Tout semble immobilisé – ( RC )

photo : netfolk.blog.hu
Sur un chemin banal
encombré de flaques
déjà tourbillonnent
les feuilles veinées d’automne.
Sous le miroir des nuées
je devine les graviers.
Le dialogue du gel
étire ses filaments
sous les rafales de vent.
Un insecte traverse prudemment
quittant les herbes folles
pour un abri incertain.
Les oiseaux ont disparu du ciel
pour des régions plus clémentes.
Il s’est perdu
parmi les branches nues ;
les arbres sont dans l’attente
et ne sont plus que bois.
Soudain, il fait si froid .
Viendras-tu me retrouver,
si loin de la maison de l’été ?
Tout semble s’être immobilisé,
le défilé des heures,
comme le sourire du bonheur.
Gérants de la fortune du roi – ( RC )

peinture G Rouault – Ubu Roi.
Le roi chantait nos louanges
en négociant notre chair contre notre salut
car tout l’or du monde affluait,
se convertissait en papier monnaie.
Nous étions gérants d’une fortune
qui se compte en places réservées
pour être au premier rang au paradis,
plus près de l’arc-en-ciel.
Froides banquises et coffres-forts,
nous comptions les liasses,
et l’argent se figeait entre nos doigts,
graissant la patte à Saint-Pierre.
Nous nous sommes battus pour le conserver,
mais les financiers en voulaient toujours plus,
et le roi nous a fait embastiller.
Nous n’avons vu du ciel que la découpe.
à travers la lucarne étroite de notre cachot.
Alors nous avons su que les prières
n’arrivent pas jusqu’à l’ombre,
et qu’en fait c’était l’enfer qui nous était promis.
Armand Dupuy – Un avant-goût de ne rien dire

image-collage Jane Cornwell
Un avant-goût de ne rien dire, ce temps friable autour.
Les images n’apaisent plus, les aplats stagnent.
On repousse les bords, aussi fort que possible, on s’entasse sur ses pieds.
On cherche un espace où loger son charabia, loger l’écume, mais pas d’issue — chut!
Flot ferme, fermé – on écoute ce peu, petit ciel sale et bas, son air déjà lu, même usé.
La brume s’est levée dans la forme, dis-tu, soudain moins étroite.
Alors on cherche ce fantôme, immobile et loin – les restes d’une courbe en tête.
Avec le tissu rayé du sommier, son odeur de paille et de ferraille.
Il reste cette lumière sur les pages et les tempes plus claires.
–
texte extrait de « Chut! » – recueil « sans franchir » éditions Faï Fioc 2014
Alexandre Vialatte – Homard

Le homard est un animal paisible qui devient d un beau rouge à la cuisson. Il demande à être plongé vivant dans l’eau bouillante.
Il l’exige même, d’après les livres de cuisine. La vérité est plus nuancée.
Elle ressort parfaitement du charmant épisode qu’avait rimé l’un de nos confrères et qui montrait les démêlés d’un homard au soir de sa vie avec une Américaine hésitante :
Une Américaine était incertaine
Quant à la façon de cuire un homard.
— Si nous remettions la chose à plus tard ?…
Disait le homard à l’Américaine.
On voit par là que le homard n’aspire à la cuisson que comme le chrétien au Ciel.
Le chrétien désire le Ciel, mais le plus tard possible.
Ce récit fait ressortir aussi la présence d’esprit du homard.
Elle s’y montre à son avantage.
Précisons de plus que le homard n’aboie pas et qu’il a l’expérience des abîmes de la mer, ce qui le rend très supérieur au chien, et décidait Nerval à le promener en laisse, plutôt qu’un caniche ou un bouledogue, dans les jardins du Palais-Royal.
Enfin, le homard est gaucher.
Sa pince gauche est bien plus développée que sa pince droite.
A moins, toutefois, qu’il n’ait l’esprit de contradiction, et, dans ce cas, sa pince droite est de beaucoup la plus forte. De toute façon, il n’est pas ambidextre.
Ou plutôt il l’est en naissant.
Mais il passe sa vie misérable à se coincer les pinces dans toutes sortes de pièges.
Si bien qu’il les perd constamment.
Tantôt c’est l’une, tantôt c’est l’autre.
Comme elles repoussent, au contraire des bras de l’homme (le bras de l’homme ne repousse jamais), la dernière en date est plus petite, si bien que le homard ressemble au célèbre empereur Guillaume II, qui avait un bras bien plus petit que l’autre. Il ne put jamais se servir également des deux mains.
Des rêves qui s’effacent – ( comme au fond d’un encrier ) – ( RC )

Nos rêves se plient,
se frottent à la cendre,
aux cartes du ciel
qui bascule
un jour d’automne
- pour mettre le vent
dans sa poche.
Ils seraient semblables
à ces moissons du ciel,
qui couchent les blés
après la canicule
d’un été de soif ;
Que chantent ils ?
Des ailleurs où jamais
nous ne sommes ?
Nos traces sur la page
qui s’effacent
au fond d’un encrier.
L’ombre de nos paroles
n’en est jamais sortie :
autant boire au goulot
de la bière tiède
et regarder la mer,
qui, toujours indolente
sommeille
sous un quartier de lune.
Jamais nous ne pourrons l’attraper,
et nos rêves dérivent
à sa surface, chimériques,
comme une rose qui s’éteint,
dans leurs reflets changeants.
Retour de la marelle – ( RC )

Attention de ne pas lancer trop loin
la pierre revêche dans les airs.
Si elle ne revient pas
c’est qu’elle aura rebondi
au-delà des limites de l’atmosphère.
Tu vois ce que c’est
de pousser trop loin
le galet à la marelle :
ça va de la terre au ciel
directement sans s’arrêter
aux cases tracées
à la craie sur le trottoir.
Après , il s’agit de ne pas faire
le parcours à l’envers
car la pierre peut retomber
de façon inopinée
dans le puits
sans fond de l’oubli:
Prends garde où tu mets les pieds
car si par malchance
tu la reçois sur la tête
le jeu est terminé
les cases retournent sur elles-mêmes
la partie est finie,
c’est ainsi que se clôt le poème…
RC
Xavier Bordes – gravité folâtre

Vaillance du papillon dévoué à la rose
en dépit de ce monde qui depuis des âges
n’est plus un jardin
. Écoute le frôlement,
le froissement soyeux, mystérieux des années,
en organza de soleils à la moire fanée
Malgré le ciel – brûlant et glacé tour à tour –
elles ruissellent réfractaires aux ténèbres
comme à la lumière
. Telles ces fenêtres
en lesquelles s’éteint la fleur rouge du soir
indéfiniment au même instant où dans nos veines
le sang chasse le sang en réglant les secondes
sur le pas de l’inéluctable avenir
. Celui qui pétrifie
en une même inanité l’aimer le vivre et le mourir
Gaëlle Josse – l’offrande d’un chemin de sagesse

….s’il n’en reste qu’une des musiques aimées de celles qui tiennent tête aux vents contraires -car on sort même par gros temps n’est-ce pas ?- ce sera elle cette aria toute nue innocente et pensive celle des variations Goldberg trente mesures entre ciel et terre la main d’Ariel pour tresser nos jours dépareillés saturés de trépidance habités d’éclats de rien et pourtant uniques fastueux bellissimes trente mesures tout est dit clos et infini
Jonas Fortier – dans les hauteurs

montage RC
Quelque chose crie dans la ville
Quelque chose au niveau des arbres
En levant les yeux je découvre
Mon corps dans les hauteurs
Ascensions
Redescentes
Je suis hors de contrôle là-haut
Et paralysé de honte en bas
Ameutés par mes hurlements venus du ciel
Deux petits chiens répondent à l’appel
Pour jouer
Ils se perchent sur ma tête
Et comme au rodéo
Quelqu’un crie hourra
extrait de « la courbure de la terre »
Luis Mizon – je voudrais quitter ma ville et mon corps

Je voudrais quitter ma ville
et mon corps
pour aller vivre ailleurs
si le ciel était la lumière de l’instant
je partirais en quête du ciel
si le ciel habitait notre regard
je chercherais la transparence
pour voir le vol des oiseaux traverser tes yeux
et l’instant de lumière
se poser près de nous
jour après jour
j’imite je colle je reconstruis avec des mots
les morceaux dépareillés de l’instant
une maison éphémère entourée de cigales
de bidons et de vieux pneus
Rabindranath Tagore – assoiffé d’infini

installation :Karina Smigla-Bobinski
Je suis inquiet, assoiffé d’infini.
Mon âme s’épuise en son désir d’atteindre aux sphères inconnues.
Ô Grand Au-delà! le pénétrant appel de ta flûte!
J’oublie, j’oublie toujours que je n’ai pas d’ailes pour voler,
que je suis indissolublement rivé à ma place ici-bas.
Anxieux, je ne puis trouver le sommeil. Je suis un étranger en un pays étrange.
Ton souffle m’arrive, murmurant un impossible espoir.
Ton langage est proche de celui de mon cœur.
Ô Grand Lointain, le pénétrant appel de ta flûte!
J’oublie, j’oublie toujours que j’ignore le chemin, que je n’ai pas de coursier ailé.
Je suis inattentif, vagabond en mon propre cœur.
Dans la brume ensoleillée des heures languides, quelle
immense vision de Toi se dessine sur le bleu du ciel!
Être suprêmement lointain, le pénétrant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours que dans la maison où je vis seul,
toutes les grilles sont fermées.
Nicolas Jaen – le coing propose une joue d’ombre à l’apprenti

peinture Andy Demzler
Il pourrait le dire, en haut-allemand, ou en noroît :
Le vent souffle, la cendre dans les hangars, le bel orage oui
Les morts déplacent des pierres des chantiers le H pour fenêtre d’hôpital
Où la lumière fait une flaque au pied de personne avant de se retirer,
Où les rideaux évoquent théâtre chauffé, lit, drame, jouent des scènes
Furtives au toucher qu’est la main retrouvée.
(La pourriture du coing propose une joue d’ombre à l’apprenti au pinceau
Le trait de la lame écrit en sang sur la pulpe du doigt la dominante)
etc. Les peaux de raisins de poires le jus des pommes épandus.
Dans la galette, le pois cassé, le salsifis, l’iris troublé :
le temps s’étire comme un chat, je jeûne au festin ô
L’œil nid de palombes
L’ombre, enfoncée, dans le mur signe une proximité – et une absence.
Les thèmes de l’air et de l’eau sont les voisinages du vide
- les fonds, le bleu du ciel, et dessous une maison qui penche, qui a faim.
Un siècle qu’elle n’a pas bougé d’un ciel.
On chiffrera plus tard mes études, on me verra copiste.
L’ange attendra comme pierre, comme saule, et il y a pleurs dans peupliers
Le temps efface les mains Une craie s’est brisée en écrivant le mot
« père » sur le tableau noir de l’école L’écolier persiste sous le cœur.
Au teint de vieux noir et blanc.
( Oui j’ai de la chapelle de l’hôpital des poussières d’hosties encore dans la gorge.)
On lavera au sang. On ouvrira nos écorchures.
On se baignera en nous.
Et l’ange frappera. Par sa nervosité.
Son œil boira les couleurs.
À peine recommencées. Esquives.
Et coups bas. Oui, la folie reprisée. D’avoir a consumer d’êtres l’urne, lente, fourragée, d’éternité.
(Oui j’étais la pierre la dune le sable le soleil)
Nicolas Jaen ( texte paru dans la revue « Décharge » )
Nous écoutons cette cantate (RC ) – Que le monde soit ( SD )

retable Chartreuse de la Sainte-Trinité de Champmol ( Dijon )
Je t’ai vue à travers la musique . Tu dansais comme dans toi-même au son de ces voix, habillées de pourpre, et qui s’élevaient jusqu’aux voûtes, donnant un peu de chaleur aux âmes qui ont froid, dans le parcours des leçons de Ténèbres, où l’on mouche les chandelles une à une, jusqu’à ce que l’obscurité pèse son poids de silence . Je t’ai vue à travers la musique , tu étais loin, mais proche pourtant , tu avais tracé mon nom sur le carreau de la vitre, et nous écoutions la même cantate, comme si je te tenais la main et, les yeux fermés, les harmonies se croisant , offraient au jour naissant , la lumière vibrant , avec l’avènement d’un monde, celui que l’on ne peut décrire ni en images ni à l’aide de mots . René C – septembre 2018 variation sur " que le monde soit ( SD ) ------- Que le monde soit… comme je le veux comme je l’ai pris enfanté au matin les yeux ouverts La lumière s’y déployait si blanche avant que la couleur l’inonde, ainsi l’orgue conduit la voix - la liturgie du jour à venir était blonde et me parlait de toi. J’ai effacé un peu de buée à la fenêtre et sur le carreau froid tracé ton nom dessiné un peut-être Le jour venait de naitre limpide et pur, oratorio vibrant une césure avant que le ciel ne bascule vers son avènement dans une orgie d’ors et de cuivres Je ne sais s’il était d’une étoffe dont on peut se vêtir comme l’aube de lin des retables ou la pourpre ardente des rois s’il fallait le poursuivre dans sa marche solaire au-delà du beffroi qui claironnait les heures et l’aurais-je cherché dans le sel ou le sable comme le vent façonne la dune instable quand il glissait vers toi en éclaireur Le monde s’offrait à moi par un matin de fin d’été et je m’en suis saisie les yeux fermés. SD
Moisson du jour – (Susanne Derève) –

Les hélices du jour sur la montagne. Si près du ciel nous sommes,du bleu sans faille de la lumière où plongent les ailes du moulin, et j'en suis le meunier, j'en mouds le grain en farine d'azur, j'en pétris la mie tiède,du rouge et de l'or des forêts de sureaux et de hêtres où la route serpente,nonchalante, au flanc ensoleillé du Causse. A nos pieds la toile étincelante des prairies d’hiver, le vaste amphithéâtre des sapins, en sentinelle ardente, le fil ténu de la rivière … Déjà le jour chancelle,un fin quartier de lune fauche les blés du ciel, dans le vase étroit de la combe, le vin noir de la nuit s'enracine … Meunier déchu,j'y noie mes rêves d’éternel.
Archipels – (Susanne Derève) –

Le blanc sillage d'un bateau routes sur la mer archipels ai-je ainsi, ma vie, navigué d’île en île Le vol lent d'un oiseau dans les tresses virginales du jour dessinait d'autres routes à travers ciel
Suite malaise : voyage Malaisie- Singapour ( Septembre Octobre 2022)
(voir partage de Susanne)
Caroline Dufour – entre corps et ciel

photo Cig Harvey
une fenêtre
et un ciel d’automne
l’enfant dirait que tout y est
des morceaux de soleil et d’ombre
toute cette lumière qui danse
entre corps et ciel
vouloir ne savoir
rien que vivre
Robert Vigneau – la laitue

La laitue ouvre des ailes
Qui ne veulent pas voler
Même bien débarbouillées
De leur terre originelle.
On la met dans un panier,
On la secoue vers le ciel
À grands élans aviateurs.
Elle a si peur quelle pleure.
Alors on a la pitié :
On la blottit de bonheur
Dans le nid d’un saladier.
Et quand on veut la tourner
Tu découvres quoi? une aile
Soudain prise de regret
Qui s’envole en sauterelle
Sur la nappe du dîner.
Philippe Delaveau – marcher

Marcher parfois longtemps dans la prairie du vent.
Ses bottes malmènent les fleurs,
l’herbe aux rêves de voyage.
Puis le petit village près d’un bois.
L’harmonica d’une eau rapide qui se cache
pour voir le ciel et l’ombre, et les cailloux
entraînés de ferveur, sur leurs genoux qui brûlent.
Entendre alors la persuasion très tendre
et douce d’un oiseau qui solfie les mesures
d’une clairière. Deux fois peut-être. Puis se tait. Se dissout
dans la perfection pure et simple du silence.
Pierre Garnier – Heureux les oiseaux, ils vont avec la lumière

ce sont orthographes nouvelles :
abeille s’écrit abeil
soleil s’écrit soleille
les abeils habitent les abbayes
les soleilles sont désormais des sources
le féminin s’empare du soleille
le masculin s’empare de l’abeil
pendant cet instant la route de la mort
est barrée
l’abeil, la soleille
c’est la meilleure orthographe
apesant
le poète modifie le monde
la pomme devient poème
l’abeille courte devient abeil
les abeils et les soleilles se rapprochent
du presbytère
on y voit plus clair quand le poète
fait son orthographe
les abeils semblables à la lumière
et aux dentels –
les abeils, les abbés, les abbayes
proches maintenant
de la soleille
l’enfant regard’ le mur de l’écol’
par où passent triangles, losanges et sphères –
ainsi les papillons, les abeil’, les libellules –
le Vieil homme ne perd rien en perdant la vie
– il a atteint la cielle et l’abeil
origine : editions des Vanneaux
L’infini ne reconnaît pas les créatures de l’esprit – ( RC )

Tout glisse entre leurs mains ouvertes,
et peut-être les transperce,
Ils sont sans doute
des créatures de l’esprit,
qui ne connaissent pas le poids des choses,
et peuvent marcher sur l’eau
sans qu’elle ne s’en aperçoive…
J’en ai vu qui ont traversé les façades,
ignorant les habitants,
mais chargés de la couleur des murs.
Les plus audacieux se sont risqués
à escalader le ciel
sur une échelle
allant vers l’infini,
mais ils ont présumé de leur force,
car l’infini ne reconnaît pas
les créatures de l’esprit.
Ils ont chuté
comme Icare en son temps,
pour se dissoudre
comme un songe, au réveil,
dès qu’arrive le soleil…
à la table du ciel – ( RC )

Quand je mange à la table du ciel,
je ne mendie pas les nuages,
et dans mon assiette,
il y a des quartiers de lune
que j’arrose de voix lactée.
Si je parle trop fort
après avoir bu du sirop d’étoiles,
elle s’éclipse
le temps que j’aligne
quelques planètes
au bout de ma fourchette
avant quelque comète de sucre glace
me servant de dessert.
Repu, je plonge dans un sommeil opaque,
où je bouscule tout le zodiaque
dans un rêve des plus ordinaires,
revenu brusquement sur terre…
RC – juillet 22
Solstice d’été -(Susanne Derève)-

La pierre : tiède sous le doigt, comme une chair repose
au sortir du sommeil, promise à la marche de l’aube.
Au solstice d’été, la nuit peine à jeter son voile ; demain,
les jours raccourciront, entameront leur course lente vers le déclin
et leur douceur ne sera plus que la trêve illusoire
qui précède leur mort.
Mais ce soir, la lumière est reine.
Dans le dernier sortilège du jour, le fief limpide de l’azur
résiste encore, gagne en transparence, en pureté,
s’étire, blanchit en longues bandes virginales à l’horizon,
même si l’irruption de la première étoile annonce sa fin prochaine ;
un bleu d’estampe,
que vient griffer, comme le rideau tombe, le vol furtif
des pipistrelles.
Tristan Tzara – vide matelas

Vide matelas
pour ne pas dormir
ni rire ni rêver
le froid aux entrailles
le fer dans la neige
brûlant dans la gorge
qu’avez-vous fait qu’avez-vous fait
des mains chaudes de tendresse
avez-vous perdu le ciel
dans la tête par le monde
dans la pierre dans le vent
l’amitié et le sourire
comme les chiens à l’abandon
comme des chiens
Reiner Kunze – le tilleul

Le tilleul
Nous l’avons planté
de nos mains
Maintenant nous renversons
la tête
et déchiffrons sur lui
ce que tout au plus
il nous reste de temps
Comme s’il avait un pressentiment, il emplit
pour nous le ciel de fleurs.
——
Die Linde
Wir pflanzen sie
mit eigener hand
Nun legen
den kopf wir in den nacken
und lesen ab an ihr,
was uns, wenn’s hoch kommt,
bleibt an zeit
Als ahne sie’s, füllt sie
den himmel uns mit blüten
Reiner Kunze, Nuit des tilleuls, traduction de Mireille Gansel & Gwenn Darras,
Ahmed Kalouas – Toi

TOI,
vers l’embarcadère
silencieuse rayonnante, tu vas.
Tu ne pars que trois jours
et ce sont mes yeux qui s’en vont.
Soudain j’habite les nuées, le néant.
Le vol pour Beyrouth
est à dix heures quarante
et c’est déjà la mort
qui monte vers le ciel.
Élagueur des clairières – ( RC )

Élagueur des clairières,
sais tu que tu défriches
le langage
autant que le feuillage ?
Tu puises tes mots
dans la lumière accrue,
et fixe l’ombre des ramées.
Il faut goûter la rigueur des hivers,
réciter les strophes
comme autant de bois coupé,
tout ce qui a subi les songes
et la pluie ;
violence du gel
traversant le chant de plume,
sa violence sourde
qui détache l’écorce
et retire la sève
pour n’en garder
que l’essentiel.
Et les oiseaux strieront
de nouveau
la peau du ciel.