des ombres
pour faire place  au zénith
à cette torpeur violente dans la maturité
du jour
elle, seule, dénoue l’attente
sourde, elle que la lumière plombe,
qu’écrase le cadran des heures,
cette torpeur solaire avant que ne descende
le soir écartelé
dans  la douce plainte argentée des futaies
–  profonde  – dans le  vent léger
 
 

Louisa Siefert – il est des pistes


Résultat de recherche d'images pour "crepuscule nolde"

peinture   Emil Nolde :mer avec ciel rouge

 

Au clair soleil de la jeunesse,
Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru.

– Est-il sûr qu’un jour tout renaisse,
Après que tout a disparu ?

Pauvre enfant d’été, moi, j’ai cru !
Et tout manque où ma main s’appuie.

– Après que tout a disparu

Je regarde tomber la pluie.

Et tout manque où ma main s’appuie

Hélas! les beaux jours ne sont plus.

– Je regarde tomber la pluie…
Vraiment, j’ai vingt ans révolus.

 

Louisa SIEFERT « Les rayons perdus »
(Albin Michel)

Marcel Olscamp – Amants perdus


4936849634_abbcd74442 NYC - City Hall Park_ Various Artists_ Statuesque_L.jpgAmants perdus

Ils vont
marchant contre leur cœur
cherchant l’épaule
qui reprendra leur main

Ils veulent
serrer contre leur corps
la paume d’une étoile
le rouge de la nuit

Mais il faut
écraser nos regards
sous l’ongle de la lune
sous l’ombre de leur lit

 

 

Marcel Olscamp,   Les grands dimanches

Pépites, étoiles, boule de cristal – ( RC )


0002de DA.jpg
Montage: RC

Dis, t’as vu comme est petite
la terre, dans la boule de cristal  !
Tu la secoues, et des étoiles
comme autant de pépites.

Se posent sur tes paupières,
teintes d’un léger bleu :
et dessus,         tes yeux…
( je te vois ainsi à l’envers )….

Un peu de neige volète
mais  il ne fait pas aussi froid
qu’on le croit :
elle retombe sur ta tête .

Puis se repose
éparpillée sur ton image.
C’est ton visage
sous des pétales de rose .

Ceux-ci sont blancs .
Mais ce n’est pas l’hiver,
dans la boule de verre :
il y fait toujours printemps.

Et même si les saisons changent .
Il ne peut pas mourir
avec ton sourire .
Lui,  a quelque chose de celui d’un ange …

RC- septembre  2016

D’après  « pas vu ça ».. de R Desnos

Bassam Hajjar – maisons pas encore achevées


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Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.

Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.

(  Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte.        Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table.            Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes,

les numéros de téléphone, les adresses postales, la note de l’épicier, la facture d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)

 

extrait de  «  Tu me survivras – « 

La chaise rouge – ( RC )


 

Red, Yellow, Red 1969.jpg

peinture: Mark ROTHKO :  1957

 

 

Dans l’image a surgi

Le grain, la palpitation

L’émotion rougie

Presque la déflagration

 

D’ une barre courbe

Un signe du sombre

De puissance encombre

C’est ce rouge fourbe

 

Il n’est ni sang ni cerise

Se détache lumière

En donnant à sa guise

Forme à la matière

 

Un éclair de couleur

Traverse ma page

Un éclair de douleur

De la photo, l’otage.

 

Aux accents de lave

Des blancs et bleutés

Opposés, ameutés

Les autres sont esclaves

 

 

dec 2011  RC

 

photo: Chris Jones

Résultat de recherche d'images pour "national geographic red chair"

Et avec les « commentaires »…

  1. le rouge est la couleur de l’ensanglantement…
     » debout il y a trop de bruit
    à l’usine des dentelles…

    Alors je m’asseois »

    Là, sur la chaise rouge…

    Des bises Ren

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    12/19/2011 à 12 h 55 min Modifier

    • On peut avoir cette interprétation, moi, je la vois distincte ds autres couleurs, justement parce qu’elle est chaude

      0
  2. oui, et le sang, c’est chaud…et c’est la vie…j’ai toujours été impressionnée de celui qui coule en chacun de nous, mais dans le bon sens, je dirai…je n’aime pas le voir couler, parcequ’en génèral c’est  » mauvais  » signe, mais j’aime imaginer chaque humain comme un arbre empli de cet ensanglantement qui pulse et pulse encore..c’est ça qui m’est passée dans la tête avec la chaise rouge…et m’asseoir sur une chaise rouge, ça équivaudrait à m’ésseoir dans la vie…
    Sourires…
    En réponse à ce que tu viens de poster, un sourire avec de la lumière à l’intérieur..oh; oui, je vois ça parfois autour de moi, c’est absolument cadeau des sourires pareils…

    12/19/2011 à 14 h 42 min Modifier

  3. En fait j’ai écrit ça l’autre jour en pensant à une photographie que j’ai faite ( une diapo) sur laquelle j’aimerais bien remettre la « main ».. j’avais mesuré l’intensité de la couleur avec une cellule faite pour çà, et effectivement le rouge était « criant » de vérité…

    quant au sourire de E De Andrade, l’allusion sexuelle est criante aussi, j’avais même dans un de mes textes écrit quelque chose d’approchant avec un sourire « vertical »… il faudrait que je le retouve…. j’ai déjà idée où il peut être…

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    12/19/2011 à 15 h 09 min Modifier

  4. 2 choses:

    « Le rouge est la lumière dans le temps. »

    Rupprecht GEIGER

    et http://corpsetame.over-blog.com/article-1112-ceux-qui-restent-43321780.html

    pour un travail d’ Elke KRYSTUFEK

     

Reflet du toi à moi ( RC )


Afficher l’image source

Il y a bien encore, une ombre furtive ,

Puis cet homme, vu à contrejour.

Au quai voisin passait alors la rame de métro :

Il ne l’a pas prise, et reste debout

devant les sièges vides

aux couleurs acides.

–    A sa tenue, je me suis dit

  • je pourrais être lui –

Et dans le même temps,

Il a hoché la tête,

Et s’est sans doute dit

  • qu’il pourrait être moi .

Nous aurions pu échanger quelques mots,

Chacun sur son quai,

Les rails au milieu,

et même intervertir

ce qui se voit :

Habits , chaussures, lunettes,

Mais aussi ce que nous portons en nous,

La part la plus secrète

notre identité,

ne se limitant pas aux papiers.

Il aurait pu être moi,

Peut-être l’a-t-il été,

quelques instants.

mais sur chacun des quais,

La rame s’est arrêtée,

en un lent chuintement,

nous sommes rentrés dans les wagons,

Dans un même mouvement,

sans nous quitter des yeux.

Avant que les rames ne s’ébranlent,

chacune,

dans une direction opposée,

Et cet autre moi-même,

– Peut-être était-ce,

seulement mon reflet ?

>          Il y a des chances,

…qu’il se pose la même question.

RC-  23 août 2013

Bassam Hajjar – voyages et funérailles


fantasy_islands_fa09_015

Il n y a personne ici,
et ici
on n’appelle pas les tombeaux même
habités par les morts ceux
que les voyageurs laissent derrière eux tombeaux

mais points de repère
pour des voyageurs qui passeront par là
après eux
et laisseront à côté

une gourde, des vivres, des couvertures, et des traces de pas.

les Processions vers eux ne s’appellent pas funérailles
mais voyages,

les tombeaux au bord de la route
-mêmes inhabités ne s’
appellent pas tombeaux
mais mausolées.

(Comme si se présentait l’étranger, le passant, et laissait a
côté d’eux un foulard, un châle, un mégot, ou un caillou qu’il
choisit soigneusement comme souvenir, et puis qu’il jette sur
le tas de graviers et de pierres non pour laisser une trace mais
pour l’effacer car ni le mausolée n’est un point de repère, ni le
caillou ni l’étranger.)

Maisons improvisées dans l’étendue vide
pas encore achevées
et vides encore
d’ habitants.

Mais elles sont, depuis le commencement, habitées par le personnage
des souvenirs.

(Comme s’il n’y avait pas de mur et qu’avec cela, malgré cela,
on y ouvrait une porte. Comme s’il n’y avait pas de père, de
mère, d’enfants, et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
lits, des vases, des livres et une table. Comme s’il n’y avait pas
de salle de séjour et qu’avec cela, malgré cela, il y avait des
canapés, une table basse, une lampe, une télévision, des tiroirs
pour le papier à lettres, les journaux intimes, les numéros de téléphone,

les adresses postales, la note de l’épicier, la facture
d’électricité, la boîte d’aspirine, les stylos à encre, les crayons
à papier, le livret de famille, le vieux passeport, la boîte de
dragées et la vieille montre, la boucle d’oreille qui reste en
attendant de retrouver l’autre, le carnet, beaucoup de clés,
dispersées ou reliées par un anneau et personne ne se souvient
maintenant si elles ouvraient des portes et où sont ces
portes…)

ils ne s’appellent pas des tombeaux car personne n’y repose

de simples signes

celui qui passe, rapide dans sa voiture, tourne la tête vers eux

ou bien celui qui marche à côté d’eux,
distrait,

pas d’arbres hauts et plaintifs pour les entourer et les ombrager
pas de pierres debout
pas de noms
pas de murailles •
pas d’insignes
pas de sentiers.

Edifice d’un passage fugace ..
lorsque tu passes à côté de lui en t’éloignant
il s’amenuise doucement avant que le carrefour ne le dérobe

à tes yeux

avant que ne te dérobe à ses yeux
le carrefour.

Tu n’es rien
et ta parole est passagère, comme toi,
parmi des gens de passage

c’est pourquoi
je parle de moi,
moi,
qui ne passe pas souvent
dans ton horizon.

extrait final de  « tu me survivras »              ed  Actes/sud  2011

Le chemin du rivage ( RC )


viaduc landes.JPG

une image  que vous ne verrez jamais ailleurs, avec le pont de Douvenant, vers St Brieuc ( 22 )

 

Si le chemin, au bord  du rivage
S’allonge au gré  de mes pas,  c’est  errer
Contourner les pentes,    dominer les plages
Et emprunter celui des anciennes  voies ferrées..

La lumière est mouvante et se déplace
Au gré des courants d’air, qui poussent
aussi les ombres, que des nuées lasses
Déposent en bouquets de couleurs douces

Au delà des sables, les ajoncs
Et le rivage  qu’on situe par-delà la baie
Lorsqu’on passe le vieux pont,
Une distance qu’on franchirait d’un trait,

Si on avait les ailes  d’une mouette
A voir les  choses  de haut
En luttant contre l’air  qui fouette
le front,  au dessus des eaux.

Mais je continue la voie  étroite
Suivant les caprices de la côte, le contour
Ne connaissant pas la droite
En impose ses détours

A suivre obstinément le chemin,
Que je parcours sans hâte
Entouré de pins et romarins…
Mais voici que le temps se gâte  ….

C’est un prélude à la nuit
Lorsque le ciel  s’épaissit
Et qu’arrive aussi la pluie,
Sous un ciel obscurci

Que quelques lueurs parcourent…
Il est trop tard pour l’éviter
Et envisager le retour   …
S’il le faut, j’irai m’abriter

Pour l’instant, je poursuis ma route;
Des éclairs lointains l’illuminent
Et tombent,  éparses,  quelques gouttes
Tandis que je chemine …

Lentement, le paysage  défile :
La terre humide, à mon nez , se parfume
La baie  s’est emplie de brume,
On distingue à peine les îles…

Une lumière intermittente  traverse
Là-bas, la colonne d’un phare
Situé un peu à l’écart
Sous le rideau de l’averse

Dans ma poche, pour  écrire, quelques papiers
En hâte, pliés
Mais qui sont  déjà mouillés
Et d’un reste d’encre, souillés…

RC  –  30  juillet  2012

Ames au poids – (RC)


papyrus egyptien.. pesée des âmes

Des aventures en mythologies, beaucoup les partagent

Ce sont des dits, des légendes  ( et des commérages)

Qui se colportent, en générations, dans les mémoires

Et donnent en naissance,   de belles  histoires

 

La pesée des âmes  ( d’un poids négligeable)

Devait être comme l’or  ( assez rentable)

Bataille des chiffres et ——-marchandages

Et j’organise  un p’tit voyage  !!

 

Par convois entiers,  ou bien fusées

Les âmes sont partantes pour aller  au musée…

Mais y en a qui trichent, comme le Dr Faust

Préférant livraison lente plutot que « chrono-post »

 

Ayant vendu, comme on le sait, son âme au diable

Et afficher  en retour, un sourire aimable,

Qui pourrait convenir à Marguerite    – (elle lui fait la bise) …!

Et aux échanges, y a aussi le marchand  de Venise

 

Qu’à sa p’tite affaire, et n’connaît pas la crise !

C’est encore elle ( la crise), qui étonne et défrise..

J’ai donc  reçu, y a pas si longtemps , une proposition

D’acheter l’esprit, l’âme et le talent   –  autorisation –

 

Pour une vie meilleure, un autre horizon

Ce qui, pour cette âme, était la meilleure  solution…

M’étant jamais v’nu à l’idée de posséder deux âmes

Surtout quand  l’autre est celle  d’une femme…

 

———-  mais  tout compte fait, j’vais  réfléchir…

Pas  sûr qu’ça  soit une bonne  affaire  –  pour investir

Cela risque  fort de perdre de la valeur

s’il me vient avec,  douleurs  et malheurs…!

 

A jouer malin, et passer par-dessus les lois

Même encore  légères, les âmes seraient un poids…

Je dirai plus tard, les suites  de l »aventure

Et leurs conséquences sur mon futur

 

Si je rends visite à  la voyante, Mme Soleil

Qui a de petits seins, mais  gros orteils  …!

Elle  connaît les comment  et les pourquoi …

On verra donc,  quel sera mon choix…

 

photo: Sculptures du tympan de Conques ( Aveyron) J Mossot

Le silence à travers les âges – ( RC )


peinture: Max Ernst  » le silence à travers les âges » – 1968

Le silence à travers les âges
ne tourne pas sur lui même
à la manière d’une roue dentée:
personne ne l’enferme dans une cage.

On ne sait pas ce qu’il cache :
des oublis, les âmes des damnés,
des soleils éteints
au cœur même de la terre…

Le sol inconscient
recèle dans le charbon noir
des fragments de mémoire
qui parfois s’y attachent:

des insectes, une fleur de renoncule,
une branche de fougère
qui a connu d’autres instants
avant le carbonifère…

Le silence est l’absence de bruit
– ce que nous suggère à notre oreille
les limites de notre ouïe –
On ne perçoit pas des frottements minuscules :

…quelques instants de repos et la vie
reprend son souffle dans le sommeil
après une éclipse partielle :
l’ombre tourmentée de Sybille

n’est que la révélation
d’un langage énigmatique
des instruments de divination
enfermés dans des feuilles fossiles :

il échappe aux données synthétiques
consignées dans le sanctuaire
où on conserve à l’abri
l’encyclopédie sans paroles :

le silence somnole
mais se dissout par lui-même
sans avoir besoin d’un poème
qui le circonscrit…

Yahia Lababidi – Interstices


06 Cuba trottoirMes heures ont peur de mes jours
la méfiance mettant leurs pieds vers le bas
soupçonnant de trouver un point d’appui
tic toc qu’ils pointent consciemment de l’orteil,
Mes jours ont peur de mes années
N’ayant jamais pu s’oublier
debout autour de moi, comme je essaie de dormir
déplaçant leur poids, les craintes traînant
Dans les interstices, il est intemporel
Se déroulant et heureusement introuvable
là nous glissons à travers le tamis
entre ces espaces incommensurables ..

My hours are afraid of my days
mistrust placing their feet down
suspicious of finding a foothold
tic toc they tip toe, self-consciously
My days are afraid of my years
never able to forget themselves
standing around as I try to sleep
shifting their weight, shuffling fears
In the interstices, it is timeless
unwound and happily unfound
there we slip through the sieve
between those immeasurable spaces…

Le ménage au palais – ( RC )


On a fait le ménage dans le palais,
remisé les figures de cire
dans le placard à balais,
même celui qu’on appelait Sire,

et qui , en restant discret
regardait sa progéniture
déformée par les reflets
dans le cadre à moulures.

La porte s’est refermée
sur l’escalier d’honneur
apparaissant dans la seule ouverture:
on pourrait jouer,

si ça vous rassure,
aux sept erreurs ,
en reproduisant la peinture :
mais — on la connaît par cœur.

On a fait place nette,
arrêté la valse lente
des servantes et les courbettes
pour célébrer l’infante,

On pourra faire du patin à roulettes
dans la grande salle,
car même Vélasquez
s’est fait la malle :

on ne voit plus aucune chaise
mais seulement le grand tableau
toujours vu de dos
au geste artistique énigmatique.

Quelques uns demeurent,
mais ce sont les plus moches…
il faudra bien qu’on les décroche,
car les spectateurs

comme les acteurs, se font des plus rares :
on va vendre l’hôtel particulier
ou plutôt le transformer
en centre d’art

Mais enlevez moi ces œuvres baroques !
il est temps qu’on les range
( nous avons changé d’époque
et maintenant— ils dérangent )

Je verrais bien, à la place des tableaux,
d’autres formes d’expression
> de l’art vidéo
> des installations,

enfin … quelque chose de branché,
de la fantaisie, de la nouveauté
des couleurs joyeuses pour ce musée,
sans glisser sur le parquet ciré !

Pierre Louÿs – Aphrodite


photo Rita Hayworth – voir site

Elle était vêtue d’une robe verte
brochée d’énormes branches de roses
qui venaient s’épanouir sur les seins.

Arétias lui ouvrit la porte…
Puis, en soulevant la robe ou l’écartant selon l’endroit,
elle la parfuma partout où il était nécessaire..

François Corvol – c’est parti dans les nuages


V

peinture Marc Chagall – costume de Zemphira, pour Aleko

C’est parti dans les nuages
j’éprouve des bonheurs inconnus et familiers
chaque jour renouvelé
chacune de mes journées est merveilleuse
j’ai peine à y croire

VI

Cette vie est semblable à un rêve
j’en ai tant de ces rêves que je n’y vois plus rien
mes yeux distinguent à peine tout ce qu’il y a de réel
je les écoute parler
j’ai du mal à suivre
j’écoute intensément pourtant
mes pensées sont déjà ailleurs
je me sens comme un oiseau flottant
qui n’a pas appris à se poser
les musiques les livres et les films tous aussi nombreux
que les êtres humains qui habitent la terre
sensation de danser dans les choses et les êtres
je fluctue je marche
je divague sur les eaux
j’erre et j’ai quelques brasiers au-dedans
à entretenir
quelques êtres dont je dois prendre soin

Ce qui renaîtra sous mes doigts – ( RC )


RC aquarelle 2022

Tout ce qui n’est pas
ne signifie pas la mort :
ce qui renaîtra sous mes doigts,
je ne le sais pas encore

– ce qu’il adviendra
est encore incolore
et me surprendra

comme une métaphore
de mon ignorance .

– Du devenir
je fêterai la naissance
des choses sans souvenirs -,
où circule de nouveau
le sang figé
à la pointe de mes pinceaux :

un être pas encore né ,
se fiera à ma bonne étoile :
traversera mon inconscient
pour apparaître sur la toile
d’abord vaguement …
… sans que j’y pense
pétri de son mystère,
affirmant sa présence

venu d’une autre sphère.
( Je n’y suis pour rien :
pour ce genre de choses,
je ne suis qu’un témoin
de la métempsychose
) :

– ce qui sommeille encore,
renaît sous mes doigts
il aura ce corps

que je ne pouvais décrire
un instant plus tôt
encore maladroit

– comme ce sourire
qui se dessine et éclot
dans ce visage
de l’inconnu qui vient vers moi
traversant l’image

depuis l’au-delà .

Gérard Titus-Carmel – Voici une échappée (De craie) –


Mongolie – photo Laura Tastayre (Terra Wairua)

.

voici une échappée à ce jour dans l’horizon

ne ressemblant à aucune autre     il est dit

que je m’éloigne à présent        il est dit

voilà l’étendue mongole

.

pourquoi faut-il

que le récit de mon rêve

s’enchasse à ce point dans le récit

de ton rêve

.

à ce point si exactement

qu’à la fin même le compte de nos os

ne nous satisfait plus      car vois-tu Taïeb

tu t’impatientes     ce geste las

& violent      tu balaies les agates

d’un geste qui en dit long

.

il dit ce geste

Je suis mort aux tumultes du monde

.

.

La tombée

Fata Morgana (1987)

**

Photo : Laura Tastayre

https://un-monde-a-velo.com/interview-laura-france-mongolie/

François-Xavier Maigre – au loin


photo Jim Goldberg rencontres d’Arles 2009

Au loin
on devinait presque

le souffle concerté des hirondelles
j’avais fendu la nuit

qui me tournait le dos
enfreint la pierre humide des cours

dans la stupeur des sauges
ivre d’un départ

qui n’aurait pas lieu.

décrire l’impalpable – ( RC )


Volume de poussières et de cheveux par Lionel Sabatté –

Qui pourra me décrire l’impalpable ?
Tout ce qui règne sur l’absence,
brûle les après-midis
dans l’immobilité d’un sommeil,
les poussières occupant des rayons de soleil.

Elles pratiquent le jeu
de l’extinction des feux.
Si légères soient-elles, elles dansent
avec le moindre courant d’air,
captent une partie de la lumière

mais finissent toujours par recouvrir
de leurs cendres,
les surfaces qu’elles grisent
et mes membres
qui s’exercent à la patience.

Car jamais on ne pense
au centre du silence
où la poussière ira embellir
par son entremise, les objets
à défaut de neige blanche.

Personne ne pourra dire
qu’elle conspire ;
mais elle occulte tout l’éclat des reflets
de la demeure
et la transparence oubliée, des heures….

nota: l’artiste Lionel Sabatté et l’auteur de tableaux de poussière et de cheveux ( portraits ), dont un certain nombre sont visibles au musée du Gévaudan, à Mende-

Philippe Delaveau – tout est musique


peinture E Vuillard – les collines bleues 1900

Le soleil au pupitre et sa baguette oblique
sur la prairie.
Jusqu’aux petits orchestres des sables
et des fontaines.
Jusqu’aux sous-bois emplis de murmures,
de harpes, de cascades.

Et la philharmonie de l’océan devant les colonnes d’Hercule :
au-delà, c’est Wagner, un mastic incolore.
Mais ici, une salle attentive.

Ils écoutent passionnément gronder
l’express vigoureux de Beethoven
sur la voie qui tressaille
dans le cerveau, profond tunnel.

Sur ces voies qui longent le précipice
du cœur, d’où tout est simple et visible.
Où le signal s’ouvre et se ferme.
Leurs narines frémissent comme dans la colère.
Leurs lèvres gonflent
dans cet amour aussi impérieux
qu’aux corps brûlants, l’orgasme.

L’orchestre en noir et blanc,
et les abeilles grises, étincelles de gris.
La pluie et ses marteaux sur le xylophone de la saison.
Les arbres, frères du violoncelle.
Tout est musique.

C’est vrai, certains ne l’entendent pas.
Ils préfèrent le bruit.
Les robinets des radios gouttent de sons échevelés.
Chutes du Niagara des écrans plats, image sur image.

Certains préfèrent les écouteurs à leurs oreilles
comme l’œillère des chevaux
qui tournaient, tournaient dans les nuits sous la terre.
Sans lune, sans étoiles,
sans feuilles d’arbres.
Mines, sordides catacombes.

Gabriela Mistral – Intima


Toi, ne me presse pas les mains.
Il viendra le temps immuable
où le reposerai, les doigts entrelacés
pleins d’ombre et de poussière.

Et tu diras alors : Je ne peux
t’aimer car déjà ses doigts
se sont égrenés comme des épis mûrs.

Toi, ne baise pas ma bouche.
Il viendra l’instant plein
de lumière déclinante où je serai sans lèvres
sur un sol moite.

Et tu diras :  » Je l’ai aimée, mais je ne peux
plus l’aimer maintenant qu’elle n’aspire
plus le parfum de genêts de mon baiser ».

et je serai oppressée en t’écoutant,
et tu me parleras aveugle et fou,
sur ma main sera sur ton front
quand mes doigts se briseront,
et mon souffle sur ton visage plein
d’angoisse quand il s’éteindra.

Photographie – (Susanne Derève) –


Robert Doisneau – Portraits de famille

.

Photographie qui était nous,

que je ranime d’un regard,

d’un regret,

du battement d’un cœur qui n’est pas chair,

sang, mais le nœud lancinant de l’amour.

.

Désormais perdus pour l’enfance,

voués aux éclatantes couleurs du monde

et du voyage, ils sont.

Ainsi, l’oiseleur rend l’oiselet au vent,

surpris de son aisance à gagner les couloirs

du ciel, et de la vigueur de ses ailes.

.

Ce temps passé fut nuée de jours heureux,

– cirrus, ouate, tendresse,

pluie bienfaisante des orages d’été –

Ce que nous avons consumé d’amour :

inépuisable mue de printemps, fruits rouges,

feux de Saint-Jean.

.

Nous reste la chaleur des voix, l’élan d’un corps

qui reconnaît les siens – baisers-

et l’absence palpable, pareille à ces formes de glaise 

qui prennent vie et puis s’effondrent, rebelles,

entre les doigts.   

  

marcher sur l’ombre – ( RC )


peinture : GHYVES

Tu prends trop d’avance,
sur le fil du soir…
Que dit ton ombre quand tu marches dessus ?

Va-t-elle te peindre en noir,
effacer tes traits de lumière
comme par inadvertance,
te laisser seul derrière,

histoire d’un malentendu
où ton vertige de façade
part en capilotade,
faire un tour
vers d’autres contre-jours ?

Jean-Pierre Voidies – feu d’artifice


Oh ! la belle bleue Ah ! comme elle éclate

Du grand oiseau bleu, c’est la grande patte
Grattant le ciel noir — Gare à nos cheveux !

Le bout de chaque ongle est pointe de feu
L’oiseau merveilleux, de sa patte gratte
Tombant de là-haut, cherchant dans l’espace
Peut-être un perchoir, mais alors s’efface

La patte dorée du grand oiseau bleu.

in « Le Pavillon » (éd. R. Maria)

Gérard Pons – feuilles du repentir


dessin Tristan Lazare

Que nous restera-t-il
sur l’autre rive
qui attendrisse notre exil ?
Sur les rives de nos fleuves
ne tomberont à l’automne
que feuilles de repentir
et sur nos monuments
encadrés par les ronces
d’autres feuilles d’oubli.

Le vent sans emblèmes,
ni drapeaux, ni fanions,
ni oriflammes
n’agite que rameaux
de saules éplorés.
Face aux portes closes
et aux rideaux tirés
sonnent dans la nuit
les pas cadencés de la ronde
aux ordres des éperviers d’acier.

Le lac retiré
au-delà des roseaux
garde jalousement
le reflet de la lune
dont l’image inverse
s’épingle sur le noir.
Le ruisseau murmure une prière
que ne reprennent pas
les herbes immobiles.
Sur le vieil arbre dépouillé
le lierre mourra là
où il s’est accroché.

extrait de la « saison des lendemains « 

Mon manège à moi, c’est toi – ( RC )


Tu m’attends
comme sera le retour
de l’oiseau bleu,
qui traverse le silence
un jour pluvieux
la corolle de ta jupe
du dimanche
accrochée à tes hanches .

Tu seras
cheveux au vent,
emportée par le manège,
solitaire,
au son de l’orgue de barbarie,
sur un cheval blanc
à pompons rouges.

Tu m’appelles souvent,
murmures de lasure,
une voix très douce
traverse le téléphone,
et le temps tourne sur son axe,
je te devine
cheveux au vent
dans le manège.

Tu ne me vois pas :
je suis dans la calèche bleue,
qui tourne en rond.
Mon ciel a la clarté de midi,
le soleil est revenu
dans tes yeux éblouis :
la musique a changé :
c’est la chanson de Piaf

Elle nous tend ses bras
qui n’existent pas.
Ton cheval blanc
bascule doucement .
Nous pensons très fort à l’oiseau bleu
tout en allant de l’avant
Tourne , tourne manège !

Mon manège à moi, c’est toi…

Béatrice Douvre – matin d’un vent


peinture Henri-Edmond Cross – la forêt – 1906-07

Les jardins étaient nus, l’herbe était irréelle
Tu allais éveillée, heurtant les orgues verts
Je touchais l’eau de ta douleur
Et tu fus la patience
Le vin dans les demeures
Un vent régnait
J’était le sel et les mains vives
Un vent régnait presque noir
Ô musique
Un sol menaçait ton visage d’amante
Et je songeais, ma face éprise
Infidèle
Ô demeurée dans l’ombre sombre étincelante
A ces oiseaux, fermée dans tes yeux matinaux.

Rabindranath Tagore – les yeux m’interrogent


photo – détail de fresque murale Malacca Malaisie

Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
C’est pourquoi tu ne me connais pas.
 Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
 et t’en faire un collier que lu porterais autour du cou.
 Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher  de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

Mais ce n’est qu’un cœur, bien-aimée.
 Où sont ses rives, où ses racines ?
Tu ignores les limites de ce royaume sur lequel tu règnes.
 Si ma vie n’était qu’un instant de plaisir, elle fleurirait en un tranquille sourire
que tu pourrais déchiffrer en un moment.

  Tes yeux m’interrogent, tristes, cherchant à pénétrer ma pensée;
  de même la lune voudrait connaître l’intérieur de l’océan.
  J’ai mis à nu devant toi ma vie tout entière, sans en rien omettre ou dissimuler.
  C’est pourquoi tu ne me connais pas.

  Si ma vie était une simple pierre colorée, je pourrais la briser en cent morceaux
  et t’en faire un collier que tu porterais autour du cou.
  Si elle était simple fleur, ronde, et petite, et parfumée, je pourrais l’arracher de sa tige et la mettre sur tes cheveux.

 Mais ma vie n’est qu’amour, bien-aimée.
 Mon plaisir et ma peine sont sans fin, ma pauvreté
 et ma richesse éternelles.
 Mon cœur est près de toi comme ta vie même,
  mais jamais tu ne pourras le connaître tout entier.

L’angoisse des saules – (Susanne Derève) –


Claude Monet, saule pleureur (Paris, musée d’Orsay).

.

Etait-ce l’angoisse impérissable qui ployait

les branches des saules,

– l’éternelle frayeur de vivre –

ou bien la mienne, nomade,

cherchant à poser quelque part

l’encombrant bagage des mots ?

.

Car les mots vaguaient sans ambages,

sans nul autre chemin que celui du souvenir,

et le souvenir en d’étranges contrées

cherchait sa route, gréait de vieux rêves

au passage, rapiéçait de laine son costume élimé

et de ses bras trop courts, pierre à pierre,

montait le fabliau.

.

Tandis que vous … crédules comme des bois d’église,

n’aviez rien vu, rien entendu que la volée stridente

des cloches à midi,

quand il fallait prêter l’oreille au vent lugubre

des sanglots que versait tristement le feuillage

des saules, à fleur d’eau.

.

Une habitation vivante – une énigme pour l’architecte – ( RC )


L’habitation est ce corps creux,
qui, à l’instar des coquilles,
se développe et s’agrandit
sans que l’on s’en aperçoive
de façon très consciente.
La nuit, les cloisons se déplient
pour correspondre au vide
qui se modèle sous le support des roches
lui servant de fondations.

Le matin, on a du mal à faire coïncider
son parcours avec celui de la veille,
car les escaliers ne sont pas à la même place,
les étages se sont inversés,
des pièces sont venues s’encastrer
ou sont en surplomb sur la falaise.

Des décalages sont inévitables,
des meubles sont hors d’atteinte,
sauf avec un échafaudage
ou des planches clouées
de façon à prolonger une mezzanine.

Les arrivées d’eau sont fantasques,
même si la tuyauterie suit, en souplesse.
On préférera pour cette raison, le puits dans la cave.
Mais, comme il fallait s’y attendre,
il n’est jamais à la même place,
d’autre part, il ouvre sur d’autres galeries souterraines
qui communiquent avec le fleuve.

De l’extérieur la maison
dont on trouve à l’occasion des photographies,
change d’aspect, varie selon les saisons,
s’élève ou se rabaisse, rétrécit à vue d’œil
ou s’enfonce dans ses soubassements.
Rien n’y est définitif.

Elle respire comme un corps vivant.
On ne sait même pas s’il lui prendra fantaisie
de s’allonger au gré des circonstances
comme un lézard, sur les roches voisines,
ou si la terrasse sera son tremplin
pour qu’elle s’établisse
au-dessus d’une base plus propice
à son développement.

Nathaniel Tarn – tout tremble dans les trois créations


photo perso – îles Penrentian – Malaisie

Front de nuage dans lequel nous glissons,
lèvre bleue en bas qui fait saillie dans la mer,
nez d’une île qui pointe, gigantesque proue,
atterrissage à la surface de la lèvre comme un baiser –
hélices au ralenti, bienvenue des palmes –
en un mouvement de vent qui ne saurait cesser
tant que nos mains soulèvent les montagnes.
Île languissant dans l’air moite,
orage qui monte à l’horizon alentour,
impossible de savoir d’où exactement
mais tout tremble dans les trois créations.

Carl Norac – le goût de traverser


Sur le fleuve, sur les canaux, nous n’avons
nulle autre frontière que la brume.
Devant, il n’y a que des ponts
qui relient ces gens que l’on voit
traverser et dont certains parfois,
étrangement à nos yeux,
rêvent seulement de murs.
Bien sûr, voilà l’écluse, cet ascenseur
au vieux refrain qui suinte,
où les oiseaux jacassent,
le temps de regarder un paysage
moins mouvant, de célébrer
le crépuscule ou le point du jour
qui, aujourd’hui, se rêve en virgule.
« Nulle frontière ! », nous sommes nous
répétés sur la péniche, « Pas même de la langue »
.

Car, soudain, on vous hèle de la rive,
on comprend ou on ne comprend pas,
sinon que le geste se ressemble,
simple principe de la main ouverte
au lointain le plus proche.
Si des régions existent à bon droit
et que les cartes qui nous guident
nous le rappellent, nous vivons
également ici, voyageuses, voyageurs,
dans cette volupté de la lenteur
où nous aimons les traverser
aussi libres que la ligne d’eau
et sans écouter les leçons de tous bords.
Sur le fleuve, sur les canaux,
nous n’aurons encore
nulle autre frontière que la brume.

voir le site de Carl Norac – celui-ci est l’auteur également de « une valse pour Billie », dont il y a des extraits sur ce blog.

Lespugue – une Vénus parmi nous – ( RC )


Fragile et endormie,
peau d’ivoire lisse,
à quelle magie as tu présidé,
toi la veilleuse d’ambre
aux amples formes ,
qui a confié tes secrets
aux ombres des visages
qui t’ont vénérée ?

Dix mille ans ou davantage
nous séparent
du destin de ceux qui t’ont tenue,
de ceux qui t’ont sculptée:
tu as la patience
de ceux qu’on aime
au-delà de l’épiderme
et garde silence…

Jusqu’où ira- t-on chercher
la nuit infinie
qui se dépose en strates
dans l’obscur abri de roche
où les hommes t’ont enfouie ?
Fétiche de fécondité
te voilà révélée par ceux
qui avaient oublié ta puissance…

Vulnérable comme la trace des années
qui s’enfuient de la mémoire.

l’expression « veilleuse d’ambre » est empruntée à Robert Ganzo

Jacques Mer – L’inexorable ( extrait )


dessin Martin Beek – msée d’histoire naturelle d’ Oxford

Ô Federico
Dix mille tonnes de silence pèsent sur ta poitrine
Ta vie un désert de feu signé d’absence
Tes regards remontent les foudres à la renverse
Métropolis de songe et de sang
Regards tournant à mille tours minute
Sous le couperet de l’angoisse
Visage comme on crie au feu
Ton corps est transparent d’attente
Torrentiel tocsin de secondes
L’instant éclate soudain comme un œuf
De fous tunnels de clameurs percent ta chair
Et le ciel se lève tout droit en criant
Ton épaule par où tu t’appuyais aux autres
Fraternel
Soudain tombe de toute la hauteur des astres Le monde explose

O Federico
la tête est lourde comme un monde
Cernes des yeux défaits en des typhons d’éléments seuls
Regards à l’intérieur dévoré
ton sang comme une substance de totale douleur
ciircule à travers tes veines
Musclées encore du fou effort de vivre
Et l’horreur court tout le long de ton visage
Comme une grande phrase sans point ni virgule
Ton corps n’est plus attaché qu’à l’extrémité en feu de l’existence
Souvenirs lessive de cris nus Arrachée à l’orage muet du cœur
O Federico que tu es seul dans ta mort
Personne pour t’accompagner pinçant le cœur fou des guitares
Pas même le vent bleu musicien
O mort perdu dans des déserts de fin du monde
Mort qui erres par les territoires de l’impossible
Sous de cruels vocables de glace
Des voyelles de soleil pétrifié
Tu remontes comme un aboiement le long du temps
Les frontières chancellent se descellent
Autour de toi tu sens déjà le gouffre vertigineux de la matière

L’immense rumeur d’océan du règne minéral
Tes pensées lentes fougères arborescentes du néant
Sont prises de douceurs terribles et pures
O mort déjà engagé à mi-corps sous les arcanes de l’éternité
Visage désormais dans sa vérité première
Débarrassé de l’instant et du cri
Visage pris soudain de la folle unité de l’eau

O Federico tu ne connais plus du monde
Que les forces inversement proportionnelles
A l’illimité de ton amour

O Federico
Voyageur des espaces de la mort
Avec mille ponts coupés derrière toi
Et dérivant
L’espoir est à telle distance
Que chaque geste s’annule dans la vanité même de tout
[effort
O Federico la mort est désormais en toi
Comme une rivière qui coule sans eau un oiseau
Qui vole sans ailes
Comme un carrefour de femmes
Qui crient sans voix dans le vent
La distance devient immense entre tes yeux
Où l’on pourrait faire tourner les mondes

curieusement on ne trouve rien sur le net sur cet auteur…

Tout semble immobilisé – ( RC )


photo : netfolk.blog.hu

Sur un chemin banal
encombré de flaques
déjà tourbillonnent
les feuilles veinées d’automne.
Sous le miroir des nuées
je devine les graviers.

Le dialogue du gel
étire ses filaments
sous les rafales de vent.
Un insecte traverse prudemment
quittant les herbes folles
pour un abri incertain.

Les oiseaux ont disparu du ciel
pour des régions plus clémentes.
Il s’est perdu
parmi les branches nues ;
les arbres sont dans l’attente
et ne sont plus que bois.

Soudain, il fait si froid .
Viendras-tu me retrouver,
si loin de la maison de l’été ?
Tout semble s’être immobilisé,
le défilé des heures,
comme le sourire du bonheur.

Jean-Claude Vallin – fleurs de peaux pour Norge


Les riens du tout qui nous habillent
ont les poches bourrées de trésors
des bouts de ficelle des billes
nos épices notre Pérou l’or
que charrient les yeux des filles

Au dehors nous paraissons normaux
comme cloches pour la messe
mais à Pâques qui perd le nord
pour qui les bordées les kermesses
qui vient de loin qui va-t-à Rome ?

Au dehors nous sommes des hommes
sociaux comme les zosiaux
mais l’en-dedans curriculum
nous sauve d’être bêtes à zoo

Et nous pouvons aller tout nus
nos doublures ont tant fleuri !
et nous pouvons pleurer toujours
pour démêler les nœuds du rire !

René Maria Rilke – Le livre d’heures 1899-1903 (extrait)


Adalbert STIFTER – Vue sur les maisons de la banlieue viennoise (Beatrixgasse)

.

– Tu vas et viens. Les portes se referment
avec plus de douceur, et sans un souffle presque.
Tu es de tous le plus silencieux,
qui vont par les maisons silencieuses.
On peut si bien s’habituer à toi
qu’on ne relève plus les yeux du livre
quand ses images s’embellissent,
bleuissant sous ton ombre;
car les objets te font écho sans trêve,
mais tantôt en sourdine et tantôt à voix haute.

Souvent quand je te vois en songe
se multiplie ta stature totale;
tu vas comme un troupeau de clairs chevreuils
et je suis la ténèbre et la forêt.
Tu es comme une roue et je me tiens près d’elle:
de tes nombreux essieux obscurs
sans cesse il en est un qui redevient plus lourd
et se tourne un peu plus vers moi,
et mes travaux consentants croissent
de retour en retour.

Le vent du retour

( traduction Claude Vigée)

Arfuyen

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