Christophe Bourdin – le fil – extr 01


photo:       And Gursky

 

 

Car tu aurais aimé que chaque journée qui s’ajoutait aux précédentes fût inscrite dans le mouvement uniforme d’une continuité, qu’aucun accident ne vînt briser la ligne droite de ton histoire,

le cours de ton destin ; tu aurais voulu que chacune des décisions que tu prenais fût issue logiquement de décisions passées, que les heures qui s’enchaînaient fussent jointes, comme liées par un pacte, et non plus simplement contiguës, juxtaposées les unes aux autres ; et pourquoi pas, que le futur rappelât le présent toujours.
(Tu avais aimé, enfant, tout ce qui paraissait ramener au connu, ce qui reproduisait l’ancien, ce qui se ressemblait, les fréquences, les reprises, les événements qui répétaient la vie, les cycles, le retour des saisons, ce confort des recommencements, les rangées parallèles des marchandises dans les magasins, la séquence des conserves, les superpositions jumelles et les similitudes,

les collections aussi, qui propageaient, qui démultipliaient les choses, et les nomenclatures, les recensements, les sommes, les totalisations, ce qui voulait épuiser la réalité, ce qui semblait pouvoir renfermer le monde, les encyclopédies qui détenaient l’univers, les dictionnaires qui rassemblaient les mots d’une langue, les répertoires alphabétiques qui recueillaient le téléphone et l’ adresse des amis,

tous les fichiers, les énumérations, la liste des élèves qui résumait une classe dans une école, les annuaires qui regroupaient le nom des abonnes d une ville, d un département, d’une région, les almanachs, les calendriers, les agendas et les éphémérides, offerts le jour de l’an, qui possédaient l’année entière, et puis, surtout, les catalogues, où, page après page,

on dénombrait tous les vêtements, de la chemise à la chaussure, tous les objets, les outils, ustensiles en tous genres, appareils ménagers, le mobilier, les jouets, les gadgets, répertoriés, classés par thème, indexés à la fin ; tu prenais dans tes mains le livre lourd, tu te calais dans un fauteuil, tu tournais les feuillets un à un, tu suivais les images qu on y avait incluses, des chiffres, des numéros se succédaient, tu détaillais ce qui constituait pour toi un ensemble invariable. Une totalité. )

——–

 » le fil », est un livre  édité  aux éditions la parenthèse

je m'exprime:haut et foooort