L’homme qui marche file : en interprétant la sculpture, on ne se fie qu’à son allure traversant la terre aride. Il distribue les heures vides en allongeant le pas.
Il l’allonge tant, que les pieds ont leur poids de présence. Il faut marcher, marcher toujours et peut-être ne pas laisser de traces…
Ailé comme la victoire de Samothrace, l’homme s’est fixé une destination, but ultime de son parcours, mais on ne la connaît pas…
Le corps paraît porté par son déplacement régulier. Les bras sont plus légers, ils pourraient tomber ou devenir des ailes. ( poids superflu de métal, même de bronze patiné) on ne va pas s’encombrer, une vie entière à porter ces bras de pierre …
Ainsi la flèche de l’archer une fois décochée, prend plus d’importance que la cible, malgré la distance.
Le corps en déplacement est toujours LE mouvement .
Y a-t-il une méthode que l’on doive suivre pour écrire un poème, courber les mots, les faire danser, sur le fil tendu de la pensée ?
Personne ne m’a chuchoté la réponse et le rythme de la musique qui l’accompagne,
alors je le laisse fleurir comme bon lui semble…
Quelques images lui sont attachées, au gré de ma fantaisie houle argentée accompagnée du vent de l’inquiétude, d’un soleil radieux ou bien tragique…
le poème – si on le qualifie ainsi – prend son envol , sans que je mesure l’espace entre ses pieds, Il ne paraît pas entravé de normes rigides : il s’échappe, sans que je le retienne.
image: montage perso avec au départ un tableau de V Velickovic
Si un jour je suis, vous offrirez ma viande de vie aux animaux.
Si un jour je suis, je vous offrirai ma vie pour la manger.
Rien correspond aux sons que j’entends.
J’ai peint mes deux oreilles qui sont en bleu :
j’avais déjà peint les deux pieds de ma chaise en vide.
Enfant, j’avais déjà peint de travers un chien tout noir
entier en blanc, avec un trou noir au milieu
pour voir dedans, percé lui-même d’un blanc
pour voir derrière.
C’est vraiment une grande forêt pour une fois avec dedans des ours et des hélicoptères miniatures
Je me couche sur le dos au milieu des sapins ils sont hauts je regarde les fourmis courir comme des folles du lever du soleil au coucher du même soleil
C’est vraiment une grande forêt une autoroute la traverse elle part de l’Est se faufile vers l’Ouest les cons en voitures à pieds la traversent aussi s’arrêtent pour y manger et pour y faire pisser leurs gosses
Je me couche sur le ventre cette fois les hélicoptères miniatures sont au-dessus de ma tête silencieux et beaux transparents et gracieux comme des ombrelles de femme
Alors à ce moment là de l’histoire les ours bruns rappliquent pas la peine d’ouvrir tout grands vos yeux d’être étonnés – je vous ai déjà dit plus haut qu’il y avait des ours dans cette forêt
Ils viennent danser avec moi et moi avec eux forcément les hélicoptères miniatures jouent serrés un vieux truc de John Coltrane on va essayer pour une fois de ne pas trop se marcher sur les pieds les ours bruns et moi.
où se dispute un sable noir,
proche de la vase ;
des plantes spongieuses,
et l’illusion de solide,
que des pierres symbolisent.
Aussi, si je risque quelques pas,
sur les pierres découvertes,
ce serait comme un gué,
permettant de passer
de l’autre côté.
Mais ce sont des rêves mouillés,
qui peuvent à chaque instant glisser,
sous la plante des pieds .
On imagine ces roches comme un mensonge,
venu se plaindre aux eaux .
Peut-être n’ont-elles aucune consistance,
et elles peuvent disparaître,
comme elles sont venues,
trichant , en quelque sorte,
prêtes à se dissoudre,
si besoin est .
Le petit ruisseau qui sourd,
ne les écoute pas,
juste le cri des grenouilles,
qui ne croient pas en leurs histoires.
Car des pierres, il y en a plus bas.
Elles ont chuté,
basculé du plateau,
hexagones de basalte
à la géométrie trompeuse,
entraînant une partie du ciel,
chute vertigineuse .
Là s’interrompt l’horizontale :,
tout est en suspens,
quelques instants,
avant que l’eau ne chute à son tour,
et s’évade en cascade blanche .
RC- oct 2017
Le soleil qui se lève chaque matin à l’est
et plonge tous les soirs à l’ouest
sous le drap bien tiré de l’horizon
poursuit son destin circulaire
cadre doré enchâssant le miroir où tremblent les reflets
d’hommes et de femmes jetés sur une ombre de terre
par l’ombre d’une main qui singe la puissance
D’occident en orient un voyageur marchait serrant
de très près l’équateur et remontant en sens inverse la trajectoire solaire
Ses regards agrippés aux forêts peignaient
leurs sombres chevelures et ses mains balancées
selon le mouvement de ses pieds caressaient
les lueurs à rebrousse-poils comme s’il avait entrepris
de forcer le cours de son destin d’heure en heure
et de jour en jour en le prenant à contre-sens
De lieu en lieu la nuit oisive le suivait
Au bruit de ses pensées il la faisait danser
ainsi que font les montreurs d’ours et quand la bête lasse
se couchait hissée sur la boule du monde
c’était l’aurore qui se montra nudité fine étincelante et blanche
-Michel LEIRIS « La néréide de la mer rouge (Gallimard)
Question d’électri-cité
voilà qu’une nuit éructe
haut voltage
des plumes et des néons.
Ils se confondent avec obstination
avec le brouillard des âmes.
Et ce sont des encres,
les plus indélébiles,
imprimant sarabande :
la ville obtuse
fait la sourde oreille
à la moiteur des nuées.
Aussi éveillées que peuvent l’être
les avenues désertes
jusqu’à ce que la lumière artificielle
soit dissoute dans l’ aube violette.
Je vois les indociles
qui pensent que le jour
n’est qu’un détour
accrochés aux barreaux :
la prison les ronge
dans quelques mètres carrés.
Ils n’ont que les murs grisâtres,
et la peau décolorée.
La langue fourbue,
la parole féroce,
une cuvette en émail
la lueur alternative
de la publicité lumineuse,
les maillons du mensonge,
le macadam des rues
marqué d’ombres vertes
comme de fer rouge.
Le reprise du trafic,
le grondement des rames,
les sirènes de police
pour lancer des conjectures.
Le sol est en verre pilé.
Qui ose s’y risquer pieds nus ?
Tu vas deviner l’heure..
( on éxécute mieux à l’aube) –
quand on viendra te chercher
pour te conduire
selon le protocole officiel
à la chaise électrique .
La fin des temps et le déchaînenement du mal ( manuscrit de l’Apocalypse)
–
Autels détruits
amis oubliés
feuilles de palmiers dans la boue
–
Laisse, si tu le peux, tes mains voyager
en cet angle du temps avec le bateau
qui toucha l’horizon.
Quand le dé frappa l’aire,
quand la lance frappa la cuirasse,
quand l’oeil reconnut l’étranger.
Et se tarit l’amour
en des âmes percées ;
quand tu regardes à l’entour et que tu trouves
partout les pieds fauchés
partout les mains inertes
partout les yeux obscurcis ;
quand il ne reste plus rien à choisir, pas même
la mort que tu désirais tienne,
en écoutant quelque grand cri,
le cri même du loup,
ton dû ;
laisse tes mains voyager, si tu le peux,
détache-toi du temps trompeur,
et sombre
comme sombre celui qui porte les grandes pierres.
–
– Georges Séféris, in Gymnopédie [Poèmes 1933 – 1955, suivis de Trois poèmes secrets] nrfPoésie/Gallimard
Je ne me bâtirais pas de maison
(mon bonheur exige même que je n’en possède pas!).
« cabane’, de Juliette Thomas
Mais s’il fallait que je le fasse,
Si je renonce, la cabane ne sera pas. Si je renonce, je n’aurais nulle part où aller.
Si je renonce, où me coucher le soir, où fermer les yeux pour ne plus voir le monde ou l’absence de monde.
Brindilles, branches, feuillages, paille… petit à petit une cabane gagne un destin… amor fati
. Une petite pièce, une dynamique paisible, détachée du monde, une dynamique polyphonique, très ancienne & très moderne.
Rien de complexe, rien de déconcertant, très peu d’éléments, une main, deux mains.
Répétition du thème, bourdon continu, lumière neuve & accents sombres. Une montée, échelon par échelon
Au bord de la mer
Je ne me bâtirais pas de maison (mon bonheur exige même que je n’en possède pas!).
Mais s’il fallait que je le fasse, je voudrais, comme certains Romains, la bâtir jusque dans la mer il me plairait de partager quelques secrets avec ce beau monstre.
il dit qu’un homme peut mourir d’une lettre perdue
une descente, échelon par échelon, rien de conceptuel, une singulière émotion oui.
Une laisse de mer, un murmure de lecture, une plainte au bord de l’eau.
La cabane & la mer, comme deux pages, face à face, lettre à lettre. Un soupir vers la pliure
Entre les gouttes & le sable, entre le vent & la paille, un cillement de la mémoire.
Petite rognure de phrase, cerise qui tombe, oursin ouvert & dégusté sur le rivage, immense océan ou petite larme,
qu’importe : une collection de très petits mouvements.
Les pieds dans l’eau, le crayon dans la bouche, le papier sur les genoux.
Il dit que le seul secret est qu’un homme peut mourir d’une lettre perdue.
La petite Anne, quand elle dort, Où s’en va-t-elle ? Est-elle dedans, est-elle dehors, Et que fait-elle ? Pendant la récré du sommeil, A pas de loup, Entre la Terre et le soleil, Anne est partout. Les pieds nus et à tire-d’aile Anne va faire Les quatre cent coups dans le ciel Anne s’affaire. La petite Anne, quand elle dort, Qui donc est-elle ? Qui dort ? Qui court par-dessus bord ? Une autre, et elle. L’autre dort et a des ailes, Anne dans son lit, Anne dans le ciel.
—
When sleeps, little Anne,
Where does she go?
Is she in, she is outside,
And what does she do?
During the playtime of sleep,
On tiptoe,
Between Earth and sun,
Anne is everywhere.
Bare feet and on a wing
Anne will do
The four hundred shots in the air
Anne is very busy.
Little Anne, when she sleeps,
So, who does she be ?
Who’s sleeping? Running overboard?
Another, and she.
The other is asleep and has wings,
Anne in her bed, Anne in the sky.