William Carlos Williams – Le Moineau –

Traduit par Valérie Rouzeau
(À mon père)
Ce moineau
qui se pose sur ma fenêtre
incarne une vérité
plus poétique que naturelle.
Sa voix.
ses mouvements,
ses habitudes –
comme il aime
à secouer ses ailes
dans la poussière –
tout le confirme ;
certes, il fait cela
pour chasser la vermine
mais son soulagement
lui fait
jeter un cri vigoureux
plus caractéristique
du registre musical
que d’autre chose.
Où qu’il se trouve
au début du printemps
dans une rue mal famée
comme auprès d’un palace
imperturbablement
il vaque
à ses amours.
Ça commence dans l’œuf,
son sexe veut ça :
Quoi de plus prétentieux
et vain
que ce dont nous
sommes le plus fiers ?
Et qui souvent nous mène
à notre perte.
La voix provocatrice
du jeune coq, du corbeau
ne saurait surpasser
la ferveur
de son tchip !
Une fois
à El Paso
vers le soir,
j’ai vu – et entendu ! –
des milliers de moineaux
venus du désert
se percher.
Ils remplissaient les arbres
d’un petit parc. On s’enfuyait
(les oreilles qui tintaient)
loin de leurs fientes,
abandonnant les lieux
aux alligators
qui habitent
la fontaine. Son image
est aussi familière
que celle de l’aristocratique
licorne, dommage
que de nos jours
on ne consomme pas plus d’avoine,
il aurait la vie
plus facile.
Il a
sa petite taille,
son œil vif,
son bec solide
et sa combativité
pour s’en tirer –
sans parler
de son innombrable
progéniture.
Même les Japonais
le connaissent
et l’ont peint
avec bienveillance,
une profonde acuité
jusqu’en ses moindres
caractéristiques.
Rien à signaler
de très subtil
quant à sa parade nuptiale.
Il se tapit
devant la femelle .
laisse trainer ses ailes
tout en valsant,
rejette la tête en arrière
et sans plus de cérémonie
braille ! Son vacarme
est épouvantable.
La façon qu’il a de se frotter le bec
contre une planche
pour le nettoyer
est irrévocable.
Ainsi de tout
ce qu’il fait. Ses sourcils cuivrés
au-dessus des yeux
lui donnent un air
d’éternel
vainqueur – et pourtant
une fois j’ai vu
une femelle de son espèce
résolument
cramponnée à une
gouttière
l’attraper
par la calotte
et le contraindre
au silence,
à la soumission,
le tenant suspendu au-dessus de la rue
jusqu’à
ce qu’elle en ait fini avec lui.
A quoi tout cela
pouvait-il bien servir ?
Elle était là suspendue
elle-même,
déconcertée par sa victoire.
J’ai ri de bon coeur
Réaliste jusqu’au bout
c’est le poème
de son existence
qui l’a emporté
finalement ;
une touffe de plumes
aplatie
sur le bitume,
les ailes écartées symétriques
comme en plein vol, la tête arrachée,
l’écusson noir du poitrail
indéchiffrable,
une effigie de moineau,
rien qu’une hostie desséchée,
pour dire
ce qu’elle dit,
sans offense,
admirablement ;
C’était moi,
un moineau.
J’ai fait de mon mieux ;
salut.
William Carlos Williams
The Sparrow
(To My Father)
This sparrow
who comes to sit at my window
is a poetic truth
more than a natural one.
His voice,
his movements,
his habits —
how he loves to
flutter his wings
in the dust —
all attest it ;
granted, he does it
to rid himself of lice
but the relief he feels
makes him
cry out lustily —
which is a trait
more related to music
than otherwise.
Wherever he finds himself
in early spring,
on back streets
or beside palaces,
he carries on
unaffectedly
his amours.
Il begins in the egg,
his sex genders it :
What is more pretentiously
useless
or about which
we more pride ourselves ?
It leads as often as not
to our undoing.
The cockerel, the crow,
with their challenging voices
cannot surpass
the insistence
of his cheep !
Once
at El Paso
toward evening,
I saw and heard ! —
ten thousand sparrows
who had come in from
the desert
to roost. They filled the trees
of a small park. Men fled
(with ears ringing !)
from their droppings,
leaving the premises
to the alligators
who inhabit
the fountain. His image
is familiar
as that of the aristocratic
unicorn, a pity
there are not more oats eaten
nowadays
to make living easier
for him.
At that,
his small size,
keen eyes,
serviceable beak
and general truculence
assure his survival –
to say nothing
of his innumerable
brood.
Even the Japanese
know him and have painted him
sympathetically,
with profound insight
into his minor
characteristics.
Nothing ewen remotely
subtle
about his lovemaking.
He crouches
before the female,
drags his wings,
waltzing,
throws back his head
and simply —
yells ! The din
is terrific.
The way he swipes his bill
across a plank
to clean it,
is décisive.
So with everything
he does. His coppery
eyebrows
give him the air
of being always
a winner — and y et
I saw once,
the female of his species
clinging determinedly
to the edge of
a water pipe,
catch him
by his crown-feathers
to hold him
silent,
subdued,
hanging above the city streets
until
she was through with him.
What was the use
of that?
She hung there
herself,
puzzled at her success.
I laughed heartily.
Practical to the end
it is the poem
of his existence
that triumphed
finally;
a wisp of feathers
flattened to the pavement,
wings spread symmetrically
as if in flight,
the head gone,
the black escutcheon of the breast
undecipherable,
an effigy of a sparrow,
a dried wafer only,
left to say
and it says it
without offense,
beautifully ;
This was I,
a sparrow.
I did my best ;
farewell.
(A journey to love 1955)
La revue « La Hulotte » (sur abonnement, sans publicité, à l’ancienne donc) a sorti un numéro en 2021 sur ce drôle d’oiseau. Je me suis permis de copier ici l’avis d’un lecteur (qui l’avait diffusé sur Babelio)
Franz 28 juin 2021
Pierrot voudrait badiner avec Colombine, sa moinelle attitrée mais les tourtereaux doivent s’accorder et la tâche n’est pas aisée malgré l’engouement du mâle. Avec ses vocalises monocordes, des « tchip » balancés toutes les deux secondes au retour du printemps, Pierrot appelle et insiste afin qu’une femelle s’intéresse à lui, à sa bavette et à son nid. Malgré ses parades empressées, le mâle doit attendre les bonnes dispositions de la femelle. Ce décalage n’est pas sans risque pour le couple qui se fait assaillir par tous les autres mâles à l’entour. Ensuite, les accouplements se multiplieront laissant croire le badaud bigot à une lubricité exhibitionniste. le nid du volatile est une résidence à vie et il bénéficie de soins constants, rafistolage, consolidation à partir d’un entrelacement de foin et de duvet. Les bébés sont nus et doivent être réchauffés en permanence par les parents la première semaine. Ils sont soumis à un régime insectivore afin de se développer harmonieusement et ingère ensuite des graines pour se préparer à leur alimentation future quinze jours après leur naissance. La vie des jeunes Moineaux est semée d’embûches mais la constitution des bandes de Mouchons est un sérieux appui à la survie. Les prédateurs ne sont pas anodins : chats, éperviers. Moult informations titillent encore le lecteur qui découvre, émerveillé, les us et coutumes du Moineau malin, capable de déclencher volontairement l’ouverture automatique des portes des magasins afin d’aller grappiller en abondance ou son adaptation à chasser de nuit les myriades d’insectes autour des lampadaires. Sa capacité à survivre au fond d’une mine de charbon ou à s’installer dans les nids des cigognes est pour le moins surprenante.
Pierre Déom défie le temps et les modes. Deux fois l’an, il régale avec sa plume ailée ses aficionados conscients que les fascicules de la Hulotte sont visionnaires dès les premiers numéros, précis et précieux dans la description d’un monde fragile et fascinant pourtant à portée. Depuis 1971, date du premier numéro ronéotypé, Pierre Déom a produit en solo 111 fascicules en noir et blanc, tous délectables de la première à la dernière page.
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02/27/2023 à 8 h 11 min
vies de moineaux … merci Gabriel pour cette précieuse contribution !
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02/27/2023 à 10 h 16 min