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décrire l’impalpable – ( RC )


Volume de poussières et de cheveux par Lionel Sabatté –

Qui pourra me décrire l’impalpable ?
Tout ce qui règne sur l’absence,
brûle les après-midis
dans l’immobilité d’un sommeil,
les poussières occupant des rayons de soleil.

Elles pratiquent le jeu
de l’extinction des feux.
Si légères soient-elles, elles dansent
avec le moindre courant d’air,
captent une partie de la lumière

mais finissent toujours par recouvrir
de leurs cendres,
les surfaces qu’elles grisent
et mes membres
qui s’exercent à la patience.

Car jamais on ne pense
au centre du silence
où la poussière ira embellir
par son entremise, les objets
à défaut de neige blanche.

Personne ne pourra dire
qu’elle conspire ;
mais elle occulte tout l’éclat des reflets
de la demeure
et la transparence oubliée, des heures….

nota: l’artiste Lionel Sabatté et l’auteur de tableaux de poussière et de cheveux ( portraits ), dont un certain nombre sont visibles au musée du Gévaudan, à Mende-


Alda Merini – dans les ombres du sommeil


gravure Gustave Doré ( de l’enfer de Dante )

Tu es entrée dans les ombres du sommeil
un jour
et tu y as reconnu mon visage exsangue
aligné aux autres sur l’aire du sacrifice.
avec la torche de ton savoir.

Tu as éclairé les ombres de l’enfer.
toi, mère immaculée et triste
pour qui les jours ont été
comme autant de fils
.


Rabindranath Tagore – assoiffé d’infini


installation :Karina Smigla-Bobinski

Je suis inquiet, assoiffé d’infini.

Mon âme s’épuise en son désir d’atteindre aux sphères inconnues.

Ô Grand Au-delà! le pénétrant appel de ta flûte!

J’oublie, j’oublie toujours que je n’ai pas d’ailes pour voler,

que je suis indissolublement rivé à ma place ici-bas.

Anxieux, je ne puis trouver le sommeil. Je suis un étranger en un pays étrange.

Ton souffle m’arrive, murmurant un impossible espoir.

Ton langage est proche de celui de mon cœur.

Ô Grand Lointain, le pénétrant appel de ta flûte!

J’oublie, j’oublie toujours que j’ignore le chemin, que je n’ai pas de coursier ailé.

Je suis inattentif, vagabond en mon propre cœur.

Dans la brume ensoleillée des heures languides, quelle

    immense vision de Toi se dessine sur le bleu du ciel!

Être suprêmement lointain, le pénétrant appel de ta flûte !

J’oublie, j’oublie toujours que dans la maison où je vis seul,

toutes les grilles sont fermées.


KHÔNG LÔ – Douce oisiveté du vieux pêcheur – (Ngu nhàn)


Shitao, Peintre-Pêcheur


Sur mille lieues, le fleuve limpide, sur mille lieues, le
ciel d’azur,
Une fumée flotte sur les mûriers d’un hameau solitaire.
Le vieux pêcheur que nul ne trouble reste plongé dans le
sommeil
Quand il s’éveille, l’après-midi, sa barque est couverte
de neige*.

.

* la neige est inconnue dans cette région du Vietnam .
Mais les poètes employaient souvent ce mot pour désigner la brume
par temps de froid intense.

.

.

  • KHÔNG LÔ – ( ?-1119)

    Issu d’une famille de pêcheurs, les Duong du village de Hai
    Thanh ( ?) , il abandonne le métier familial pour se faire bonze à
    la pagode de Ha Trach (certains documents mentionnent la
    pagode de (Quan Dinh sur le mont Khong Lo). Son plus grand
    ami est le bonze Giac Hai, conseiller du roi Ly Nhan Tong.

in Mille ans de littérature vietnamienne
Picquier poche

  • sur le peintre SHITAO  (1642-1707) , lire :

  Libellus : François Cheng , Vide et Plein

beauxarts.com/grand-format/le pinceau libre du moine citrouille amere/


Hélène Cadou – Bonheur du jour


photo Ellen Hoverkamp

Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.


Pablo Neruda – Aujourd’hui –


Henri Lebasque – (1865-1937) –

Nous sommes aujourd’hui : hier, doucement, a chu
entre des doigts de jour et des yeux de sommeil,
demain arrivera de sa verte démarche,
et nul n’arrêtera le fleuve de l’aurore.

Et nul n’arrêtera le fleuve de tes mains,
pas plus que de tes yeux le sommeil, bien-aimée,
tu es le tremblement des heures qui s’écoulent
de la lumière abrupte au soleil de ténèbres,

et sur toi c’est le ciel qui referme ses ailes
et il t’emporte et il t’apporte dans mes bras
ponctuel, avec sa courtoisie mystérieuse.

C’est pour cela que je chante au jour, à la lune,
à la mer et au temps, à toutes les planètes,
à tes mots de clarté, comme à ta chair nocturne.

*

.

Es hoy : todo el ayer se fue cayendo
entre dedos de luz y ojos de sueño,
mañana llegará con pasos verdes :
nadie detiene el río de la aurora.

Nadie detiene el río de tus manos,
los ojos de tu sueño, bienamada,
eres temblor del tiempo que transcurre
entre luz vertical y sol sombrío,

y el cielo cierra sobre ti sus alas
llevándote y trayéndote a mis brazos
con puntual, misteriosa cortesía :

por eso canto al día y a la luna,
al mar, al tiempo, a todos los planetas,
a tu voz diurna y a tu piel nocturna.

*

La centaine d’amour

nrf

Poésie Gallimard


Michel Foissier – un pressentiment rongé par la fuite du temps


photo RC – monument aux morts Lodève

avaler un sandwich un demi pression un café
laver les pieds des morts avant le petit jour
se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale
parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais
à passer
un pressentiment rongé par la fuite du temps
une promenade à petits pas de laine grise
sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite
les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle
toute blessure se limite à l’impossible
entre pompes à essence et supermarchés
chaque chose en son temps rappelle-toi
il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil
substituer l’acte à l’intention
penser la mort comme une étincelle
il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets
il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde
il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre
et que le refus est écrit dans la peur
et que la peur est son testament
il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau
et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit
et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent
et son geste est très grand
personne n’est dans le camp de personne et
seul il imite le hurlement de la nuit
comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course
ni du marchandage de la main et des jambes
en ces temps on disait la révolution
et l’âme des peuples était invisible
elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit
il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur
le goudron de la nuit
il pense à ces kilomètres de mots
à ces lignes appliquées à l’encre violette
et qui ne touchent jamais la barrière du ciel
ni le sable bleu des déserts ni le souffle
ni ces petits riens de carton-pâte
l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même
dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière
de l’histoire nous ne savons que la calomnie
ici les murs nous font la grâce d’une lecture
aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade
et le film est projeté en plein cœur
les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie
marionnettes ou créatures de rêve
une cérémonie à couper au couteau
le bétail s’allonge dans la manigance des corps
les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment
les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec
des ongles malpropres
elle est assise dans l’ombre
il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans
les giclées du soleil dans
les chuchotements du sous-bois
il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule
demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance
un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang


Leliana Stancu – berçeuse


Petrov-Vodkin, Kuzma détail de la peinture « l’alarme »

Mon enfant, mon ange,
C’est un rêve étrange,
Chaque soir quand je veille
Ton profond sommeil,
Quand le crépuscule
Emporte tous les jours
Vers d’autres soleils
Attendant l’éveil,
Signe que les Dieux
Avec leurs aveux
Embrassent d’autres mondes,
Et l’amour inonde
Tour à tour, les terres,
Même si celles d’hier,
Vivant en caresse,
Demain, ils les blessent…

Mon enfant, mon rêve,
Chaque jour qui s’achève,
Je murmure un doux
Chant, sur tes chères joues,
Comme une belle corolle
De merveille étole,
Tu m’entends, je sais,
Dans ton monde de fées,
Sans avoir l’orgueil
De donner conseils,
Que même dans ma vie
Je n’ai pas suivis,
Juste quelques légendes,
Ensuite je défends
Tes éternels rêves,
Mon enfant, ma sève…

Mon enfant déesse,
Reçois ma tendresse,
Un jour viendra
Quand on partira
Sur des terres de conte,
Sur des anodontes,
Dans des lointains,
Au-delà des humains,
Quand les beaux voyages
Finiront d’ancrage,
Mais je te promets
Ma bienfaisante fée,
Que tu ne perdras
A jamais mes bras,
Tu vivras toujours
L’infini amour…

lire d’autres textes de cette auteure ?


Mon corps lourd de la nuit – ( RC )


J’ai le corps lourd de la nuit
qui pèse à plat sur moi,

– ma doublure effacée par le sommeil-.

Un nuage m’entoure
me coupe le souffle.
Il est de plomb.

Entraîné par son poids
je décroche de mes rêves
pour chuter d’un coup

dans le présent,
éteignant
mes étoiles d’argent.


Enfant-roi – (Susanne Derève)


Odilon Redon – Enfant endormi

.

Non je  n’irai pas réveiller l’enfant-roi

qui sommeille

dans la vive clarté du matin,

car le ciel est si  bleu,

les pins si verts,

les cimes si  brillantes

qu’ils portent en eux leur propre fin

annonciatrice d’orage.

.

.

Je le laisserai dormir à poings fermés

dans l’ombre mauve  des persiennes,

livré  à la tiédeur  des draps,

à la quiétude ailée  de ses rêves                                  

et je refermerai doucement la porte

après moi .

.


Ariel Spiegler – pour C


Pour C

J’ai rêvé de sa noyade.
Il disparaissait dans sa démence froide.
Dans mes bras mourait ; je ne pouvais rien y faire.
Je l’avais chéri.
Son sommeil, petite barque, s’en est allée.

Je suis restée avec le jour qui se levait pluvieux.
Je voulais qu’il empêche ta poussière ;
il s’est laissé regarder dans l’accouchement de lui-même,
nu, parce qu’il fallait lui inventer des vêtements
et se construira un orgueil.

Ariel Spiegler Passage d’encres III


Le silence est sommeil – (Susanne Derève)


Henri Edmond CROSS – Bord de mer

Le sommeil est silence
rêve de chevaux fous nasse légère
entre deux eaux
Le silence est sommeil
parenthèse d’été
sur les pierres chaudes où se couler
lézard furtif
dans les interstices des roches
éclair fuite argentée rouge aveugle
sous les paupières

Au printemps les genêts y jettent des touches
de lumière les giroflées
leur feu cuivré le sable des grèves
miroite doucement sous l’eau un mica
une étoile oubliée et les longs filaments mauves
des méduses dansent dans le ressac
horloger de la mer égrenant le silence
un havresac entre veille et sommeil
où vient se blottir la conscience


Insomnie – (Susanne Derève)


Arpad Szenes – Vers l’Ouest

 

Je me serrais tout contre toi

tout contre ton sommeil

et tes rêves me tenaient en éveil

longtemps …

 

Je  me glissais furtivement hors du lit 

pour leur faire place

 

et l’aube m’accueillait chargée de gris et d’ors

épousant les rives basses du fleuve ,                   

figée dans leur  reflet,

 

n’était-ce l’aile noire d’un cormoran

se déployant sur l’eau et prenant son essor

pour  prélever  sa proie comme un  orfèvre

 

avant de  poursuivre  sa route  le cou tendu

vers les étraves des grands nimbus

au-delà des écluses   et du  havre silencieux  

des grèves  

 

Alors, en frissonnant  je reprenais ma place familière 

entre les draps 

Je m’y serrais tout contre toi  en refoulant  tes rêves 

avant de sombrer enfin  dans le sommeil

 

mais  je crois bien qu’ils m’attendaient

à mon réveil

et   tu  les poursuivais les yeux ouverts

 

 

 


Jacques Borel – les images


 

peinture: Arnold BÖcklin  avec la mort  violoniste

 

Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi

La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,

Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier

De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés

Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent

Comme des soldats frissonnants sous une couverture

Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;

Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,

Qui voudrait approcher de la table de jeu

Et poser encore un peu d’or sur le tapis;

Convaincre doucement ma mère de rentrer,

Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous

Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.

Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître

Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,

Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie

Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre

Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain

La même face confondue de la mémoire et de la solitude.

Dire non, mais puis-je aussi

Dire non à cet enfant dans son lit

Qui murmure à la mort des mots de fiançailles

Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,

Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser

Le sommeil aux mains de sable

Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage

Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.

Ô images, plus indestructibles que les choses !

Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !

Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,

Les gestes, les colères et le tendre recul

Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;

Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,

Je vous sentirai encore collées à mes paupières,

Et, dans la déchirure,

La même lampe continuera d’éclairer pour moi

La même marge obscure et infranchissable du monde

Découpée une fois par les ciseaux du temps,

La maison refermée sur les terreurs du jour,

Ce salon vide, cette porte, et sur le mur

Cette figure lentement qui se confond avec sa robe

Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.


Clarice Lispector – Et alors ? J’adore voler !


Les cubistes méconnus... Image-10

Peinture:                Leopold Survage

Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre,

Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.

Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur

Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains

Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais

Il m’est arrivé de le regretter

Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant, jusqu’à trouver le sommeil

Il m’est arrivé d’être heureuse au point de pas parvenir à fermer les yeux.

Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites.

Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.

Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue.

Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée

Il m’est arrivé de passer des heures devant le miroir pour tenter de découvrir qui je suis et d’être sure de moi au point de vouloir disparaître

Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite, de dire la vérité et de m’en vouloir aussi.

Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin.

Il m’est arrivé de sourire en pleurant des larmes de tristesses et de pleurer tant j’avais ri.

Il m’est arrivé de croire en des personnes qui n’en valaient pas la peine, et de cesser de croire en ceux qui pourtant le méritaient.

Il m’est arrivé d’avoir des crises de rire quand il ne fallait pas.

Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.

Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.

Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire, de me taire quand j’aurais dû crier.

De nombreuses fois, je n’ai pas dit ce que je pensais pour plaire à certains, d’autres fois, j’ai dit ce que je ne pensais pas pour en blesser d’autres.

Il m’est arrivé de prétendre être ce que je ne suis pas pour plaire à certains,et de prétendre être ce que je ne suis pas pour déplaire à d’autres.

Il m’est arrivé de raconter des blagues un peu bêtes encore et encore, juste pour voir un ami heureux.

Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner de l’espoir à celui qui n’en avait plus.

Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Il m’est arrivé d’avoir peur de l’obscurité, aujourd’hui dans l’obscurité

“je me trouve, je m’abaisse, je reste là »

Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne me relèverais pas.

Je me suis relevé un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne tomberais plus.

Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que
je voulais appeler.

Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait
celui que j’aimais.

Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant d’un cauchemar.

Mais elle n’est pas apparu et le cauchemar fut pire encore.

Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir qu’ils ne l’étaient pas.

D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérités, parce que je ne souhaite pas avoir
toujours raison.

Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi parce que je vais suivre mon cœur !

Ne me demandez pas d’être ce que je ne suis pas, ne m’invitez pas à être conforme, parce que sincèrement je suis différente ! Je ne sais pas aimer à moitié, je ne sais pas vivre de mensonges, je ne sais pas voler les pieds sur terre. Je suis toujours moi-même mais je ne serais pas toujours la même !

J’aime les poisons les plus lents, les boissons les plus amères, les
drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus complexes, les sentiments les plus forts.

Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.

Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai : – et alors
J’adore voler !


Je ne veux rien savoir de la pluie – (Susanne Derève)


 

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                         Josef Sudek – Last Roses from the series ‘The Window of My Studio’

 

 

N’ouvre pas les volets laissons fuir

les hivers  je ne veux  rien savoir

de la pluie

une pluie  ronde comme les lunes

de plein été

comme les dunes de Juillet

une  pluie de sable au vent

pluie de tempête et de grésil

d’arbres en guenilles

avec leurs habits de feuilles froissées  

d’herbe mouillée de boue

rigoles froides dans l’encolure

des cache-nez

 

N’ouvre pas les persiennes

Laissons fuir les hivers  nous ne saurons rien

de la pluie 

de la pluie grise du réveil                          

avec ses ailes douces aux carreaux

des fenêtres

de sa chanson sonnante et trébuchante

cheminant au hasard  dans les méandres

 du sommeil

 

N’ouvre pas les volets laisse fuir les hivers  

Je veux ton corps comme un rempart

au creux des draps 

 je veux un nid de chair

où me blottir pour écouter se taire                                     

 la pluie   le son cristallin de la pluie

glissant de feuille en feuille

dans le matin  frileux

                                                      

Alors tu ouvres les persiennes

tu laisses entrer le jour naissant  

dans le lit vaste et nu

et je n’ai plus qu’à tendre la main

pour le cueillir  

dans un murmure …   la pluie s’est tue

 

 

 

 


Répandre des étoiles – ( RC )


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L’origine des temps
se perd dans le lointain,
et la nuit clignote
de myriades d’étoiles,
qui nourrissent les rêves.

Tu as arpenté les terres nues,
les chemins creux,
en recueillant dans tes bras,
comme tu le souhaitais,
les moissons du ciel.

As tu réussi à capter
l’un d’entre ces astres
lors de tes dérives buissonnières,
qui t’emportent
loin de la lourde glaise des jours ?

La bonne étoile te suit alors,
et la bonne fortune
te précède dans le parcours des dunes
même dans la nuit la plus noire
juste quand tu t’endors…

Tu confies tes espoirs
en traçant un bout de route
dans les figures de zodiaques,
qui se reflètent ( on s’en doute )
dans des flaques.

Mais le lendemain
fait pâlir les rêves,
comme si des branches,
se retirait la sève
au petit matin…

Crois-tu que c’est lui qui les a tués 
et que les étoiles s’enterrent,
de façon que la journée,
ne puisse les toucher,
ni personne les atteindre ?

En fait ils ne vivent que la nuit,
lorsque disparaît le soleil
et il n’y a rien qui les remplace
jusqu’à ce que le sommeil
arrive pour les repeindre 

mais l’étoile que tu as choisie
va te guider sur ton destin
même si on ne la voit pas,
tu répands des fleurs avec tes mains
et la glace fond sous tes doigts.


Chevalet triste – ( RC )


peinture: Alice Rotival – Chinghetti 2012

 

C’est cet endroit
suspendu dans le temps
qui semble se refermer dans le sommeil ,
où la poussière se dépose
lentement
et finit par tout recouvrir .

L’atelier est désert
depuis la mort du peintre.

Il y a encore des tubes
aux couleurs incertaines .
Ils voisinent une palette éteinte,
quelques pinceaux raides,
et une ébauche qui attend depuis longtemps
sur ce chevalet triste .

Les odeurs de térébenthine
ne sont qu’un lointain soupir .

Vernis fossilisés,
essences évaporées,
tout est déserté ,
sauf les toiles d’araignées
ayant occulté complètement
les fenêtres de l’atelier .

Le deuil se pare d’un voile épais,
juste propice à l’attente .

Le silence même
est à l’image de ces insectes ,
desséché,        vide de sa substance
prisonnier de l’immobilité .
Le sommeil de la peinture
aux gestes arrêtés, voué à l’éternité .


RC- juin 2019

 

voir aussi  une parmi les nombreuses  aquarelles de David Chauvin


Tristan Tzara – Le temps laisse choir de petits poucets


 

alexander-calder-composition-au-papillon

    Alexandre Calder – composition au papillon

 

 

 

le temps laisse choir de petits  poucets derrière lui

il fauche les fines molécules sur les prairies  d’eau

il dompte les poches d’air  traverse leur jungle

il coupe le ver de  la vague et de chaque moitié

s’illumine un papillon

dans le volcan il se faufile le long  d’une note de

violon

il boucle le cours filant du verre  dans les fines heures

de transparence

là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture

de lumière

 

 

L’Homme approximatif

Poésie/ Gallimard

 


Sommeil de la déraison – ( RC )


cesar-biojo---alejandra_1.jpg

Du sommeil de la déraison,
des rêves chavirent ,
fruits de la passion …

                           Faut-il s’appesantir ,
                           sur l’aube du réveil
ou laisser le miroir décider à sa place ?

Prolonge indéfiniment le sommeil      ,
si ton image s’extrait de la glace ,
sans que tu t’en rendes compte ,
et qu’avec ton corps ,
                                       tu affrontes
         d’autres volutes, et un décor ,
        qui partage celui de mes rêves .

Ils sont toujours en partance ,
et parfois la brume se soulève
assez pour qu’ils s’élancent
                             à travers le miroir,
        ( il suffit, pour cela, d’y croire )

RC – sept  2018


De la nuit – (Susanne Derève)


 

 

                                                   Tom Thomson – Northern lights

 

 

Dans la dernière heure bleue de la nuit

celle qui précède le jour

avec ses bouquets d’arbres nus

ses cheminées de gel

irai-je dire mes voyages

 

Irai-je les dire dans la dernière heure

de la nuit qui chasse le sommeil

aligne les années

celle où  je peux faire mentalement le compte

des rêves avortés  des attentes  futiles

des étreintes passées un vieux calendrier inutile

à jeter au panier 

 

avec  le rideau qui masque la fenêtre

pour retrouver l’instant de dire les  

peut-être

 

cette heure où tu parlais de voyages lointains

du fracas de l’absence

 

celle où je naviguais dans le faisceau  

des phares à travers un rideau de pluie

une simple trouée  au hasard                                                    

 

Si je tapais du pied pour faire basculer

la dernière heure bleue de la nuit

dans le gouffre du matin  

loin de l’éveil figé d’attente

si je disais n’essaie pas de la retenir

 

le jour éclairerait  les premiers

nids aux arbres et je dessinerais

à l’horizon des voiles blanches

temps d’insouciance  mer étale

je dirais tu es revenu

 

je dirais  je n’écrirai plus

mais  voilà que les mots se pressent  

les mots en avalanche

comme la neige fraiche

plein la bouche  et les yeux

 

et dans les  yeux

ces failles où la couleur gommée

resurgit au soleil

rouge grenat   entaille

de sang vif

pour dissoudre la dernière heure 

de la nuit

cette heure où tu sommeilles

 l’heure bleue qui s’enfuit

 

 

 


Alfonsina Storni – Je vais dormir (Voy a dormir)


 

Diego Rivera. La rivière Juchitan, 1953-1955

                              Diego Rivera – Vendeuse d’arum

 

                 

 

Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon sarclé de mousse.

Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles sont toutes belles : baisse-la un peu.

Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons…
un pied céleste te berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes

pour que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :
s’il venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie…

 

 

 

Dientes de flores, cofia de rocío,
manos de hierbas, tú, nodriza fina,
tenme prestas las sábanas terrosas
y el edredón de musgos escardados.

 

Voy a dormir, nodriza mía, acuéstame.
Ponme una lámpara a la cabecera;
una constelación; la que te guste;
todas son buenas; bájala un poquito.

 

Déjame sola: oyes romper los brotes…
te acuna un pie celeste desde arriba
y un pájaro te traza unos compases

 

para que olvides… Gracias. Ah, un encargo:
si él llama nuevamente por teléfono
le dices que no insista, que he salido…

 

 

 

Sources :

Alfonsina Storni et la poésie  

espaces-instants

 

 

 

 


Ezra Pound – La rose éclose pendant mon sommeil


peint  peche au lamparo Codex Skylitzès Matritensis, Bibliothèque nationale de Madrid   Fànos.jpg

peinture: pêcheurs en barque    Codex Skylitzès Matritensis

Et la rose éclose pendant mon sommeil,

Et les cordes vibrant de musique,

Capripède, les brindilles folles sous le pied ;

Nous ici sur la colline, avec les oliviers

Où un homme pourrait dresser sa rame,

Et le bateau là-bas dans l’embouchure ;

Ainsi avons-nous reposé en automne

Là sous les tentures, ou mur peint en bas comme des tentures,

Et en haut une roseraie,

Bruits montant de la rue transversale ;

Ainsi nous sommes-nous tenus là,

Observant la voie depuis la fenêtre,

Fa Han et moi à la fenêtre,

Et ses cheveux noués de cordons d’or.

Nuage sur le mont ; brume sur coteau ouvert, comme une côte.

Feuille sur feuille, branche d’aube dans le ciel

Et obscure la mer, sous le vent,

Les voiles du bateau affalées au mouillage,

Nuage comme une voile renversée,

Et les hommes lâchant du sable près du mur des flots

Ces oliviers sur la colline

Où un homme pourrait dresser sa rame.

XXXIII –


Je ne sais exactement où mon corps penche – ( RC )


Jitka Válová  01.jpg

dessin:  Jitka Válová

 

Je ne sais pas exactement où mon corps penche :
et c’est sur des rives
aussi lointaines que je fréquente,        solitaire,
que va ma préférence
les pieds décollés de la terre .

C’est un univers fantastique,
où je doute fort qu’on me suive :
il y a les démons qu’on dérange ,
des corps aux formes étranges ,
– quelque peu fantomatiques

des arbres comme des mains larges
surgis d’une autre atmosphère ,
que l’on devine bien plus légère ;
j’en parcours la marge,
mais je suis incapable de la décrire,

ou bien,            si j’essayais de le faire,
vous auriez du mal à le comprendre :
il faudrait faire le parcours à l’envers
et tout désapprendre
pour traverser la glace du sommeil,

…un voyage au long cours,
offrant de singuliers détours
entre des nuits de soleils
qu’on ne peut même pas imaginer
avant de les avoir traversées.

RC – oct 2018


Nuit bleue, nuit blanche (Susanne Derève)


Mother and Child Study 1904 Pablo Picasso

                   Picasso- Mother and child (study) 1904 

 

 

Nuit bleue  nuit blanche

nuit jaune de la lueur des lampes

fermée sur le  silence 

alourdie de ce corps qui repose

                                                                                  

Est-ce le tien

Est-ce celui de l’enfant                                               

Est-ce la fièvre

la trace d’un baiser déposé

sur son front   une larme séchée

un souffle qu’on retient

 

 

On retire la main

on voudrait s’en aller

à peine si on l’ose

sur la pointe des pieds

mais sa main est crispée

à la dérive du sommeil comme une bouée

 

 

Lassitude grise des nuits de veille

sous les paupières un carrousel

d’or et de rose

Dormir  se glisser sous les draps                       

près du corps qui repose

sentir son cœur qui bat en suivre

le refrain

 

 

l’étreindre quand chantent les lumières

de la ville au matin

et sous mes doigts l’aube légère

de tes bras qui  m’enserrent    

me hissent vers  l’éveil

mais déjà l’enfant babille et m’appelle

 

 

 


Pendant que tu dors – ( RC )


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soleil et lune: tableau de fils Huitchol ( Mexique )

 

Pendant que tu dors,
le jour s’ouvre comme un éventail,
les légendes se concrétisent,
le vent remue l’or des feuilles,
déplie les fleurs sortant de leur sommeil.

Chacun s’affaire et traverse l’ordre du monde.
L’herbe même, a troué l’asphalte;
les abeilles se chargent de pollen,
les voitures suivent une destination
qui doit avoir son importance.

Mais tout cela ne compte guère :
ni le parfum des lys et des roses :
c’est bien peu de chose,
puisque tu es absente
derrière tes paupières :

tu suis , dans tes rêves
les étendards d’argent :
tu t’imagines en marbre rose
dialoguant dans le silence
avec la statue du commandeur .

Il a brisé son bouclier de bronze,
et son ombre s’étend
même sur celle des oiseaux .
Elle a même effacé le temps .
– Il semble immobile , à ta conscience .

Comme le sang ,
Il pourrait refluer , arrêter sa course ,
t’emporter vers des ailleurs
– ce seraient des jours meilleurs –
au-delà de la Grande Ourse…

pendant que tu dors…


RC   – juin 2017


Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence


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Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.

S’éloigne-t-elle maintenant ?

Ou bien la fais-tu basculer dans le vide

de tes yeux mouillés

dans tes mains

dans le grand air

des lieux éloignés

comme si la fenêtre derrière toi

regardait vers le dedans

et s’éloignait à son tour

tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.

Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier

à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour

et les chambres

dans la cuisine

sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.

Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .

et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.

Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,

les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.

Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire

Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.

Puis la trame de l’horizon se relâche

et l’air se tend,

ni l’oeil ne voit

ni les fenêtres ne clignent

et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.

Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?

Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?

Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?

Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?

Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.

La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.

Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent

La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.

Qui est l’absent ?

Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.

Ils te voient là où tu n’es pas.

L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,

ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.

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