décrire l’impalpable – ( RC )

Volume de poussières et de cheveux par Lionel Sabatté –
Qui pourra me décrire l’impalpable ?
Tout ce qui règne sur l’absence,
brûle les après-midis
dans l’immobilité d’un sommeil,
les poussières occupant des rayons de soleil.
Elles pratiquent le jeu
de l’extinction des feux.
Si légères soient-elles, elles dansent
avec le moindre courant d’air,
captent une partie de la lumière
mais finissent toujours par recouvrir
de leurs cendres,
les surfaces qu’elles grisent
et mes membres
qui s’exercent à la patience.
Car jamais on ne pense
au centre du silence
où la poussière ira embellir
par son entremise, les objets
à défaut de neige blanche.
Personne ne pourra dire
qu’elle conspire ;
mais elle occulte tout l’éclat des reflets
de la demeure
et la transparence oubliée, des heures….
nota: l’artiste Lionel Sabatté et l’auteur de tableaux de poussière et de cheveux ( portraits ), dont un certain nombre sont visibles au musée du Gévaudan, à Mende-

Alda Merini – dans les ombres du sommeil

gravure Gustave Doré ( de l’enfer de Dante )
Tu es entrée dans les ombres du sommeil
un jour
et tu y as reconnu mon visage exsangue
aligné aux autres sur l’aire du sacrifice.
avec la torche de ton savoir.
Tu as éclairé les ombres de l’enfer.
toi, mère immaculée et triste
pour qui les jours ont été
comme autant de fils.
Rabindranath Tagore – assoiffé d’infini

installation :Karina Smigla-Bobinski
Je suis inquiet, assoiffé d’infini.
Mon âme s’épuise en son désir d’atteindre aux sphères inconnues.
Ô Grand Au-delà! le pénétrant appel de ta flûte!
J’oublie, j’oublie toujours que je n’ai pas d’ailes pour voler,
que je suis indissolublement rivé à ma place ici-bas.
Anxieux, je ne puis trouver le sommeil. Je suis un étranger en un pays étrange.
Ton souffle m’arrive, murmurant un impossible espoir.
Ton langage est proche de celui de mon cœur.
Ô Grand Lointain, le pénétrant appel de ta flûte!
J’oublie, j’oublie toujours que j’ignore le chemin, que je n’ai pas de coursier ailé.
Je suis inattentif, vagabond en mon propre cœur.
Dans la brume ensoleillée des heures languides, quelle
immense vision de Toi se dessine sur le bleu du ciel!
Être suprêmement lointain, le pénétrant appel de ta flûte !
J’oublie, j’oublie toujours que dans la maison où je vis seul,
toutes les grilles sont fermées.
KHÔNG LÔ – Douce oisiveté du vieux pêcheur – (Ngu nhàn)

Sur mille lieues, le fleuve limpide, sur mille lieues, le
ciel d’azur,
Une fumée flotte sur les mûriers d’un hameau solitaire.
Le vieux pêcheur que nul ne trouble reste plongé dans le
sommeil
Quand il s’éveille, l’après-midi, sa barque est couverte
de neige*.
.
* la neige est inconnue dans cette région du Vietnam .
Mais les poètes employaient souvent ce mot pour désigner la brume
par temps de froid intense.
.
.
- KHÔNG LÔ – ( ?-1119)
Issu d’une famille de pêcheurs, les Duong du village de Hai
Thanh ( ?) , il abandonne le métier familial pour se faire bonze à
la pagode de Ha Trach (certains documents mentionnent la
pagode de (Quan Dinh sur le mont Khong Lo). Son plus grand
ami est le bonze Giac Hai, conseiller du roi Ly Nhan Tong.
in Mille ans de littérature vietnamienne
Picquier poche
- sur le peintre SHITAO (1642-1707) , lire :
Libellus : François Cheng , Vide et Plein
beauxarts.com/grand-format/le pinceau libre du moine citrouille amere/
Hélène Cadou – Bonheur du jour

photo Ellen Hoverkamp
Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.
Pablo Neruda – Aujourd’hui –

Nous sommes aujourd’hui : hier, doucement, a chu
entre des doigts de jour et des yeux de sommeil,
demain arrivera de sa verte démarche,
et nul n’arrêtera le fleuve de l’aurore.
Et nul n’arrêtera le fleuve de tes mains,
pas plus que de tes yeux le sommeil, bien-aimée,
tu es le tremblement des heures qui s’écoulent
de la lumière abrupte au soleil de ténèbres,
et sur toi c’est le ciel qui referme ses ailes
et il t’emporte et il t’apporte dans mes bras
ponctuel, avec sa courtoisie mystérieuse.
C’est pour cela que je chante au jour, à la lune,
à la mer et au temps, à toutes les planètes,
à tes mots de clarté, comme à ta chair nocturne.
*
.
Es hoy : todo el ayer se fue cayendo
entre dedos de luz y ojos de sueño,
mañana llegará con pasos verdes :
nadie detiene el río de la aurora.
Nadie detiene el río de tus manos,
los ojos de tu sueño, bienamada,
eres temblor del tiempo que transcurre
entre luz vertical y sol sombrío,
y el cielo cierra sobre ti sus alas
llevándote y trayéndote a mis brazos
con puntual, misteriosa cortesía :
por eso canto al día y a la luna,
al mar, al tiempo, a todos los planetas,
a tu voz diurna y a tu piel nocturna.
*
La centaine d’amour
nrf
Poésie Gallimard
Michel Foissier – un pressentiment rongé par la fuite du temps

avaler un sandwich un demi pression un café
laver les pieds des morts avant le petit jour
se coucher enfin parmi les débris de vaisselle sale
parmi les pétales de fleurs fanées comme si la torture n’était qu’un mauvais
à passer
un pressentiment rongé par la fuite du temps
une promenade à petits pas de laine grise
sous les ponts la richesse se consomme à la va-vite
les doigts des amourettes construisent des plaisirs de bouts de ficelle
toute blessure se limite à l’impossible
entre pompes à essence et supermarchés
chaque chose en son temps rappelle-toi
il faut agir de nuit dans les odeurs acides du sommeil
substituer l’acte à l’intention
penser la mort comme une étincelle
il est comme quelqu’un qui renoue ses lacets
il dit qu’il attend et qu’il choisit pour cela cette version obscure du monde
il dit qu’il paye la faute de vivre ainsi en équilibre
et que le refus est écrit dans la peur
et que la peur est son testament
il est armé et le geste s’accompagne du cri d’un jour nouveau
et la lune s’est usée dans le grand cercle de la nuit
et puis occupé par les menus travaux de la guerre il attend dans le fantôme du vent
et son geste est très grand
personne n’est dans le camp de personne et
seul il imite le hurlement de la nuit
comme un cheval sellé qui ne sait encore rien de la course
ni du marchandage de la main et des jambes
en ces temps on disait la révolution
et l’âme des peuples était invisible
elle se cachait dans le secret des caves et ne sortait qu’à minuit
il pense que si sa tête éclatait il serait là à ramasser les morceaux à quatre pattes sur
le goudron de la nuit
il pense à ces kilomètres de mots
à ces lignes appliquées à l’encre violette
et qui ne touchent jamais la barrière du ciel
ni le sable bleu des déserts ni le souffle
ni ces petits riens de carton-pâte
l’habitude nous fait vivre à un millimètre de nous-même
dans la posture accroupie de la femme qui lave le linge à la rivière
de l’histoire nous ne savons que la calomnie
ici les murs nous font la grâce d’une lecture
aveugles nous déchiffrons les impacts de la fusillade
et le film est projeté en plein cœur
les acteurs sont soumis au grain de la maçonnerie
marionnettes ou créatures de rêve
une cérémonie à couper au couteau
le bétail s’allonge dans la manigance des corps
les hommes dorment les femmes dorment les enfants dorment
les chiens urinent puis grattent le bois des portes avec
des ongles malpropres
elle est assise dans l’ombre
il dit donne-moi tes mains j’en ferai bon usage dans
les giclées du soleil dans
les chuchotements du sous-bois
il connaît cette peur de granit cette trahison minuscule
demi-sel un char d’assaut quelque chose comme une prison qui s’avance
un bruit de métal frappé dans la fatalité du sang
Leliana Stancu – berçeuse

Petrov-Vodkin, Kuzma détail de la peinture « l’alarme »
Mon enfant, mon ange,
C’est un rêve étrange,
Chaque soir quand je veille
Ton profond sommeil,
Quand le crépuscule
Emporte tous les jours
Vers d’autres soleils
Attendant l’éveil,
Signe que les Dieux
Avec leurs aveux
Embrassent d’autres mondes,
Et l’amour inonde
Tour à tour, les terres,
Même si celles d’hier,
Vivant en caresse,
Demain, ils les blessent…
Mon enfant, mon rêve,
Chaque jour qui s’achève,
Je murmure un doux
Chant, sur tes chères joues,
Comme une belle corolle
De merveille étole,
Tu m’entends, je sais,
Dans ton monde de fées,
Sans avoir l’orgueil
De donner conseils,
Que même dans ma vie
Je n’ai pas suivis,
Juste quelques légendes,
Ensuite je défends
Tes éternels rêves,
Mon enfant, ma sève…
Mon enfant déesse,
Reçois ma tendresse,
Un jour viendra
Quand on partira
Sur des terres de conte,
Sur des anodontes,
Dans des lointains,
Au-delà des humains,
Quand les beaux voyages
Finiront d’ancrage,
Mais je te promets
Ma bienfaisante fée,
Que tu ne perdras
A jamais mes bras,
Tu vivras toujours
L’infini amour…
–
lire d’autres textes de cette auteure ?
Mon corps lourd de la nuit – ( RC )

J’ai le corps lourd de la nuit
qui pèse à plat sur moi,
– ma doublure effacée par le sommeil-.
Un nuage m’entoure
me coupe le souffle.
Il est de plomb.
Entraîné par son poids
je décroche de mes rêves
pour chuter d’un coup
dans le présent,
éteignant
mes étoiles d’argent.
Enfant-roi – (Susanne Derève)

.
Non je n’irai pas réveiller l’enfant-roi
qui sommeille
dans la vive clarté du matin,
car le ciel est si bleu,
les pins si verts,
les cimes si brillantes
qu’ils portent en eux leur propre fin
annonciatrice d’orage.
.
.
Je le laisserai dormir à poings fermés
dans l’ombre mauve des persiennes,
livré à la tiédeur des draps,
à la quiétude ailée de ses rêves
et je refermerai doucement la porte
après moi .
.
Le silence est sommeil – (Susanne Derève)

Le sommeil est silence
rêve de chevaux fous nasse légère
entre deux eaux
Le silence est sommeil
parenthèse d’été
sur les pierres chaudes où se couler
lézard furtif
dans les interstices des roches
éclair fuite argentée rouge aveugle
sous les paupières
Au printemps les genêts y jettent des touches
de lumière les giroflées
leur feu cuivré le sable des grèves
miroite doucement sous l’eau un mica
une étoile oubliée et les longs filaments mauves
des méduses dansent dans le ressac
horloger de la mer égrenant le silence
un havresac entre veille et sommeil
où vient se blottir la conscience
Insomnie – (Susanne Derève)

Je me serrais tout contre toi
tout contre ton sommeil
et tes rêves me tenaient en éveil
longtemps …
Je me glissais furtivement hors du lit
pour leur faire place
et l’aube m’accueillait chargée de gris et d’ors
épousant les rives basses du fleuve ,
figée dans leur reflet,
n’était-ce l’aile noire d’un cormoran
se déployant sur l’eau et prenant son essor
pour prélever sa proie comme un orfèvre
avant de poursuivre sa route le cou tendu
vers les étraves des grands nimbus
au-delà des écluses et du havre silencieux
des grèves
Alors, en frissonnant je reprenais ma place familière
entre les draps
Je m’y serrais tout contre toi en refoulant tes rêves
avant de sombrer enfin dans le sommeil
mais je crois bien qu’ils m’attendaient
à mon réveil
et tu les poursuivais les yeux ouverts
Jacques Borel – les images
peinture: Arnold BÖcklin avec la mort violoniste
Je ne peux pas grand’chose lorsque s’abat sur moi
La grande faulx noire et dorée de la mélancolie,
Seulement ployer un peu plus bas l’échine, ou supplier
De se taire dans la combe la plus obscure du cœur où ils se sont réfugiés
Ce groupe d’aïeux qui se retournent et chuchotent
Comme des soldats frissonnants sous une couverture
Et dont je n’ose pas surprendre les secrets conciliabules;
Retenir un instant cette main, et c’est celle de mon père,
Qui voudrait approcher de la table de jeu
Et poser encore un peu d’or sur le tapis;
Convaincre doucement ma mère de rentrer,
Qu’il n’y a plus de messe à l’église des fous
Et qu’aucun noyé ne l’appelle du fond de cette eau où elle se penche.
Peut-être pourrais-je refuser de reconnaître
Ce sourire d’amer plaisir que j’ai déjà vu sur d’autres bouches,
Ou ce geste de l’épaule qui tremble et ploie
Quand la vague d’un autre corps va la recouvrir de son ombre
Et la rouler sur un lit d’algues où elle retrouvera soudain
La même face confondue de la mémoire et de la solitude.
Dire non, mais puis-je aussi
Dire non à cet enfant dans son lit
Qui murmure à la mort des mots de fiançailles
Et il me semble qu’il ne s’est pas endormi depuis,
Qu’il est là depuis toujours, à tenter d’apprivoiser
Le sommeil aux mains de sable
Les larmes de Peau-d’Ane encore sur son visage
Et la lune sur la vitre qui survit à ses songes.
— Ô images, plus indestructibles que les choses !
Grandes banderoles à jamais accrochées aux façades !
Vous me cacherez jusqu’au bout les profondeurs des fenêtres,
Les gestes, les colères et le tendre recul
Des êtres qui respirent à leur tour dans les chambres;
Le vent qui vous arrachera me balaiera avec vous,
Je vous sentirai encore collées à mes paupières,
Et, dans la déchirure,
La même lampe continuera d’éclairer pour moi
La même marge obscure et infranchissable du monde
Découpée une fois par les ciseaux du temps,
La maison refermée sur les terreurs du jour,
Ce salon vide, cette porte, et sur le mur
Cette figure lentement qui se confond avec sa robe
Et qui en a fini désormais de ressembler à personne.
Clarice Lispector – Et alors ? J’adore voler !
Peinture: Leopold Survage
Il m’est arrivé de cacher un amour par peur de le perdre,
Il m’est arrivé de perdre un amour pour l’avoir caché.
Il m’est arrivé de serrer les mains de quelqu’un par peur
Il m’est arrivé d’avoir peur au point de ne plus sentir mes mains
Il m’est arrivé de faire sortir de ma vie des personnes que j’aimais
Il m’est arrivé de le regretter
Il m’est arrivé de pleurer des nuits durant, jusqu’à trouver le sommeil
Il m’est arrivé d’être heureuse au point de pas parvenir à fermer les yeux.
Il m’est arrivé de croire en des amours parfaites.
Puis de découvrir qu’elles n’existent pas.
Il m’est arrivé d’aimer des personnes qui m’ont déçue.
Il m’est arrivé de décevoir des personnes qui m’ont aimée
Il m’est arrivé de passer des heures devant le miroir pour tenter de découvrir qui je suis et d’être sure de moi au point de vouloir disparaître
Il m’est arrivé de mentir et de m’en vouloir ensuite, de dire la vérité et de m’en vouloir aussi.
Il m’est arrivé de faire semblant de me moquer de personnes que j’aimais avant de pleurer plus tard, en silence dans mon coin.
Il m’est arrivé de sourire en pleurant des larmes de tristesses et de pleurer tant j’avais ri.
Il m’est arrivé de croire en des personnes qui n’en valaient pas la peine, et de cesser de croire en ceux qui pourtant le méritaient.
Il m’est arrivé d’avoir des crises de rire quand il ne fallait pas.
Il m’est arrivé de casser des assiettes, des verres et des vases, de rage.
Il m’est arrivé de ressentir le manque de quelqu’un sans jamais le lui dire.
Il m’est arrivé de crier quand j’aurais dû me taire, de me taire quand j’aurais dû crier.
De nombreuses fois, je n’ai pas dit ce que je pensais pour plaire à certains, d’autres fois, j’ai dit ce que je ne pensais pas pour en blesser d’autres.
Il m’est arrivé de prétendre être ce que je ne suis pas pour plaire à certains,et de prétendre être ce que je ne suis pas pour déplaire à d’autres.
Il m’est arrivé de raconter des blagues un peu bêtes encore et encore, juste pour voir un ami heureux.
Il m’est arrivé d’inventer une fin heureuse à des histoires pour donner de l’espoir à celui qui n’en avait plus.
Il m’est arrivé de trop rêver, au point de confondre le rêve et la réalité…
Il m’est arrivé d’avoir peur de l’obscurité, aujourd’hui dans l’obscurité
“je me trouve, je m’abaisse, je reste là »
Je suis déjà tombée un nombre innombrable de fois en pensant que je ne me relèverais pas.
Je me suis relevé un nombre innombrable de fois en pensant que
je ne tomberais plus.
Il m’est arrivé d’appeler quelqu’un pour ne pas appeler celui que
je voulais appeler.
Il m’est arrivé de courir après une voiture parce qu’elle emmenait
celui que j’aimais.
Il m’est arrivé d’appeler maman au milieu de la nuit en m’échappant d’un cauchemar.
Mais elle n’est pas apparu et le cauchemar fut pire encore.
Il m’est arrivé de donner à des proches le nom d’ami et de découvrir qu’ils ne l’étaient pas.
D’autres en revanche, que je n’ai jamais eu besoin de nommer m’ont toujours été et me seront toujours chers.
Ne me donnez pas de vérités, parce que je ne souhaite pas avoir
toujours raison.
Ne me montrez pas ce que vous attendez de moi parce que je vais suivre mon cœur !
Ne me demandez pas d’être ce que je ne suis pas, ne m’invitez pas à être conforme, parce que sincèrement je suis différente ! Je ne sais pas aimer à moitié, je ne sais pas vivre de mensonges, je ne sais pas voler les pieds sur terre. Je suis toujours moi-même mais je ne serais pas toujours la même !
J’aime les poisons les plus lents, les boissons les plus amères, les
drogues les plus puissantes, les idées les plus folles, les pensées les plus complexes, les sentiments les plus forts.
Mon appétit est vorace et mes délires sont les plus fous.
Vous pouvez même me pousser du haut d’un rocher, je dirai : – et alors
J’adore voler !
Je ne veux rien savoir de la pluie – (Susanne Derève)
Josef Sudek – Last Roses from the series ‘The Window of My Studio’
N’ouvre pas les volets laissons fuir
les hivers je ne veux rien savoir
de la pluie
une pluie ronde comme les lunes
de plein été
comme les dunes de Juillet
une pluie de sable au vent
pluie de tempête et de grésil
d’arbres en guenilles
avec leurs habits de feuilles froissées
d’herbe mouillée de boue
rigoles froides dans l’encolure
des cache-nez
N’ouvre pas les persiennes
Laissons fuir les hivers nous ne saurons rien
de la pluie
de la pluie grise du réveil
avec ses ailes douces aux carreaux
des fenêtres
de sa chanson sonnante et trébuchante
cheminant au hasard dans les méandres
du sommeil
N’ouvre pas les volets laisse fuir les hivers
Je veux ton corps comme un rempart
au creux des draps
je veux un nid de chair
où me blottir pour écouter se taire
la pluie le son cristallin de la pluie
glissant de feuille en feuille
dans le matin frileux
Alors tu ouvres les persiennes
tu laisses entrer le jour naissant
dans le lit vaste et nu
et je n’ai plus qu’à tendre la main
pour le cueillir
dans un murmure … la pluie s’est tue
Répandre des étoiles – ( RC )
L’origine des temps
se perd dans le lointain,
et la nuit clignote
de myriades d’étoiles,
qui nourrissent les rêves.
Tu as arpenté les terres nues,
les chemins creux,
en recueillant dans tes bras,
comme tu le souhaitais,
les moissons du ciel.
As tu réussi à capter
l’un d’entre ces astres
lors de tes dérives buissonnières,
qui t’emportent
loin de la lourde glaise des jours ?
La bonne étoile te suit alors,
et la bonne fortune
te précède dans le parcours des dunes
même dans la nuit la plus noire
juste quand tu t’endors…
Tu confies tes espoirs
en traçant un bout de route
dans les figures de zodiaques,
qui se reflètent ( on s’en doute )
dans des flaques.
Mais le lendemain
fait pâlir les rêves,
comme si des branches,
se retirait la sève
au petit matin…
Crois-tu que c’est lui qui les a tués
et que les étoiles s’enterrent,
de façon que la journée,
ne puisse les toucher,
ni personne les atteindre ?
En fait ils ne vivent que la nuit,
lorsque disparaît le soleil
et il n’y a rien qui les remplace
jusqu’à ce que le sommeil
arrive pour les repeindre
mais l’étoile que tu as choisie
va te guider sur ton destin
même si on ne la voit pas,
tu répands des fleurs avec tes mains
et la glace fond sous tes doigts.
Chevalet triste – ( RC )
peinture: Alice Rotival – Chinghetti 2012
C’est cet endroit
suspendu dans le temps
qui semble se refermer dans le sommeil ,
où la poussière se dépose
lentement
et finit par tout recouvrir .
L’atelier est désert
depuis la mort du peintre.
Il y a encore des tubes
aux couleurs incertaines .
Ils voisinent une palette éteinte,
quelques pinceaux raides,
et une ébauche qui attend depuis longtemps
sur ce chevalet triste .
Les odeurs de térébenthine
ne sont qu’un lointain soupir .
Vernis fossilisés,
essences évaporées,
tout est déserté ,
sauf les toiles d’araignées
ayant occulté complètement
les fenêtres de l’atelier .
Le deuil se pare d’un voile épais,
juste propice à l’attente .
Le silence même
est à l’image de ces insectes ,
desséché, vide de sa substance
prisonnier de l’immobilité .
Le sommeil de la peinture
aux gestes arrêtés, voué à l’éternité .
–
RC- juin 2019
voir aussi une parmi les nombreuses aquarelles de David Chauvin
Tristan Tzara – Le temps laisse choir de petits poucets

Alexandre Calder – composition au papillon
le temps laisse choir de petits poucets derrière lui
il fauche les fines molécules sur les prairies d’eau
il dompte les poches d’air traverse leur jungle
il coupe le ver de la vague et de chaque moitié
s’illumine un papillon
dans le volcan il se faufile le long d’une note de
violon
il boucle le cours filant du verre dans les fines heures
de transparence
là où nos sommeils bousculent la chantante nourriture
de lumière
L’Homme approximatif
Poésie/ Gallimard
Sommeil de la déraison – ( RC )
–
Du sommeil de la déraison,
des rêves chavirent ,
fruits de la passion …
Faut-il s’appesantir ,
sur l’aube du réveil
ou laisser le miroir décider à sa place ?
Prolonge indéfiniment le sommeil ,
si ton image s’extrait de la glace ,
sans que tu t’en rendes compte ,
et qu’avec ton corps ,
tu affrontes
d’autres volutes, et un décor ,
qui partage celui de mes rêves .
Ils sont toujours en partance ,
et parfois la brume se soulève
assez pour qu’ils s’élancent
à travers le miroir,
( il suffit, pour cela, d’y croire )
–
RC – sept 2018
De la nuit – (Susanne Derève)
Tom Thomson – Northern lights
Dans la dernière heure bleue de la nuit
celle qui précède le jour
avec ses bouquets d’arbres nus
ses cheminées de gel
irai-je dire mes voyages
Irai-je les dire dans la dernière heure
de la nuit qui chasse le sommeil
aligne les années
celle où je peux faire mentalement le compte
des rêves avortés des attentes futiles
des étreintes passées un vieux calendrier inutile
à jeter au panier
avec le rideau qui masque la fenêtre
pour retrouver l’instant de dire les
peut-être
cette heure où tu parlais de voyages lointains
du fracas de l’absence
celle où je naviguais dans le faisceau
des phares à travers un rideau de pluie
une simple trouée au hasard
Si je tapais du pied pour faire basculer
la dernière heure bleue de la nuit
dans le gouffre du matin
loin de l’éveil figé d’attente
si je disais n’essaie pas de la retenir
le jour éclairerait les premiers
nids aux arbres et je dessinerais
à l’horizon des voiles blanches
temps d’insouciance mer étale
je dirais tu es revenu
je dirais je n’écrirai plus
mais voilà que les mots se pressent
les mots en avalanche
comme la neige fraiche
plein la bouche et les yeux
et dans les yeux
ces failles où la couleur gommée
resurgit au soleil
rouge grenat entaille
de sang vif
pour dissoudre la dernière heure
de la nuit
cette heure où tu sommeilles
l’heure bleue qui s’enfuit
Alfonsina Storni – Je vais dormir (Voy a dormir)

Diego Rivera – Vendeuse d’arum
Dents de fleurs, coiffe de rosée,
mains d’herbe, toi ma douce nourrice,
prépare les draps de terre
et l’édredon sarclé de mousse.
Je vais dormir, ma nourrice, berce-moi.
Pose une lampe à mon chevet;
une constellation, celle qui te plaît;
elles sont toutes belles : baisse-la un peu.
Laisse-moi seule : écoute se rompre les bourgeons…
un pied céleste te berce de tout là-haut
et un oiseau esquisse quelques voltes
pour que tu puisses oublier… Merci. Ah, une dernière chose :
s’il venait à me téléphoner
dis-lui qu’il n’insiste pas et que je suis sortie…
Dientes de flores, cofia de rocío,
manos de hierbas, tú, nodriza fina,
tenme prestas las sábanas terrosas
y el edredón de musgos escardados.
Voy a dormir, nodriza mía, acuéstame.
Ponme una lámpara a la cabecera;
una constelación; la que te guste;
todas son buenas; bájala un poquito.
Déjame sola: oyes romper los brotes…
te acuna un pie celeste desde arriba
y un pájaro te traza unos compases
para que olvides… Gracias. Ah, un encargo:
si él llama nuevamente por teléfono
le dices que no insista, que he salido…
Sources :
Ezra Pound – La rose éclose pendant mon sommeil
peinture: pêcheurs en barque Codex Skylitzès Matritensis
–
Et la rose éclose pendant mon sommeil,
Et les cordes vibrant de musique,
Capripède, les brindilles folles sous le pied ;
Nous ici sur la colline, avec les oliviers
Où un homme pourrait dresser sa rame,
Et le bateau là-bas dans l’embouchure ;
Ainsi avons-nous reposé en automne
Là sous les tentures, ou mur peint en bas comme des tentures,
Et en haut une roseraie,
Bruits montant de la rue transversale ;
Ainsi nous sommes-nous tenus là,
Observant la voie depuis la fenêtre,
Fa Han et moi à la fenêtre,
Et ses cheveux noués de cordons d’or.
Nuage sur le mont ; brume sur coteau ouvert, comme une côte.
Feuille sur feuille, branche d’aube dans le ciel
Et obscure la mer, sous le vent,
Les voiles du bateau affalées au mouillage,
Nuage comme une voile renversée,
Et les hommes lâchant du sable près du mur des flots
Ces oliviers sur la colline
Où un homme pourrait dresser sa rame.
XXXIII –
Je ne sais exactement où mon corps penche – ( RC )
dessin: Jitka Válová
Je ne sais pas exactement où mon corps penche :
et c’est sur des rives
aussi lointaines que je fréquente, solitaire,
que va ma préférence
les pieds décollés de la terre .
C’est un univers fantastique,
où je doute fort qu’on me suive :
il y a les démons qu’on dérange ,
des corps aux formes étranges ,
– quelque peu fantomatiques
des arbres comme des mains larges
surgis d’une autre atmosphère ,
que l’on devine bien plus légère ;
j’en parcours la marge,
mais je suis incapable de la décrire,
ou bien, si j’essayais de le faire,
vous auriez du mal à le comprendre :
il faudrait faire le parcours à l’envers
et tout désapprendre
pour traverser la glace du sommeil,
…un voyage au long cours,
offrant de singuliers détours
entre des nuits de soleils
qu’on ne peut même pas imaginer
avant de les avoir traversées.
–
RC – oct 2018
Nuit bleue, nuit blanche (Susanne Derève)
Picasso- Mother and child (study) 1904
Nuit bleue nuit blanche
nuit jaune de la lueur des lampes
fermée sur le silence
alourdie de ce corps qui repose
Est-ce le tien
Est-ce celui de l’enfant
Est-ce la fièvre
la trace d’un baiser déposé
sur son front une larme séchée
un souffle qu’on retient
On retire la main
on voudrait s’en aller
à peine si on l’ose
sur la pointe des pieds
mais sa main est crispée
à la dérive du sommeil comme une bouée
Lassitude grise des nuits de veille
sous les paupières un carrousel
d’or et de rose
Dormir se glisser sous les draps
près du corps qui repose
sentir son cœur qui bat en suivre
le refrain
l’étreindre quand chantent les lumières
de la ville au matin
et sous mes doigts l’aube légère
de tes bras qui m’enserrent
me hissent vers l’éveil
mais déjà l’enfant babille et m’appelle
Pendant que tu dors – ( RC )
soleil et lune: tableau de fils Huitchol ( Mexique )
–
Pendant que tu dors,
le jour s’ouvre comme un éventail,
les légendes se concrétisent,
le vent remue l’or des feuilles,
déplie les fleurs sortant de leur sommeil.
Chacun s’affaire et traverse l’ordre du monde.
L’herbe même, a troué l’asphalte;
les abeilles se chargent de pollen,
les voitures suivent une destination
qui doit avoir son importance.
Mais tout cela ne compte guère :
ni le parfum des lys et des roses :
c’est bien peu de chose,
puisque tu es absente
derrière tes paupières :
tu suis , dans tes rêves
les étendards d’argent :
tu t’imagines en marbre rose
dialoguant dans le silence
avec la statue du commandeur .
Il a brisé son bouclier de bronze,
et son ombre s’étend
même sur celle des oiseaux .
Elle a même effacé le temps .
– Il semble immobile , à ta conscience .
Comme le sang ,
Il pourrait refluer , arrêter sa course ,
t’emporter vers des ailleurs
– ce seraient des jours meilleurs –
au-delà de la Grande Ourse…
pendant que tu dors…
–
RC – juin 2017
–
Bassam Hajjar – Ils recouvrent de blanc ton absence
Lorsque tu la quittes
ses murs se rapprochent
la maison qui, délaissée,
trouve son âme dans un coin
et devine, depuis un instant seulement,
la toile d’araignée qui pend
dans le familier
devenu vacant.
S’éloigne-t-elle maintenant ?
Ou bien la fais-tu basculer dans le vide
de tes yeux mouillés
dans tes mains
dans le grand air
des lieux éloignés
comme si la fenêtre derrière toi
regardait vers le dedans
et s’éloignait à son tour
tandis que t’absorbent la rue et le tournant
avec une boule dans la gorge
de la taille de l’océan.
Elle ne te voit plus maintenant
la maison qui se blottit dans les entrées désertes de son âme
comme si dans le silence de ceux qui restent, là-bas,
elle baissait la tête et prêtait l’oreille
à l’écho des pas d’hier
à l’écho du rire ou du chuchotement dans les salles de séjour
et les chambres
dans la cuisine
sur les étagères et la table
dans les coeurs étincelants des bouteilles d’eau et de cognac.
Comme si elle devinait
que la petite femme
habitait toujours son coeur
et marchait pieds nus pour ne pas troubler la quiétude
dans son esprit brisé,
comme un murmure
qui s’élèverait en elle, .
et de ses flancs
coulerait l’aigreur de l’attente.
Comme si, quand nous partons, c’était la maison qui nous
quittait,
les tableaux et les étagères descendent des murs
les récipients s’en vont
les meubles aussi
la couleur quitte la maison
tandis que les rideaux restent tirés sur son secret
ainsi que les amantes.
Comme elle est nomade, la lumière
et comme l’ombre est sédentaire
Et les maisons dans la mémoire sont des chambres obscures
des couloirs
la respiration tranquille des draps endormis
réfugiés dans la béatitude de leur bleu
seuls et lisses
seuls et creux comme les veuves
les veuves que sont les maisons
lorsque nous nous éloignons d’elles,
que nous faisons signe de loin
et qu’elles font signe de loin.
Puis la trame de l’horizon se relâche
et l’air se tend,
ni l’oeil ne voit
ni les fenêtres ne clignent
et entre eux la distance commence à se remplir, le temps
commence à creuser.
Ma fille distribue-t-elle en ce moment les rôles du soir ?
Discute-t-elle avec sa voisine la poupée ?
Fait-elle manger Snoopy avec sa petite cuiller ?
Trouble-t-elle l’esprit tranquille de la maison ?
Ou bien dort-elle ?
Et quand la mer passe dans sa nuit
elle se retourne, comme sur l’écume d’une vague,
et son visage s’éclaire, halo de sommeil.
La somnolence c’est aussi les maisons
leur apanage et leurs fantômes cachés
lorsque l’air, alourdi par la fumée et les lampes du soir,
endort la petite femme sur le canapé
tandis que se noie la table du bureau
dans le flot des néons
que bâillent les papiers et les livres
que s’arrête le poème.
Lorsque tu la quittes
ses murs s’écartent
La maison, vaste,
imite le désert des livres
le hurlement des loups au loin
tandis qu’un écho s’écoule de ses flancs.
Qui est l’absent ?
Les choses sont à leur place, sauf toi
les choses sans toi
te cherchent là où tu n’es pas.
Ils te voient là où tu n’es pas.
L’absent est avec eux
dans la photo, sur la chaise, derrière la table,
derrière la fenêtre,
ou bien tu avances, sous leurs yeux, dans la rue
les pieds exilés et le torse maigre.
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