Le soleil au pupitre et sa baguette oblique sur la prairie. Jusqu’aux petits orchestres des sables et des fontaines. Jusqu’aux sous-bois emplis de murmures, de harpes, de cascades.
Et la philharmonie de l’océan devant les colonnes d’Hercule : au-delà, c’est Wagner, un mastic incolore. Mais ici, une salle attentive.
Ils écoutent passionnément gronder l’express vigoureux de Beethoven sur la voie qui tressaille dans le cerveau, profond tunnel.
Sur ces voies qui longent le précipice du cœur, d’où tout est simple et visible. Où le signal s’ouvre et se ferme. Leurs narines frémissent comme dans la colère. Leurs lèvres gonflent dans cet amour aussi impérieux qu’aux corps brûlants, l’orgasme.
L’orchestre en noir et blanc, et les abeilles grises, étincelles de gris. La pluie et ses marteaux sur le xylophone de la saison. Les arbres, frères du violoncelle. Tout est musique.
C’est vrai, certains ne l’entendent pas. Ils préfèrent le bruit. Les robinets des radios gouttent de sons échevelés. Chutes du Niagara des écrans plats, image sur image.
Certains préfèrent les écouteurs à leurs oreilles comme l’œillère des chevaux qui tournaient, tournaient dans les nuits sous la terre. Sans lune, sans étoiles, sans feuilles d’arbres. Mines, sordides catacombes.
Que nous restera-t-il sur l’autre rive qui attendrisse notre exil ? Sur les rives de nos fleuves ne tomberont à l’automne que feuilles de repentir et sur nos monuments encadrés par les ronces d’autres feuilles d’oubli.
Le vent sans emblèmes, ni drapeaux, ni fanions, ni oriflammes n’agite que rameaux de saules éplorés. Face aux portes closes et aux rideaux tirés sonnent dans la nuit les pas cadencés de la ronde aux ordres des éperviers d’acier.
Le lac retiré au-delà des roseaux garde jalousement le reflet de la lune dont l’image inverse s’épingle sur le noir. Le ruisseau murmure une prière que ne reprennent pas les herbes immobiles. Sur le vieil arbre dépouillé le lierre mourra là où il s’est accroché.
C’était comme une carte à peine visible, comme une espèce de dessin relié par des points, tel qu’on le voit sur les albums d’enfants.
Des nymphes et des cygnes étaient les figures à relier ( d’une certaine manière, comme les étoiles d’une constellation ).
Alors qu’il faisait presque noir, le plafond semblait s’être éloigné, les piliers effacés, presque engloutis par l’ombre.
Je progressais à tâtons vers la seule fenêtre ouverte, où pénétrait un rayon de lune. Mes pas soulevaient une épaisse poussière, semblant prisonnière de cette portion de ciel, coupée de grands faisceaux lumineux.
La demeure était isolée dans un îlot de silence contrastant avec l’extérieur. Une foule immense ondoyait à la vision d’un film aux reflets changeants, selon l’intensité de la projection et du mouvement de ses images . les nymphes en étaient absentes.
RC – août 2020 – à partir de deux extraits d’Eugenio Montale
Nos rêves se plient, se frottent à la cendre, aux cartes du ciel qui bascule un jour d’automne
pour mettre le vent dans sa poche.
Ils seraient semblables à ces moissons du ciel, qui couchent les blés après la canicule d’un été de soif ;
Que chantent ils ? Des ailleurs où jamais nous ne sommes ? Nos traces sur la page qui s’effacent au fond d’un encrier.
L’ombre de nos paroles n’en est jamais sortie : autant boire au goulot de la bière tiède et regarder la mer, qui, toujours indolente sommeille sous un quartier de lune.
Jamais nous ne pourrons l’attraper, et nos rêves dérivent à sa surface, chimériques, comme une rose qui s’éteint, dans leurs reflets changeants.
Vois-tu, si je me lève je n’ai pas souvenir des mêmes rêves… J’étais allongé sur le sol et nulle part il n’y avait de route, Au-dessus , le ciel m’entourait de sa voûte . Le vent pousse des nuages et les accompagne longtemps dans leur voyage. L’un d’eux s’est distingué en prenant l’allure d’un cavalier, mais aucun (que je ne sache) ne ressemblait à une vache… Quelques champs pelés réclamaient leur dû car il n’avait pas plu de presque tout l’été.
Quelques arbres échevelés gardiens de la draille, et au loin les sonnailles de bêtes égarées… Ce n’est pas encore aujourd’hui qu’on verra la lune entourée de brumes ni le troupeau de brebis brouter tes cheveux même si la terre partage beaucoup de mystères avec les cieux…
Au buffet des couleurs un peu de sirop d’érable, parure des heures de la nuit sucre de pastèque, lueurs du rêve : c’est la pleine lune, le dessert qui traverse la fenêtre et rebondit sur la Rance, même le soleil
caché de l’autre côté de la terre ne l’a pas avalée, malgré un solide appétit…
Quand je mange à la table du ciel, je ne mendie pas les nuages, et dans mon assiette, il y a des quartiers de lune que j’arrose de voix lactée. Si je parle trop fort après avoir bu du sirop d’étoiles, elle s’éclipse le temps que j’aligne quelques planètes au bout de ma fourchette avant quelque comète de sucre glace me servant de dessert. Repu, je plonge dans un sommeil opaque, où je bouscule tout le zodiaque dans un rêve des plus ordinaires, revenu brusquement sur terre…
Chemin forestier vers Saint Côme d’Olt ( Aveyron )
Parcourant la forêt, les troncs courbés font comme une harpe jouant une musique de lumière que personne n’entend. La futaie est profonde, et solitaire , personne ne m’entend chanter. J’écris sur la terre humide un poème, que personne ne lira, à part la lune qui se penche vers moi .
Après la représentation il demeura caché au balcon dans l’obscurité. Le rideau est grand ouvert. Régisseurs du théâtre, accessoiristes, éclairagistes démontent les décors ; ils ont ramené au sous-sol une grande lune de verre, ont éteint les lumières, s’en sont allés, en fermant les portes à clef. À ton tour maintenant, sans lumières, sans décors et sans spectateurs, de jouer ton propre rôle.
Athènes, 4.III.85
texte extrait du recueil » Balcon » ed B Doucey 2017
peinture – Douanier Rousseau – bohémienne endormie sous la lune – 1897 Moma ( N York )
Si peu trois mots deux silences le soupir de la lune l’eau claire d’une nuit d’été la chanson douce des étoiles du bout des doigts sur la corde d’une guitare dans le jardin parfumé de jasmin quelques notes en cascade éclaboussent les passants en riant
Peine perdue aux volutes des pensées désenchantées. C’est un matin où j’avance mes mains trop près du ciel, car le silence me répond, : celui de la nuit pailletée, que brouillent les voix de la veille :
de grands morceaux fragmentés ne composeront jamais un poème : miettes de croissants de lune, emportées par la rivière, un jour où le vent accompagne les gestes lents du balayeur.
Puis il y a eu ce visage entr’aperçu derrière les rideaux pourpres d’une fenêtre qui recomposa ton image, elle que je croyais perdue, piétinée comme des fruits trop mûrs se mêlant aux souvenirs diffus d’une aube incertaine ; tintement léger de la mémoire : réminiscences en pièces détachées dans le jour candide qui se mettait à renaître, comme si de rien n’était,
alors je t’écris cette lettre, que tu liras peut-être toi , si loin du ciel, mais proche de moi, en pensée…
À quoi sert-il de voyager? Une jarre de lait calme, les cuisses de l’épouse, les jours comme des pommes tombées dans le verger, une belle lumière lisse, la paix de l’œuvre faite et la nuit à l’auberge, vieillir tout doucement près d’un pichet de vin quand la lune blanchit le large, tout en trinquant avec des marins revenus infirmes, d’on ne sait quelles batailles louches qu’on a du mal à épeler…
À quoi sert-il de s’en aller déjà vaincu, avant d’avoir ouvert la bouche, dans des pays d’où l’on ne reviendra que vieux plein de sirènes que l’on n’a pas écoutées de victoires manquées « le cœur lourd d’avoir résisté à sa soif? »
J’avais posé naguère Sur cette sombre pierre Un souvenir présent, Un brin de coquelicot, Un parfum de sanglot, Pour que jamais le vent N’efface nos mystères.
J’avais posé naguère Sur cette sombre pierre Fleurie de nos amours Des secrets interdits, Des verbes alanguis, Des nuits comme des jours, Une lune coquine, Des soupirs d’amour.
J’avais posé naguère Sur cette sombre pierre Une douce caresse, Nos plus belles promesses Epargnées par le temps.
J’avais posé naguère Sur cette sombre pierre Mon corps à moitié nu Drapé de la lumière De tes soleils perdus Et pour te réchauffer Embrassé la terre brune.
Elle vogue ta galère Toutes voiles dehors Gonflées de nos instants En Toi coule mon sang.
J’avais posé naguère Sur cette sombre pierre Le rire de nos 20 ans.
Madame la Dauphine Fine, fine, fine, fine, fine, fine Fine, fine, fine, fine Ne verra pas, ne verra pas le beau film Qu’on y a fait tirer — Les vers du nez — Car on l’a menée en terre avec son premier-né En terre et à Nanterre Où elle est enterrée.
Quand un paysan de la Chine Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin Veut avoir des primeurs — Fruits mûrs — Il va chez l’imprimeur Ou bien chez sa voisine Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin Tous les paysans de la Chine Les avaient épiés Pour leur mettre des bottines Tine ! tine ! Ils leur coupent les pieds.
M. le comte d’Artois Est monté sur le toit Faire un compte d’ardoise Toi, toi, toi, toi, Et voir par la lunette Nette ! Nette ! pour voir si la lune est Plus grosse que le doigt.
Un vapeur et sa cargaison Son, son, son, son, son, son, Ont échoué contre la maison. Son, son, son, son, Chipons de la graisse d’oie Doye, doye, doye, Pour en faire des canons.
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extrait du « Laboratoire central » et accompagnant un lieder de Francis Poulenc
Chute de feuilles Ivres de lune. Aboyant tournoiement, Comme la douleur Sous le soc des heures ! La figue ensanglantée crie Dans le miroir La trajectoire des veines. L’ombre se glisse, Derrière le souffle. L’oiseau n’a pas encore su se faire lumière. Il se cache dans le mouchoir mort d’un passager !
Je suis aussi nu que le feu Que la fougère Que la nuit où crèchent les bœufs Nu comme un ver. Mes mains. Des insectes dedans. Mes mains me brûlent. Les oiseaux y boivent souvent Une eau de lune. Mains qui consacrent Qui consolent. Messe des mains Qui déplacent la nuit des hommes Jusqu’au matin. Suis-je si seul d’être si vieux Quel est mon crime ? Je suis aussi nu que le feu Que Dieu domine…
Après un tableau Une sculpture Après une sculpture Un tableau Anti-anatomique Trait de vie sur une toile morte Extravagant Je voudrais être peintre ! J’ai dans mon tiroir des esquisses de bateaux Je n’ai réussi que les marines Nous sommes les primitifs d’une ère nouvelle Egypte art synthétique Mouvement Excès de lignes Bas-reliefs de Thèbes et de Memphis Partir en Egypte Comme Pythagore Philosophe et géomètre Astronome Je découvrirais peut-être le théorème de l’hypothénuse et la table de multiplication Je ne me rappelle plus J’ai besoin de retourner à l’école Le ciel est un grand tableau noir Pour les enfants et pour les poètes Circonférence Le cercle de la lune De Vénus je trace une tangente lumineuse qui va toucher quelque planète inconnue Une ligne droite Ensuite une perpendiculaire Et une autre droite Une sécante Un secteur Un segment Comme la Terre qui est ronde et la lune une circonférence il doit bien y avoir des planètes polyèdres des planètes coniques des planètes ovoïdes Evoluant parallèlement elles ne se rencontrent jamais Trapèzes de feu Les astres décrivent dans le ciel des cercles des ellipses et des paraboles Les ronds s’adossent les uns aux autres et tournent comme les roues dentées de machines Je suis le centre Autour de moi tournent les étoiles et voltigent les corps célestes Toutes les planètes sont des ballons de baudruche colorés que je retiens par des ficelles entre mes mains Je tiens dans mes mains le système planétaire Et comme les étoiles filantes je change de place fréquemment La lune pour auréole Je suis crucifié sur la Croix du Sud Avec dans le cœur L’amour universel Globules de feu Il y a des astres tétraèdres hexaèdres octaèdres dodécaèdres et isocaèdres Certains sont des globes de verre opaque avec des lumières à l’intérieur Il y en a aussi de cylindriques Les coniques unissent leurs pointes en tournant en sens contraire autour de l’axe commun Prismes tronqués prismes obliques et parallélépipèdes lumineux Les corps célestes sont d’immenses cristaux de roche colorés qui tournent dans tous les sens La chevelure de Bérénice n’est pas une chevelure Le Centaure n’est pas un centaure et le Cancer n’est pas un crabe Musique colorée qui résonne dans mes oreilles de poète Orchestre fantastique Timbales Les cymbales de la lune Claquement des castagnettes des étoiles ! Elles tournent sans cesse Furieusement Il n’y a pas d’étoiles fixes Les fuseaux filent La voûte céleste est le hangar de zinc d’une usine immense Et la laine des nuages passe dans l’engrenage Trépidations Mon cerveau et mon cœur piles électriques Arcs voltaïques Explosions Combinaisons d’idées et réactions des sentiments Le ciel est un vaste laboratoire de chimie avec cornues creusets tubes éprouvettes et tous les vases nécessaires Qui m’empêcherait de croire que les astres sont des ballons de verre pleins de gaz légers qui se sont échappés par les fenêtres des laboratoires Les chimistes sont tous des imbéciles Ils n’ont découvert ni l’elixir de longue vie ni la pierre philosophale Seuls les pyrotechniciens sont intelligents Ils sont plus intelligents que les poètes car ils ont rempli le ciel de planètes nouvelles Multicolores Les astres explosent comme des grenades Les noyaux tombent D’autres montent de la terre et ont une vie éphémère Astéroïdes astérisques Fusées de larmes Les comètes se désagrègent Fin de leur existence D’autres explosent comme des démons du Moyen Âge et des sorcières du Sabbat Feux d’antimoine feux de Bengale Moi aussi je me désagrégerai en larmes colorées le jour de ma mort Mon cœur vaguera dans le ciel étoile filante ou bolide éteint comme maintenant il erre enflammé sur la terre Etoile intelligente étoile averroïste Vertigineusement En l’enroulant dans le fil de la Voie Lactée J’ai jeté la toupie de la Terre Et elle vrombit Dans le mouvement perpétuel Je vois tout Bandes de couleurs Mers Montagnes Forêts Dans une vitesse prodigieuse Toutes les couleurs superposées Je suis seul Grelottant Debout sur la croûte refroidie Il n’y a plus de végétation Ni d’animaux Comme les anciens je crois que la Terre est le centre La Terre est une grande éponge qui s’imbibe des tristesses de l’univers Mon cœur est une éponge qui absorbe toute la tristesse de la Terre Bulles de savon ! Les télescopes pointent le ciel Canons géants De près Je vois la lune Accidents de la croûte refroidie L’anneau d’Anaxagore L’anneau de Pythagore Volcans éteints Près d’elle Une pyramide phosphorescente Pyramide d’Egypte qui est montée au ciel Aujourd’hui elle est intégrée dans le système planétaire Lumineuse Son itinéraire calculé par tous les observatoires Elle est montée quand la bibliothèque d’Alexandrie était un brasier illuminant le monde Les crânes antiques éclatent dans les parchemins qui se consument Pythagore l’a vue quand elle était encore sur terre Il a voyagé en Egypte Il a vu le fleuve du Nil les crocodiles les papyrus et les embarcations de santal Il a vu le sphynx les obélisques le temple de Karnak et le bœuf Apis Il a vu la lune à l’intérieur du caveau où se trouvait le roi Amenemhat Mais il n’a pas vu la bibliothèque d’Alexandrie ni les galères de Cléopâtre ni la domination anglaise Maspero découvre des momies Et moi je ne vois plus rien Les nuages ont éteint ma géométrie céleste Sur le tableau noir Je ne vois plus la lune ni ma pyrotechnie planétaire Une grande paupière bleue tremble dans le ciel et cligne Un éclair farouche zèbre le ciel Le baromètre annonce la pluie Tous les observatoires communiquent entre eux par la télégraphie sans fil Je ne pense plus car l’obscurité de la nuit tempétueuse pénètre en moi Je ne peux plus mathématiser l’univers comme les pythagoriciens Je suis seul J’ai froid Je ne peux écrire les vers dorés de Pythagore!…