Jacques Roman – lettera amorosa – 04

Sa parole n’a de légitimité qu’à ne jamais te passer sous silence,
qu’à jeter encore ta pierre dans le jardin de la loi.
Je l’avoue : terrorisé devant qui te renie.
Une telle terreur que toute ma chair se fait l’écho d’un hurlement à la vie à la fin duquel…
est-ce laissé pour mort ? Terreur encore quand, le proférant à haute voix,
ton nom lui-même me précipite dans ma bouche : si l’imposture y
était éternellement tapie ? Si ma langue ne travaillait qu’à embaumer une charogne ?
Non ! Je l’entends ce corps aimant infernal comme forcené qui là-haut agite ma langue et dit que son corps est ton corps. Malheur à qui n’a pu voir le cul de son dieu !
C’est d’être pénétrés de toi jusqu’à la moelle que les amants se crient je t’aime
et c’est lancer de poignards sur la cible du temps tandis que la roue tourne.
Sur le plancher d’un bal de campagne dressé au soleil, un jour d’été, près d’un
étang, à mes yeux un être a pris tes traits. Je ne quitterai pas le bal sans fin.
Tandis que là-bas la mort seule reste au bord de la piste, quelqu’un rit
aux larmes d’aimer dans le brouillard, amour, ton ombre même.
Il est temps que j’expédie cette lettre. Il fait nuit et jour à la fois.
Je prononce ton nom. J’ouvre la bouche, s’unissent un instant mes lèvres
et s’élance le souffle aux entrailles du silence. Au secret de la fièvre,
braise m’offre un temps brûlant. Je recommence, je recommence.
LETTERA AMOROSA
Salah Stétié – Se fit une neige
Puis se fit une neige.
La lampe qui l’habille est une étrange pierre.
Et qui lui est tombe définitive.
Le feu comme l’épée flambera dans les arbres.
Cette épée, nous la portons entre nos cils.
Elle tranche dans le vif.
La lumière enfantera par la bouche : cela, personne ne l’avait dit.
… Et seulement les retombées de la neige,
habillée de miroirs et de volutes.
Désir de ce très pur moment quand la main grandira
comme un enfant aveugle
pour cueillir à même le ciel un fruit miré,
et qui n’est rien.
C’est alors que la lumière retournera au sol pour s’endormir,
immense, dans ses linges.
Pour apaiser sa fièvre, et pour,
dans la cascade torsadée, éteindre,
avec la rosée, sa crinière.
Herberto Helder – De Mundo 02
peinture: Evert Lundquist – nat morte 1950
Une cuillère débordante d’huile d’olive
une main tremble à passer
le fil qui partage le monde :
cuillères de feu :
leur reflet calcine paupières et pupilles
– cuillères rasant les braises en équilibre
sous les abîmes d’atomes
des jours.
Parce qu’il doit mourir
dans le sommeil tombe l’eau froide, et elle bout,
dans le sommeil l’eau devient calcaire et froide
ah cette brusque montée de fièvre,
les images insensées.
Le pelage noir des mères suinte sur ce visage d’enfant
qui se détourne.
Seul lui peut ainsi se détourner si longtemps
en dormant,
enfant qui s’étire
Cherchez-moi un nom pour la mémoire
une harmonie sonore
que l’on puisse écrire sans se dévoiler
un nom pour mourir.
Parce que l’enfant traverse tout
et va se heurter au centre même
de lui-même.
…et puis plus aucun n’ose parler, et
chaque chose devient acte
au-dessus de chaque chose, et tout ce
qui est visible bouscule un territoire invisible.
Rendu à la vie – et par cette parole minimale
apparaît alors un presque rien
qui arraché de la feuille et à
l’écriture maladroite semble
la surface imposante de Dieu, c’est ainsi
que tu es rendu à la vie, toi
qui juste un moment avant étais mort.
Rémission ( l’oeil du serpent ) – ( RC )

peinture – Peter Paul Rubens (1577–1640) – Tête de Méduse – 1618, – h sur toile -Moravská galerie v Brně Brno}}
–
Tu descends dans un tourbillon sable mouvant de sable,
De mes mains , je brasse l’air
à grands coups de couleurs fauves ;
–
Elles marquent le passage des minutes vers une agitation solaire.
Avant que tu ne t’enfonces,
dans une étendue morne comme l’ennui.
–
La devanture de l’aube ruisselante , est témoin du rire des trompettes.
Tu es un serpent, trempé de frissons nocturnes,
dont le regard me traque, tout au long de mes nuits.
–
Des chapelets de pierres suspendues, bris de planètes,
Sont les ossements des anges déchus,
dont rien n’entrave la chute.
–
Le sang se fige dans la fièvre des rêves,
On en ignore la part du réel … :
Si tu as injecté le venin, si le réveil en est l’antidote.
–
Car lorsque le jour tend son arc, telle une couverture que l’on retire,
Les délires finissent par faire pâle figure,
Et tu disparais, avalé par le sable.
–
On dirait qu’il ne s’est rien passé.
Le mal est rentré en lui-même,
Peut-être pour ressurgir plus loin,
–
Brève rémission d’une contagion à venir .
Je le saurai quand mes yeux resteront fixés
à jamais , sur les tiens.
–
RC – mai 2015
Roberto Bolaño – Sale, mal vêtu
J’étais malade, certes, mais j’étais vivant.
En el camino de los perros mi alma encontró
a mi corazón. Destrozado, pero vivo,
sucio, mal vestido y lleno de amor.
En el camino de los perros, allí donde no quiere ir nadie.
Un camino que sólo recorren los poetas
cuando ya no les queda nada por hacer.
¡Pero yo tenía tantas cosas que hacer todavía!
Y sin embargo allí estaba: haciéndome matar
por las hormigas rojas y también
por las hormigas negras, recorriendo las aldeas
vacías: el espanto que se elevaba
hasta tocar las estrellas.
Un chileno educado en México lo puede soportar todo,
pensaba, pero no era verdad.
Por las noches mi corazón lloraba. El río del ser, decían
unos labios afiebrados que luego descubrí eran los míos,
el río del ser, el río del ser, el éxtasis
que se pliega en la ribera de estas aldeas abandonadas.
Sumulistas y teólogos, adivinadores
y salteadores de caminos emergieron
como realidades acuáticas en medio de una realidad metálica.
Sólo la fiebre y la poesía provocan visiones.
Sólo el amor y la memoria.
No estos caminos ni estas llanuras.
No estos laberintos.
Hasta que por fin mi alma encontró a mi corazón.
Estaba enfermo, es cierto, pero estaba vivo.
Roland Dauxois – Hors la ruche du monde
–
nous habitons les ossuaires du verbe,
notre métier : tisser en haute lumière
la lice où nos paroles s’affrontent.Hors la ruche du monde
nos fronts sont brûlants de fièvre,
en nos cœurs
flux précipité
du sang de notre langue,
fleuve noir emportant les arbres,
les racines de ces arbres.
soif d’ ombres mêlées de terres et de vents,
soif de marches sur les sommets du monde,
soif de réponses,
de visions magiques.
Extrait de « Hors de » 2003 RD
Main-mise de la sécheresse – ( RC )
–
Je suis des yeux le mince ruban d’un chemin
Il progresse lentement entre les pierres,
Un convoi laisse sa trace, en ruban de poussière
Derrière on ne distingue pas encore les engins,
–
La main-mise de la sécheresse est partout,
Elle a mis à nu les pentes rousses,
Où aucune plante ne pousse,
Et aucun arbre n’est debout.
–
En s’aventurant dans les creux,
Des maisons d’argile se dressent,
La fantaisie les délaisse,
Elles se distinguent à peine du sol rocheux.
–
Au pied de pentes raides,
Quelques palmiers survivent,
Bordée de roches coupantes, la rive
A peine humide, de l’oued…
–
Le regard des enfants a l’éclat de la fièvre,
Il n’y a pas d’herbes, mais un sol orange.
On se demande ce que mangent,
Les quelques troupeaux de chèvres…
–
Tu as le visage cuivré au grand air,
Buriné de rides,
Cuit au soleil de l ‘aride,
Offrant du cuir, plutôt que de la chair.
–
L’astre du jour monte en puissance,
Tant, que l’éblouissement prolifère,
Et la mince croûte de terre,
S’ouvre en béances,
–
Sans ombre protectrice,
Ce sont d’abord quelques fissures
Puis sol se lézarde en brisures,
Aux plaies du sacrifice.
–
Sous l’abri des tentes berbères ;
Le thé à la menthe …..
Et les heures passent, lentes,
Aux portes du désert…
–
RC – 17 novembre 2013
–
Ahmed Mehaoudi – Si Proust n’avait pas écrit « à la recherche du temps perdu.
Sabine Sicaud – jours de fièvre
Ce que je veux ? Une carafe d’eau glacée.
Rien de plus. Nuit et jour, cette eau, dans ma pensée,
Ruisselle doucement comme d’une fontaine.
Elle est blanche, elle est bleue à force d’être fraîche.
Elle vient de la source ou d’une cruche pleine.
Elle a cet argent flou qui duvête les pêches
Et l’étincellement d’un cristal à facettes.
Elle est de givre fin, de brouillard, de rosée,
Jaillit de chaque vasque en gerbes irisées,
Glisse de chaque branche en rondes gouttelettes.
Au coeur de la carafe, elle rit. Elle perle
Sur son ventre poli, comme une sueur gaie.
En mille petits flots, pour rien, elle déferle,
Ou n’est qu’un point comme un brillant dans une haie.
Elle danse au plafond, se complaît dans la glace,
Frappe aux carreaux avec la pluie. Ah ! ces cascades…
C’est le Niagara, vert bleu, vert Nil, vert jade,
C’est l’eau miraculeuse en un fleuve de grâce ;
Toute l’eau des névés, des lacs, des mers nordiques,
Toute l’eau du Rocher de Moïse, l’eau pure
D’une oasis perdue au centre de l’Afrique ;
Toute l’eau qui mugit, toute l’eau qui murmure,
Toute l’eau, toute l’eau du ciel et de la terre,
Toute l’eau concentrée au creux glacé d’un verre !
Je ne demande rien qu’un verre d’eau glacée…
Vous ne voyez donc pas mes doigts brûlants de fièvre,
Mes doigts tendus vers l’eau qui fuit ? Mes pauvres lèvres
Sèches comme une plante à la tige cassée ?
La soif qui me torture est celle des grands sables
Où galope toujours le simoun. Je ne pense
Qu’à ce filet d’eau merveilleuse, intarissable,
Où des poissons heureux circulent. Transparence,
Fraîcheur… Est-il rien d’autre au monde que j’implore ?
Alcarazas, alcarazas… un café maure
Et, dans la torpeur bleue où des buveurs s’attardent,
Un verre débordant parmi les autres verres,
Un verre sans couleurs subtiles qui le fardent,
Mais rempli de cette eau si froide, nette, claire…
Ah ! prenez pour cette eau ce qui me reste à vivre,
Mais laissez-la couler en moi, larmes de givre,
Don de l’hiver à ce brasier qui me consume.
Vous souvient-il de ces bruits clairs, dans de l’écume,
Au bord d’un gave fou ? J’ai soif de tous les gaves.
Les sabots des mulets, vous souvient-il, s’y lavent,
Les pieds du chemineau s’y délassent. Dieu juste,
Ne puis-je boire au moins comme le pré, l’arbuste,
Le chien de la montagne au fil de l’eau qui court ?
Cette eau… Cette eau qui m’échappe toujours,
Qui, nuit et jour, obsède ma pensée…
Ne m’accorderez-vous deux gouttes d’eau glacée ?
–
Tu danses la poussière (RC)
–
Tu danses la poussière
Habites la colère
D’un regard fier
Tu essuies la lumière
Suspendue à mes lèvres
Grand risque de fièvre
Dans un réel avide
En corps limpide
Je combine le désir
Sans aller moisir
En figures de cire
Sous la nuit qui transpire
Le parfum de mon rêve
D’ un espace sans trève
Qu’un néant colore
Saveur de corps encore
Sans soucis, sans effort
Que je retiens encore
Ma broderie à lier,douce
Roule sans amasser mousses
D’un certain décret
Nos deux jardins secrets
Basculent en folie bleue
Des paroles et feux.
RCh 19 janv 2012
( danser la poussière se réfère aux bals populaires africains dits « bals poussière »… car ils ont souvent lieu dans une zone non goudronnée, donc… )