Je reviendrai – ( RC )

Effacé dans la nuit fugitive du théâtre,
personne n’ira chercher des indices de mon passé.
Car je ne suis plus d’ici.
Certains diront que je ne suis
qu’un tigre de papier…
Les archéologues pourront mettre à jour
ceux qui prétendent tenir de moi,
je ne les contredirai pas.
Nul ne sait que la vénération
dont s’entoure mon souvenir
n’a pour objet qu’une tombe vide.
Je suis toujours ailleurs
là où on m’attend pas.
On se consolera devant un cénotaphe
qui tend à matérialiser
ce qui n’est qu’une absence.
Ne vous inquiétez pas :
Je reviendrai.
escargots de cimetière -( RC )

On ne pourra jamais dire
si les morts se souviennent
de leur existence .
Maintenant, à l’ombre des cyprès
ils peuvent simplement
parier sur les escargots
qui se promènent sur leur tombe,
savoir qui franchira le premier
l’enclos, dès la première pluie
pour longer le mur de l’église,
mais il est peu probable
qu’ils pénètrent à l’intérieur :
l’odeur d’encens ne les attire pas;
l’eau bénite a le goût des cierges.
Ils préfèrent les morts aux vivants,
ceux-là ne risquent pas
de les écraser
avec leurs gros sabots….
un combat silencieux entre pierres et racines – ( RC )

C’est un combat silencieux
entre pierres et racines,
étroitement enlacées :
elles puisent dans le sol
de quoi survivre
aux légendes du passé.
J’ai vu les débris
des colonnes renversées,
les temples envahis de lierre,
les oiseaux de pierre
qui ont perdu leurs ailes,
gardiens d’anciennes stèles…
Un sphinx vivant
me fixe de ses yeux verts:
l’éternité s’étend
jusqu’à une princesse d’Egypte:
( une chatte veille sur une crypte
à l’ombre des oliviers ),
et à mon propre nom
gravé sur une tombe
au destin inachevé .
RC- mai 2022
P.P.Pasolini – De poésie, une vie était close

« J’avais vingt ans, même pas –dix-huit,
dix-neuf…et déjà un siècle était passé
depuis que je vivais une vie entière
consumée à la douleur de penser
que je ne pourrais jamais donner mon amour,
sinon à ma main, ou à l’herbe des fossés,
au terreau d’une tombe sans surveillance…
Vingt ans et, avec son histoire humaine, avec son cycle
De poésie, une vie était close. »
Aude Courtiel – des jours des semaines entre un sourire et l’esquive

J’ai guetté les plis sur ta peau.
Des jours des semaines entre un sourire et l’esquive.
Des centimètres de nuages à boire.
Et la peur d’échouer.
Parce que rien ne remplace l’absent.
Que tout pourrait s’arrêter au silence.
Que tu pourrais contourner le vent.
Fermer les fenêtres.
Tapisser l’être.
Pourquoi ne pas enfiler la tombe.
La mort n’est pas le silence.
Tu pourrais aussi passer par les trous dans la porte.
Remettre à plat les plis.
Nommer l’espace.
Du dehors du dedans.
Tamiser le temps.
Avant, maintenant.
J’ai plongé un papier entre tes doutes.
Qui sait si tu l’enveloppes comme un rêve.
Femme à la mer
Combien de temps elle flotte ?
Combien de peaux ?
Des couches
Des plus ou moins vraies
Des plus ou moins fausses
Des promesses
Des effluves
De fauve
Des chiens des chiennes et du velours
À un poil près pointait le bruit du vent
Silence
Encore du temps
À la surface de la lune
Pour soutenir le foutre
Pour dilater la blessure
Prendre le large
À l’horizon qui sait, le chant des sirènes
Combien de temps flotte avant les sirènes ?
Femme marine à deux queues
Envie d’être en soi
En vie d’un toi
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Hais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche
Jusque dans l’Iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Salah Stétié – Se fit une neige
Puis se fit une neige.
La lampe qui l’habille est une étrange pierre.
Et qui lui est tombe définitive.
Le feu comme l’épée flambera dans les arbres.
Cette épée, nous la portons entre nos cils.
Elle tranche dans le vif.
La lumière enfantera par la bouche : cela, personne ne l’avait dit.
… Et seulement les retombées de la neige,
habillée de miroirs et de volutes.
Désir de ce très pur moment quand la main grandira
comme un enfant aveugle
pour cueillir à même le ciel un fruit miré,
et qui n’est rien.
C’est alors que la lumière retournera au sol pour s’endormir,
immense, dans ses linges.
Pour apaiser sa fièvre, et pour,
dans la cascade torsadée, éteindre,
avec la rosée, sa crinière.
Gertrud Kolmar – Blason de Beckhum
Dans le rouge trois rivières d‘argent coulant à l’oblique
Allongée je dormais,
Cuite dans une pâte moite de terre ourse,
Profondément, si bien.
Des rubans de racines ornementaient ma nuque.
Allongée je songeais.
À ma bouche s’effritait la croûte brune.
Arriva un homme.
Il entoura ma pierre de lianes d’aristoloche.
L’aristoloche à siphons
Je la regardais depuis des paupières scellées.
Elle appelait vers moi
Agitant feuille douce : je ne pouvais répondre.
Je gisais dans le pain,
Et ceux qu’il nourrissait vinrent pour me manger ;
Car j’étais morte,
Cela m’apparut, longtemps je l’avais oublié.
Ma paire d’yeux :
Deux moignons de bougies consumées friables.
Ma souple chevelure :
Mixture de boue et fouillis de plantes marécageuses.
Lumière du langage :
La souris fouisseuse place son nid dans ma gorge.
Je ne la dérange pas. –
Une coulée blanche scintille depuis mon âme,
Elle plonge se ruant
Pour arroser la fleur verte de la tombe
Et se divise en trois
Pour irriguer de grands royaumes rouges.
La triple rivière s’enfonce.
Je suinte laminée chuchotante, disparaissant.
Mes restes sont bus
par une merlette et par l’aristoloche.
Source : Gertrud Kolmar : Preußische Wappen, Berlin 1934. Traduit de l’allemand par Jean-René Lassalle.
d’autres textes de cet auteur sont visibles sur poezibao
Leon Felipe – Je m’en vais car la terre le pain et la lumière ne sont plus à moi
Je reviendrai demain avec le coursier du Vent.
Je reviendrai.
Et à mon retour, c’est vous qui partirez :
Vous, les percepteurs d’impôts sur le chiffre d’affaires de la mort, les centurions en embuscade
sous la grande ogive de la porte, les constructeurs de cercueils qui
disent toujours, quand ils mesurent le corps jaune de ceux qui s’en vont, avec le ruban d’un mètre et demi des tailleurs : Que les morts grandissent !
Oh oui ! Les morts grandissent. Leur dernier costume leur est trop petit pour leur dernière toilette.
Ils grandissent.
Et à peine sont-ils enterrés qu’ils brisent les planches de pin et les catafalques d’acier ;
ils grandissent après dans la tombe, hors de la boîte, ils ouvrent la terre comme les graines de seigle
et puis, sous le soleil et la pluie, dans l’air, dégagés,
et sans racines, ils grandissent, ils continuent à grandir.
Je m’en vais grandir avec les morts.
Je reviendrai demain avec le coursier du Vent.
Je reviendrai. Et je reviendrai grandi ! Alors vous qui êtes en train de partir
vous ne me connaîtrez pas. Mais quand nous nous croiserons
sur le pont, je vous dirai avec la main :
Adieu, percepteurs d’impôts sur le chiffre d’affaires,
centurions,
fossoyeurs !…
Allez ! à grandir, à grandir,
à la terre de nouveau…
à l’eau,
au soleil,
au Vent… au Vent…
Encore une fois au Vent !
La tombe de l’écrivain – ( RC )
provenance photo: philippocock.net
Il y aura un cube de grès rose,
dressé en lisière des bois,
une borne, à priori des plus banales,
( qui n’est pas kilométrique ).
En effet on s’y repose,
aussi bien on s’y assoit,
quoi de plus normal,
après la gymnastique.
Certains y laissent
quelques souvenirs,
de petits cailloux,
une canette de bière.
Les amoureux s’y pressent,
en mains et en soupirs .
C’est le lieu du rendez-vous,
plus que de la prière.
La mousse s’y incruste,
le lierre prolifère,
Pourtant ce volume ne porte
pas de date , mais des noms gravés.
Ce n’est pas un buste,
Mais une simple pierre,
posée de la sorte,
juste au bout de l’allée.
Entourée d’herbe verte,
et de pins qui penchent,
elle marquerait le dernier lit,
du célèbre écrivain :
une tombe offerte
comme une page blanche
qui attendrait encore des écrits,
confiés à d’autres mains .
Echappée de l’enclos
étroit du cimetière
on viendrait comme dans la supplique
de Brassens, y faire d’affectueuses révérences
Entre le ciel et l’eau
A moitié enfouie dans la terre
discrète et monolithique ,
prolongeant dans le temps, son acte de silence .
–
RC – fev 2016
Astrid Waliszek – La faim de Mandelstam
–
Il est des jours – j’aimerais ne pas savoir qu’ils ont existé. Il est des nuits si noires à se souvenir de tout, de tout ce qu’on sait. De la joie lente devant une fleur d’hiver je voudrais garder l’ourlet, suave broderie à poser sur ce cauchemar comme un soupir.
Cette jacinthe, la planter en pleine terre
Sur son glacial pays rectangulaire – cette tombe, muette comme la pierre
Qu’enfin, l’odorante solitaire aux cent fleurs
Nourrisse ses songes de sa foison colorée
Dans sa brume opaque, un dièse sur une portée.
– plus d’infos sur Mandelstam
Jan Slauerhoff – le royaume interdit
…il s’entêta et se retrouva tout à coup devant un large escalier dominé par la façade rigide de la cathédrale ; tout en haut, perçant le ciel grisâtre de la nuit, la croix noire.
Il monta d’un pas lent l’escalier, tête baissée afin de veiller à ne pas trébucher : les marches étaient lisses et désagrégées. Quand il sentit qu’il n’y en avait plus, il leva les yeux : il venait de poser les pieds sur le parvis, le front de l’église était noir, semblable à une imposante pierre tombale verticale ; aucune lumière ne filtrait par les vitraux.
Il savait que derrière cette surface inerte se cachait une chose horrible ; impossible de faire demi-tour, l’escalier semblait s’être effondré derrière lui ; sous la menace de ce gouffre béant, il avança, étourdi, à grandes enjambées, vers la cathédrale.
J. Slauerhoff, Le Royaume interdit, trad. Daniel Cunin, Circé, 2009
Paul Celan – Toute la vie
les soleils des demi-sommeils sont bleus comme
tes cheveux une heure avant le jour.
Eux aussi poussent vite comme l’herbe sur la tombe d’un oiseau
Eux aussi sont attachés par le jeu, que nous jouiions comme un rêve sur les bateaux de la joie.
Aux falaises crayeuses du temps les poignards aussi les rencontrent.
les soleils des sommeils profonds sont plus bleus : comme ta boucle
ne le fut qu’une fois ;
je m’attardais comme un vent de nuit sur le sein à vendre de ta sœur
tes cheveux pendaient sur l’arbre d’en dessous, mais tu n’étais pas là.
Nous étions le monde, et toi tu étais un arbuste devant les portes.
Les soleils de la mort sont blancs comme les cheveux de notre enfant :
Il s’éleva des eaux montantes, quand tu dressas une tente sur la dune.
Il sortit le couteau du bonheur aux yeux éteints.
–
Wislawa Szymborska – Ciel
Ciel (début et fin , 1993)
–
Voilà par quoi on aurait dû commencer: le ciel.
Fenêtre sans rebord, sans feuillure, sans vitres.
Ouverture et rien d’autre,
mais ouverte largement.
Nul besoin d’attendre une nuit sans nuages,
ni de lever la tête
pour regarder le ciel.
Je l’ai derrière mon dos, sous ma main, sur mes paupières.
Le ciel m’enveloppe fermement,
me soulève.
Les montagnes les plus hautes
ne sont pas plus près du ciel
que les vallées les plus profondes.
Pas un endroit où il y en aurait davantage
que dans un autre endroit.
Un nuage est aussi lourdement
écrasé par le ciel qu’une tombe.
Une tombe n’est pas plus au septième
qu’un hibou qui agite ses ailes.
Une chose qui tombe dans le vide
tombe du ciel dans le ciel.
Fluides, liquides, rocheuses,
enflammées et aériennes
étendues du ciel, miettes du ciel
ciel qui souffle et ciel qui s’entasse.
Le ciel est partout
jusqu’aux ténèbres sous la peau.
Je mange du ciel, j’évacue du ciel.
Je suis piège piégé,
habitant habité,
embrasseur embrassé,
question en réponse à question.
Le diviser en Ciel et terre
n’est pas la façon idoine
d’appréhender ce Tout.
Ça permet juste de survivre
à une adresse plus précise,
plus facile à trouver,
si jamais on me recherche.
Mes traits particuliers:
admiration et désespoir.
WISLAWA SZYMBORSKA
(site : Parfums de livres parfums d’ailleurs)
–
Edmond Jabès – Chanson de l’étranger

art: dessin: K Malevitch
–
Je suis à la recherche
d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche.
A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer,
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons
et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.
–
I’am looking to
a man I’m not familiar with,
which was never as my own
since I’m looking for him.
Does he have my eyes, my hands
and all these thoughts like mine
to the wrecks of this time?
Season of thousand shipwrecks,
the sea ceases to be the sea,
become iced water of the tombs.
But, further, who knows further?
A young girl sings , going backwards
on the trees ,and reigns in the night ,
shepherdess among the sheep.
Tear thirst from the grain of salt
That not any drink will quench.
A world corrodes with the stones,
to be, like me, out of nowhere.
–
Edmond Jabès
Henri Thomas – Ma tombe
Ma tombe.
Ma tombe voyage, un jour elle est là,
sous les peupliers, à peine indiquée,
un jour ici, quel vaste mausolée,
le marbre au granit mêle son éclat !
C’est aussi la mer, c’est aussi le feu,
tantôt j’y suis seul, tantôt j’y suis deux,
entortillé dans une chevelure,
on est bien ensemble, on est des lémures.
on m’a mis aussi sur la ronde tour
festin pour le soleil et le vautour,
On m’a mis aussi dans la jarre peinte
après quantités de pratiques saintes,
On m’a mis aussi… mais c’est un mystère.
J’ai mille tombeaux sur la vieille terre.
Henri Thomas. « Le Monde absent » 1947.
–
Edmond Jabès – Chanson de l’étranger
–
Chanson de l’étranger
Je suis à la recherche d’un homme que je ne connais pas,
qui jamais ne fut tant moi-même
que depuis que je le cherche. A-t-il mes yeux, mes mains
et toutes ces pensées pareilles
aux épaves de ce temps ?
Saison des mille naufrages,
la mer cesse d’être la mer,
devenue l’eau glacée des tombes.
Mais, plus loin, qui sait plus loin ?
Une fillette chante à reculons et règne la nuit sur les arbres,
bergère au milieu des moutons.
Arrachez la soif au grain de sel
qu’aucune boisson ne désaltère.
Avec les pierres, un monde se ronge
d’être, comme moi, de nulle part.
Chansons pour le repas de l’ogre (1943-1945)
–
Maurice Chappaz – Apres il y a un oiseau
Apres il y a un oiseau qui vient toujours taper du bec au bord de la fenêtre et Samuel dit : «J'aurais dû m'enfuir avec eux,» Tous les hommes au bord de la tombe sont partis cet hiver, ils ont longtemps écouté l'horloge, ils ont longtemps léché les cuillerées de miel et le creux des tasses où il est peint une fleur. Puis un grand vent est venu fracassant les branches d'arbres. Ou bien la lumière a baissé dans la chambre mais dehors la neige était éblouissante. Elle a fondu près du lit. On entendait le tic-tac des cœurs. Comptine de ma vie toujours en retard.
© Maurice Chappaz
Extrait de: Á rire et à mourir
Editions Bertil Galland , Vevey 1983
photo perso: exposition « lieux habités » musée de St Brieuc 2010
–
Yvon Le Men – Des galets
Je sais
qu’il est interdit
de ramasser des galets
mais
quand il en choisit un
pour le déposer
sur la tombe de son fils
je détournai le visage
et regardai la mer.
Un peu de l’immense histoire du temps
contre la brève histoire d’une vie
est justice.
–
Yvon Le Men
Source : Anthologie poétique: le bon temps de la vie