Tristan Tzara – vide matelas

Vide matelas
pour ne pas dormir
ni rire ni rêver
le froid aux entrailles
le fer dans la neige
brûlant dans la gorge
qu’avez-vous fait qu’avez-vous fait
des mains chaudes de tendresse
avez-vous perdu le ciel
dans la tête par le monde
dans la pierre dans le vent
l’amitié et le sourire
comme les chiens à l’abandon
comme des chiens
Reiner Kunze – le tilleul

Le tilleul
Nous l’avons planté
de nos mains
Maintenant nous renversons
la tête
et déchiffrons sur lui
ce que tout au plus
il nous reste de temps
Comme s’il avait un pressentiment, il emplit
pour nous le ciel de fleurs.
——
Die Linde
Wir pflanzen sie
mit eigener hand
Nun legen
den kopf wir in den nacken
und lesen ab an ihr,
was uns, wenn’s hoch kommt,
bleibt an zeit
Als ahne sie’s, füllt sie
den himmel uns mit blüten
Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras,
Ahmed Kalouas – Toi

TOI,
vers l’embarcadère
silencieuse rayonnante, tu vas.
Tu ne pars que trois jours
et ce sont mes yeux qui s’en vont.
Soudain j’habite les nuées, le néant.
Le vol pour Beyrouth
est à dix heures quarante
et c’est déjà la mort
qui monte vers le ciel.
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.
Le coeur funambule – Ecchymoses

Sur les ecchymoses du jour
Perlent quelques gouttes de ciel
L’onguent du crépuscule
Brode un ourlet pourpre
Aux jupes élimées des vagues
Brindilles de mer
Le souffle du courant
Efface les taches de l’oubli
Sur les visages de l’eau
Toutes les teintes du vent
Accrochées aux ailes des mots
En friselis d’écume
Dansent aux marges des rochers
Le bavardage des algues
En strophes d’ombre et de lumière
Sème les graines des phrases
Au chant muet de nos lèvres
Face aux festins des couleurs
Nous habitons tout à la fois
Le paysage et son reflet
Le brasier montant aux joues de la lune
Dans le silence aiguisé du jusant
Les rouges gorges des braises du couchant
En rayons brûlants pénètrent lentement
Le ventre humide de l’océan
avec l’autorisation d’Olivier ( voir son site )
Ara Alexandre Shishmanian – Fenêtre avec esseulement

Parfois c’est comme si on marchait à même le ciel
comme si l’asphalte lui-même s’égarait quelque part
derrière le couchant,
chaque pas est un pari – tu ne l’achèves qu’après l’avoir gagné
pour rien – et précisément rien que pour personne
c’est pourquoi peut-être nous nous consolons toujours
avec les tunnels – avec un monde souterrain
toute cette terre est un corps formé d’autres corps
qui se dévorent les uns les autres
la terre est en fait le monstre absolu –
seul le vide, que nous ne rencontrons jamais,
bien que nous le portions profondément enfoui en nous-mêmes,
est encore plus monstrueux –
une sorte d’ailes-paupières – je regardais pendant le vol –
seul le rien…
–
( il s’agit de la 1ère partie d’un texte que l’on peut retrouver sur ce site , avec la version originale en langue roumaine )
Celle qui boit le soleil – ( RC )

Le ciel se fait l’écho
de la lumière, et joue,
à chacun de tes pas,
où le chemin te conduit .
Les herbes ploient,
contre ce champ à la pente douce:
un semis de fleurs d’étoiles
d’où émerge la robe blanche.
Tu avances, la chevelure rousse…
Celle qui boit le soleil,
Comme s’étalent, ondulent,
vagues sur la nuque blanche,
robe comme une voile,
que le vent porte, et pousse…
Légère comme le parfum du bonheur,
Elle se rapproche de moi….
–
Rc – mai 2015
Violette Leduc – sur la neige

Le monde n’est pas étanche, et les regards peuvent se voiler.
Ce que nous voyons est fugace, et la pensée perce violemment l’inconscient conciliabule, sans tête à tête ni préambule, aussi rapide que vorace, ne s’embarrassant pas de volte face, traçant une figure au ciel bleu, qui s’efface.
Recule, je n’ai pas peur. Je vois le fil que tu empruntes.
Il est bien tendu, et il est solide.
Il s’enfonce dans cet espace que tu traces d’un doigt sur la neige.
Franck Smith – noir solstice

je ne comprends pas
pourquoi toujours l’inquiétude doit être profonde
le ciel bleu la mer épaisse et profonde
le souvenir épais et bleu chaude
la chaleur de l’été solide
l’ennui ne comprends pas printanier
et bleu le bouquet comme noir
le soleil noir mouillé de noir
et c’en est fait du ciel pourquoi
radicalement noir comme celui
et c’en fut fait du ciel le noir dans la bouche
je ne comprends pas pourquoi
après le noir le blanc toujours
ensuite non ne comprends pas
tu comprends toi pourquoi
et où et de quoi as-tu peur dans le noir
quelle est la longueur dis cette peur rayonnante
sa lenteur
son caprice
dans le noir qu’elle est
radicalement
puisqu’il n’existe pas
le nom du jour n’existe pas
c’est noir quand le jour
n’est plus
non je ne sais pas
écoute un nom contient
le noir un noir un autre noir
au même endroit
c’est comme
le vent c’est comme
l’électricité
c’est comme la mer après
dont tu ne comprends pas
l’équilibre
la force non
et nous ne savons pas
plus de même
au même endroit
de cette peur
entre le vent
radicalement faible
de tout entier
et dérisoire
c’est comme la proie
la tache
noire aux sombres soucis
et tu te tais
et c’en fut fait du ciel
III
noir
c’est un peu d’orange pourtant
une branche ou deux qui font éclater les valises
je partirai passerai par l’usure du monde
je vais partir c’est sûr puisque
je te le dis dans le noir
te le dis dans la plus éculée des disparitions
avec à coté de moi quelques mots quelques oublis
une misère sans importance des baleines bleues
au ventre je te chercherai au coeur net
de ce que je refuse à côté si proche
la rivière du désordre dérisoire et vraie
te dira une absence
IV
je vais partir c’est sûr les mots
arrangeront un visage aimé
aux contours à peine dégrossis
je n’aurai aucun retour aucune peine à me perdre
V
quel noir est-ce qu’on voudrait tenir
pour endurer un silence moins inquiet
un sourire dénué du feuillage
des signes
quelque chose mauvais encore
et tenir têtes et gestes
je vais partir dans ce noir
que tu ne sais pas
donner
ni répondre
en cette seule et petite
fréquentation du mal
le mal-dit le mal-compris
autant de mensonges
ni personne
VI
les pas seront ceux du bleu effrayant et fatigué du malheur mal guéri
après l’autre après les autres feront-ils offrande ‘ c’est toujours
un peu non un peu seulement sauf que non c’est pas pareil à des patiences difficiles
VII
je ne sais pas pourquoi le ciel
je ne sais pas pourquoi le ciel la nuit
je ne sais pas pourquoi tant le ciel si l’obscurité
tant la nuit tant va le ciel
ne sais pas jamais
tant d’obscurité que si la nuit
alors qu’au ciel
et au-delà
bien au-delà
l’épaisseur des herbes-où nous courons
dans le ciel
, VIII
pour aller où je sais que j’aime ça se traverse longtemps aussi longtemps que l’eau
chaque force chaque éclipse » et rien pour dénombrer le temps
Jean-Claude Pirotte – la mer ne dort pas

Vous avez remarqué dit-il
que la mer ne dort pas
elle est depuis toujours sujette
à l’insomnie c’est le vieil
Hésiode qui l’observe
la mer et moi nous ne cessons
de nous défier sous le ciel noir
quelquefois je joue à l’aveugle
au paralytique je joue au mort
elle en profite pour répandre
du sable et du temps sur mon corps
Le jardin propice – ( RC )
peinture: Jacques Hemery mont Ventoux
Au jardin propice,
j’ai attendu
que le temps se dénoue.
On s’habitue
à être à genoux,
que les feuilles jaunissent,
qu’un ciel d’hiver
pèse de son gris
sur le mont Ventoux.
mais toujours espère
revoir le jardin fleuri.
–
RC – avr 2020
Sabine Péglion – tu ne répares pas ( fin )
peinture Alberto Burri
Le pinceau ne peut couvrir la toile déchirée
Ici l’écorce laisse apparaître l’aubier
Tu ne répares pas
Tu étales sur des fils suspendus la détresse
du vent et les nuages roulent s’enroulent
en emportant l’instant
Noirs les pigments à l’amer du temps
inscrivent une entaille Fragments de lave
arrachés au volcan d’une douleur lointaine
broyée gravée pulvérisée L’incandescence
du geste n’en comble pas la faille
Tu ne répares pas
un cœur au bord de la rupture Battements
sourds des regrets aux parois de ses veines
Cicatrice du jour au givre de la pierre
Tu ne répares pas
Tu déploies d’un seul geste l’écharpe bleue du ciel
à sa gorge nouée
Tu insères dans la pierre
la lumière saisie Sur la trame des mots usés
tu recueilles les couleurs
Un chant s’élève
à la cime de l’arbre Une fenêtre s’ouvre
Le givre t’aspire en un éblouissement
Tu t’avances lentement à l’enfance du monde
Géographie du silence – (Susanne Derève)

peinture : Nicolas de Staël
Silence
pas tout à fait la paix une attente
les bruits assourdis de la vie fusant dans la lumière du jour
qui ne l’amenuisent pas
l’étreignent
comme une bulle vient crever la surface de l’eau
on ne sait plus si c’est un rêve
ou juste son lointain écho
Il arrive que le ciel soit si bleu
qu’il vous inonde
Soleil de plein été chassant la grisaille du jour
et le jour soudain une ronde qui passerait
sans vous
un grand manège vide
dont les chevaux de bois dansent la gigue
dans un bruit de grelot
En êtes-vous le camelot, dans la comédia del arte
ou l’Arlequin désabusé
portant le monde sur son dos
si loin que son pas l’entraîne
dans le clair-obscur des nuits
à chercher les mots de l’enfance
– est-ce donc en rêve qu’il poursuit
la géographie du silence ? –
ou peut-être à gagner l’oubli
Quelque chose d’indéfinissable – ( RC )
Il y a quelque chose d’indéfinissable,
lorsque ta voix s’empare des mots
et les projette, haut dans le ciel,
un ciel
qui ne semble être fait que pour toi.
Et les voilà qui redescendent doucement,
– ainsi ces graines de pissenlit, légères,
celles en forme de parachute –
qui s’allient avec le vent pour se poser
comme des fleurs de neige.
Lorsque se forgent des lignes,
chaque flocon trouve sa place,
rejoignant leurs semblables
portés par une onde calme
naissant en toi.
Il y a quelque chose d’indéfinissable,
une évidence qui s’offre
comme les notes dessinent le chant
ravissant l’oreille de celui,
prêt à les entendre .
C’est un cadeau que l’on reçoit,
évident comme l’accord
entre le silence et la musique,
émanation discrète
du corps et de l’âme .
Le poème est une constellation,
et les mots, des étoiles
qu’un fil invisible relie :
toi seule en maîtrise ces atomes,
qui restent insaisissables .
–
RC – mai 2019
Zbigniew Herbert – la pierre blanche

Il suffit de fermer les yeux –
mon pas s’éloigne de moi
comme une cloche sourde l’air va l’absorber
et ma voix ma propre voix qui crie de loin
gèle en une pelote de vapeur
mes mains retombent
encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle
se retirera au fond
de cavernes sombres et humides
subsistera l’odeur du corps
la cire qui se consume
alors grandit en moi
non la peur ou l’amour
mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit
le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief
je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux
les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang
plus touffue que l’arbre
la pierre blanche
plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau
la pierre recule
c’est à nouveau un grain de sable
noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide
notre voix se mesure avec l’espace
oreilles mains bouche tremblent sous les cascades
dans la coquille des narines vogue
un navire transportant les arômes des Indes
et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche
il suffit de fermer les yeux
C’est le vent d’été … – ( RC )
peinture : Alexander Brook
C’est le vent d’été
qui a couché les blés ,
un silence s’est fait parmi les bruits :
c’est bientôt la pluie
qui va nourrir la terre,
celle qui désaltère,
et que l’on attend
depuis si longtemps :
Pendant que le ciel oscille :
l’orage plante ses faucilles
concentre ses flèches
rebondit sur la terre sèche.
Il éparpille les jours torrides,
remplit les poitrines vides,
gonfle les ruisseaux,
cherche dans les rocs des échos,
qu’il trouve jusque dans ta voix :
cette soif insatiable que rien ne combat :
la vie est revenue d’une longue absence
Elle remercie la providence,
envisage un nouvel avenir :
je vois tes seins s’épanouir,
l’herbe reverdir,
et le désert refleurir…
J’ai beaucoup appris de tes paysages,
de l’attente et des passages,
des courbes de tendresse
où le temps paresse
de tes frissons secrets
et des lits défaits
où se courbe la rivière,
où se love la lumière :
Après l’orage et le calme revenu,
au silence dévêtu,
la chair embrasée,
enfin apaisée…
–
RC – avr 2019
Ceux qui habitent le ciel – ( RC )
–
Ceux qui habitent le ciel ,
sont libres comme l’air,
car il n’y a pas de frontière
emprisonnant les ailes…
On a de la peine à imaginer
que les nuées soient partagées,
et, que , de chaque côté
les oiseaux soient étrangers.
Aucun morceau d’azur
à revendiquer; pas de bleu
à découper selon les pointillés,
rien à posséder .
Si les frontières sont sur la terre ,
rien n’enferme les courants d’air…
les langues, elles, sont dans les dictionnaires,
les oiseaux n’en ont que faire .
Bien que je ne sois ornithologue,
il semble que par leur dialogue
ils arrivent à s’entendre ,
peut -être aussi parce qu’ils n’ont rien à vendre…-
–
RC – janv 2019
Oscar Wilde – La ballade de la geôle de Reading (II)

Fra Angelico – Martyre des saints Côme & Damien
Nous l’avons vu dans la cour, six semaines,
Dans son costume gris-poussière,
Coiffé de sa casquette de cricket,
Sa démarche semblait légère,
Mais jamais homme n’avait regardé
Si passionnément la lumière.
Mais jamais homme n’avait regardé,
Avec ces yeux pleins de passion,
Ce petit pan de bleu que nomment ciel
Les détenus de la prison,
Et tout nuage entraînant dans sa fuite
Les brins mêlés de sa toison.
II ne se tordait pas les mains, ainsi
Qu’un insensé, osant vouloir
Que l’Espérance, enfant maudit, s’élève
Dans le caveau du Désespoir :
Regarder le soleil lui suffisait
Et l’air frais du matin à boire.
II ne se tordait pas les mains, pas plus
Qu’il n’avait larme ni chagrin,
Il buvait l’air comme s’il contenait
Quelque remède souverain ;
À pleine bouche, il buvait le soleil
Comme s’il eût été du vin !
Les autres âmes en peine et moi-même,
Dans l’autre préau de la cour,
Ne savions plus si nous avions commis
Faute vénielle ou crime lourd,
Nous regardions, comme accablés, cet homme
Qui serait pendu un beau jour.
Le voir passer nous paraissait étrange
D’une démarche si légère
Étrange aussi de le voir regarder
Si passionnément la lumière,
Étrange enfin de penser qu’il paierait
Une dette extraordinaire.
***
Six weeks the guardsman walked the yard,
In the suit of shabby gray :
His cricket cap was on his head,
And his step seemed light and gay,
But I never saw a man who looked
So wistfully at the day.
I never saw a man who looked
With such a wistful eye
Upon that little tent of blue
Which prisoners call the sky,
And at every wandering cloud that trailed
Its ravelled fleeces by.
He did not wring his hands, as do
Those witless men who dare
To try to rear the changeling Hope
In the cave of black Despair:
He only looked upon the sun,
And drank the morning air.
He did not wring his hands nor weep,
Nor did he peek or pine,
But he drank the air as though it held
Some healthful anodyne;
With open mouth he drank the sun
As though it had been wine!
And I and all the souls in pain,
Who tramped the other ring,
Forgot if we ourselves had done
A great or little thing,
And watched with gaze of dull amaze
The man who had to swing.
For strange it was to see him pass
With a step so light and gay,
And strange it was to see him look
So wistfully at the day,
And strange it was to think that he
Had such a debt to pay.
La ballade de la geôle de Reading ( Extrait – II)
Le livre de poche – Classiques
Pas de motif suffisant, pour inventer une carte postale – ( RC )
Je me souviens assez peu
de ces paysages de Hollande,
à part ce qu’on voit
des photos des touristes,
ou des ruelles de briques,
comme Vermeer en a peint…
Les souvenirs se tordent,
comme une hélice,
mais elle est à l’arrêt,
ruisselant d’eau
d’une pluie fine
qui ne cesse pas.
Il y a des boulevards rectilignes,
et les maisons hautes
dont les pignons font,
aux bords des canaux,
une succession de façades,
aux toits en dents de scie .
La campagne est plate,
l’herbe y est spongieuse,
et, toi qui est venue
quand c’était l’époque, il y avait sans doute
ces bandes de couleurs vives,
des champs de tulipes.
En fait je me rappelle davantage du port,
des grues géantes, et du cri des mouettes .
Je m’attendais à entendre la voix d’une sirène,
mais celle que l’on connaît est restée figée
dans le bronze à Copenhague ;
ce n’est pas la même chose.
Quand la lumière s’enfuit ,
j’y marche à reculons.
Que sont donc devenus ces passages,
où nous nous tenions par la main ?
les quais luisent sous la pluie,
les arbres se confondant les uns avec les autres,
et l’ensemble ne serait pas
un motif suffisant
pour inventer une carte postale
même si j’y ajoutais quelques moulins ,
un drapeau claquant au vent ;
le ciel aurait quand même mangé
une partie de colline .
–
RC – mars 2019
Bernat Manciet – Sonet – Le matin croît en toute chose
aquarelle W M Turner
Le matin croît en toute chose
toute chose déclenche un matin
Toi : un matin aux cris de neige
des mouettes pures sur Ambès
je te reconnus à ton rire
piaffé de ciel et de sel
je te reconnais car c’est notre rire
depuis les talons jusqu’au front net
lorsque blanchirent les rives
jusque dans mes paumes ouvertes
je sus que c’était ton jour
jour de mille paupières
blanches tu m’as trouvé à tâtons
tous lendemains ne sont que ce matin
Josyane De Jesus-Bergey – les amulettes
deux petits extraits « image » d’un recueil paru aux éditions encre et lumière
William Butler YEATS (Il voudrait avoir les voiles du ciel)
John Constable – Cloud Study, 1821-1822
Si j’avais les voiles brodés du ciel,
Ouvrés de lumière d’or et d’argent,
Les voiles bleus et pâles et sombres
De la nuit, de la lumière, de la pénombre,
J’étendrais ces voiles sous tes pas :
Mais moi qui suis pauvre n’ai que mes rêves ;
J’ai étendu mes rêves sous tes pas ;
Marche doucement car tu marches sur mes rêves ;
He wishes for the cloths of Heaven
Had I the heavens’ embroidered cloths,
Enwrought with golden and silver light ,
The blue and the dim and the dark cloths
Of night and light and the half-light ,
I would spread the cloths under your feet :
But I, being poor, have only my dreams ;
I have spread my dreams under your feet ;
Tread softly because you tread on my dreams .
Dansé sur l’eau (Susanne Derève)
Jean DUFY Le Havre 1888
Grande fille des brumes
épousant la nuit
aux mains de bitume
quand le jour s’enfuit
aux bras de métal,
aux mains de laiton
aux yeux de lagune
et peut-être au fond
tout au fond de l’eau
si le temps est clair
sur le sable gris
ou sur une pierre
une étoile nue
fragile anémone
offrant au reflux
sa longue couronne
Fille de la mer et fille du vent
grande fille des airs
au soleil levant
diluant la brume
étreignant le ciel
et ton cœur qui bat
comme un arc en ciel
comme un sang vermeil
au dessus de l’eau
sauté sur le pont
le pont d’un bateau
qui quittait le port
et dansé là-haut
avec les aurores
Raoul DUFY Le port de New York
Catherine Pozzi – Nova
Dillon Samuelson – everything Happens to Someone
Dans un monde au futur du temps où j’ai la vie
Qui ne s’est pas formé dans le ciel d’aujourd’hui,
Au plus nouvel espace où le vouloir dévie
Au plus nouveau moment de l’astre que je fuis
Tu vivras, ma splendeur, mon malheur, ma survie
Mon plus extrême cœur fait du sang que je suis,
Mon souffle, mon toucher, mon regard, mon envie,
Mon plus terrestre bien perdu pour l’infini.
Évite l’avenir, Image poursuivie !
Je suis morte de vous, ô mes actes chéris
Ne sois pas défais toi dissipe toi délie
Dénonce le désir que je n’ai pas choisi.
N’accomplis pas mon jour, âme de ma folie, —
Délaisse le destin que je n’ai pas fini .
Ouvert sur l’infini – ( RC )
C’est ouvert sur l’infini,
d’une belle transparence ;
il y a le scintillement des étoiles,
une cascade d’astres ( ils ne tombent pas ) .
Cela ruisselle comme une eau,
à travers un ciel qui n’a pas de limite.
Le regard porte loin, et s’il le faut
on s’aide d’engins perfectionnés.
Des télescopes qui nous font découvrir,
cachés, des mondes palpitant par leurs ondes,
des signaux imperceptibles,
qui font supposer que d’autres mondes
se cachent derrière .
Mais quelles que soient les inventions,
les artifices pour voir plus loin,
plus précisément, dévoiler le secret des dieux,
on se heurte à des obstacles invisibles,
et qui pourtant n’obscurcissent pas la vue ….
car l’univers n’a pas de bornes,
et ce qui nous est donné à percevoir,
n’est qu’une infime partie ,
physiquement limité par l’étroitesse de la finitude,
qui se confronte à l’inversion des choses,
de la même façon que le concevable
s’oppose à l’inconcevable ,
à l’intérieur même de la pensée .
Et si on parle de vision,
malgré la transparence – que l’on pense acquise
l’image des astres – que l’on croit immobiles,
et de la lumière – son parcours rectiligne,
le regard bute contre le ciel
quelles que soient les distances,
et de quelque façon qu’on les repousse,
qu’on les envisage, encore :
celui-ci aspire l’âme,
et, à défaut, devient métaphysique ,
se fondant dans le rêve de l’espace ,
que même la conscience
ne peut conquérir .
–
RC – août 2017
( une tentative de réponse au texte d’ Anna Jouy )