Heinrich Böll – ils rient


J’ai vu un dessin animé prodigieux : le titre, je ne le sais plus.
Ça se passait en Orient et il y était question d’une petite chatte
travestie en danseuse de charme vers laquelle un matou,
travesti en pacha, étendait d’avides bras élastiques de dessin animé :
à cet instant les choses ont pris une tournure excitante.
Les pirates sont arrivés, ils sont arrivés traversant les airs
sur des tapis volants, ont décrit quelques cercles autour du château du matou,
se sont penchés par-dessus le bord des tapis
et ont fixé d’un regard lascif la petite chatte qui dansait.

Puis ils ont tiré ! Les tapis volants

on s’en rendait compte alors –
reposaient sur des tuyères
qui n’étaient rien d’autre que des mitrailleuses
et de petits canons embarqués.
Alors ces drôles de Jabo de dessin animé
ont fait feu de leurs six ou sept tuyères
et ça sonnait exactement comme ce que,
tous, nous avons encore à l’oreille.
Tout à fait à l’identique.

Puis les pirates ont lancé des bombes,
un genre de grenades explosives
qui ont causé un remue-ménage considérable
dans le château du matou de conte.
On se mettait à l’abri. Et les spectateurs riaient !
Qu’il soit rendu à leur honneur (anonyme)
que tous ne riaient pas, mais la plupart,
et leur rire avait de sinistres échos
pour les habitants d’une ville presque totalement rasée par les bombes.
Les spectateurs riaient alors que les bruits du film étaient les mêmes que ceux
qu’ils avaient entendus dans leurs caves des milliers de nuits durant.
Rire est tellement sain – je doute cependant
de la santé des spectateurs.

extrait de  » LE CHEVEU QUI EST TOMBÉ DE LA TÊTE »

je m'exprime:haut et foooort