Jonas Fortier – dans les hauteurs

montage RC
Quelque chose crie dans la ville
Quelque chose au niveau des arbres
En levant les yeux je découvre
Mon corps dans les hauteurs
Ascensions
Redescentes
Je suis hors de contrôle là-haut
Et paralysé de honte en bas
Ameutés par mes hurlements venus du ciel
Deux petits chiens répondent à l’appel
Pour jouer
Ils se perchent sur ma tête
Et comme au rodéo
Quelqu’un crie hourra
extrait de « la courbure de la terre »
Daphnis et Chloé échappés d’une planète – ( RC )

Un couple ailé s’est échappé de l’une d’entre elles,
faisant face à un oiseau qui tenait dans son bec
une sorte de grappe.
Un soleil imitant une fleur
a ouvert ses pétales jaunes
nourrissant la terre de sa chaleur.
Avec l’arrivée du soir l’une des planètes
a dû se poser sur l’horizon,
car les couleurs ont changé :
du vert et du mauve se sont emparés des collines,
les routes se sont dissoutes
les arbres ont bleui,
des temples ont basculé,
et même une chèvre s’est envolée,
désireuse de répondre à l’appel des êtres ailés,
juste avant que les pétales
ne se referment
sur un tiède crépuscule
précédant la nuit.
Trop lourd, pour que je reste debout, à la surface du monde – ( RC )

gravure sur bois Lynd Ward
Le poids de ma tête est trop lourd
pour que je reste debout,
à la surface du monde.
Je le creuse avec les dents,
la face contre terre,
et il m’arrive de trouver,
quand je dévisse un membre,
mon double, sculpté dans le bois,
par ces racines revêches,
qui ont fini par absorber mon sang.
C’est ainsi que ma vue s’est brouillée,
sans doute à cause de la poussière,
qui, elle aussi encombre mon esprit.
Je ne pense qu’aux temps,
où, trop léger sans doute,
je planais à quelques mètres
au-dessus du sol.
Composé de plusieurs parties
prévues pour s’emboîter,
il a fallu les rassembler.
J’étais à la recherche de la pièce manquante,
qu’on déniche par inadvertance :
un visage à modeler,
qui, maintenant que j’y pense,
offre une certaine ressemblance
à celui qui me fait face et me regarde,
dans le dédale des racines .
Le poids de ma tête est trop lourd :
je ne peux que supposer
que trop d’années l’ont plombée :
le jour se confond avec la nuit,
et je ne peux saisir aucune de ces lueurs,
enfouies dans la terre.
Je ne peux que les imaginer…
car, si j’y voyais encore,
je verrais croître les arbres
se nourrissant de morceaux d’étoiles.
La mienne doit être quelque part,
car un jour je l’ai perdue…
Florence Noël – d’écorce

on avait dit au revoir aux arbres
à chaque feuille
et de tomber avec elles
nos mains s’enflammaient
puis murmuraient des choses lentes
apprises dans l’humus
le manteau de leur torse
était trop vaste
pour contenir le souffle des oiseaux
et tous ces souvenirs
délestés de bruissements
ces troncs buvaient nos bouches
adoubement de sèves
de part et d’autre
d’un baiser de tanin
on avait confié à leur chair
le soin de graver
l’étendue d’une vie
et dans l’ombre inconnue des cimes
nos dents entaillaient
le fragile désir de croître.
extrait de « Au hasard de la lumière »
Troncs d’arbres fossiles – ( RC )

Forêt pétrifiée de Varna
Vieilles âmes habillées de bois,
parcourir cette forêt morte,
cette terre inondée,
branches tombées, entremêlées
corps agonisants dans la litière
épaisse des mousses,
linceul de feuilles pourrissantes…
troués par le temps
debout encore , cependant.
Les oiseaux ont déserté les cieux
pour des pays plus accueillants.
Restent les rudiments de ces arbres,
fantômes, fuseaux d’écailles
témoins immobiles d’antan,
d’où a reflué la sève,
aubier poisseux de sédiments,
petit à petit asphyxiés,
imperceptiblement
transmutés en pierre,
désastre de colonnes éparses,
marbre gris évoquant
celles de temples écroulés,
aux rites enfouis profondément
dans une gangue épaisse
gardienne de leur mémoire pétrifiée .
RC
on renverra aussi vers un article évoquant la découverte, en Essonne, de forêts calcifiées)
Hélène Cadou – Bonheur du jour

photo Ellen Hoverkamp
Je sais que tu m’as inventée
Que je suis née de ton regard
Toi qui donnais lumière aux arbres
Mais depuis que tu m’as quittée
Pour un sommeil qui te dévore
Je m’applique à te redonner
Dans le nid tremblant de mes mains
Une part de jour assez douce
Pour t’obliger à vivre encore.
les perles de lumières que ta main aura semées – ( RC )

Je ne sais plus où se sont égarées,
les perles de lumières
que ta main aura semées.
Personne ne parlera du gazon bleu
des lucioles,
et du frottement des élytres
d’insectes invisibles
dans le bruissement de la nuit.
Je les reverrai soudain
dans l’heure de gloire du matin,
flottant sur la rivière
entre les arbres immobiles :
miettes scintillantes du cœur
parcourant encore
l’espace ouvert qui nous réunit
dans le partage de nos songes….
Georges Jean- un soleil de fin du monde

Derrière ces nuages blancs
Naît un soleil de fin du monde
Les hommes sont tristes ce matin
Serrés dans les doigts de la brume
On voit aux portes des maisons
Croître des arbres de pierre
Des visages penchés sur l’ombre
Écoutent bruire le jour
Une pendule sourde partage
Le sommeil noir des survivants
Les chats de soie suivent la trace
Des oiseaux perdus de la nuit
Une voiture aveugle perce
Le voile calme du silence
Nous ne savons plus si c’est l’aube
Ou l’ombre du dernier rideau.
–
extrait de « parcours immobile »
Mary Oliver – Regarde , les arbres –

Regarde, les arbres
sont en train de tourner
leurs propres corps
en piliers
de lumière,
sont en train d’exhaler la riche
fragrance de la cannelle
et de l’accomplissement,
les longs cierges
des massettes
sont en train d’éclater et de flotter là-bas sur
les épaules bleues
des étangs,
et chaque étang,
peu importe ce que son
nom est, est
sans nom maintenant.
Chaque année
tout
ce que je j’ai jamais appris
pendant ma vie
me ramène à ceci : les feux
et la rivière noire de la perte
dont l’autre rive
est le salut,
son sens
nul d’entre nous ne le saura.
Pour vivre en ce monde
tu dois être capable
de trois choses :
d’aimer ce qui est mortel ;
de le tenir
contre tes os sachant
que ta propre vie en dépend ;
et, quand le moment viendra de le laisser
partir,
de le laisser partir.
In Blackwater Woods
Traduction : Aédàn (2021)
Look, the trees are turning their own bodies into pillars of light, are giving off the rich fragrance of cinnamon and fulfillment, the long tapers of cattails are bursting and floating away over the blue shoulders of the ponds, and every pond, no matter what its name is, is nameless now. Every year everything I have ever learned in my lifetime leads back to this: the fires and the black river of loss whose other side is salvation, whose meaning none of us will ever know. To live in this world you must be able to do three things: to love what is mortal; to hold it against your bones knowing your own life depends on it; and, when the time comes to let it go, to let it go.
voir aussi :
Mary Oliver en Français Facebook
ou
https://www.poetryfoundation.org/poetrymagazine/browse?contentId=41916
Dans le mystère des bois – ( RC )

Il y a encore quelques hommes,
pour recueillir des dons d’un ciel
de novembre, étrangement clément .
Ceux qui arpentent les forêts,
se guident sur les chemins
presque complètement enfouis
sous l’ocre des feuilles.
La terre aimable a caché l’été ,
sous les jaunes et les oranges.
La sève se retire des arbres,
se préparant à l’hiver,
le petit peuple des champignons en profite .
Ce sont peut-être de petits gnomes
qui montrent leur visage,
en dansant en cercles serrés.
Dans le mystère des bois,
commencent à roder les brumes
entre les roches de Huelgoat .
Certains y verraient les fées
qui font leur cueillette d’herbes
de cèpes et d’amanites.
C’est de leur cuisine
que les brumes
s’enroulent dans la futaie .
Si les doigts du vent font silence,
c’est peut-être leurs pas sur les feuilles sèches
que tu entendras,
mais ne t’attends pas à les surprendre,
car leurs robes les cachent
et nos yeux ne peuvent les apercevoir.

Thomas Vinau – de ce côté-ci du ciel
photo Bruno Daversin ( Cévennes )
De ce côté-ci du ciel ne perdure qu’une miette, une impression rosâtre, un soupçon de nuage qui disparaît avant d’y accrocher un seul mot.
De ce côté-ci du ciel, le crépuscule est venu me chuchoter que le temps nous rattrape comme un ogre affamé, que dès que je m’assoie il a les dents qui poussent, que la poussière attend, patiente, que chacun lui revienne.
De ce côté-ci du ciel, le vent a battu la cadence pour que l’obscurité avance jusqu’à me piétiner la tête de ses chaussons brillants et laisser dans mes cheveux des paillettes embrumées, des sentiments d’étoiles.
De ce côté-ci du ciel, les parfums se mélangent dans le grouillement du monde. L’air se frotte à la terre. Les arbres s’enlacent entre eux et l’eau creuse des lits sombres pour l’amour des poissons.
De ce côté-ci du ciel, la lune gomme le fracas des hommes, elle efface tendrement les vestiges du vacarme et la terre se repose un peu pendant qu’une poussière explore le monde sur le dos sombre de la lumière.
De ce côté-ci du ciel, les ailes des chauve-souris qui lui chatouillent le ventre font frissonner la nuit et son rire délicat est comme une prière, une chanson lancinante qui nous dit que le vide est le seigneur du monde.
Jacques Dupin – une forêt nous précède
–
Une forêt nous précède
et nous tient lieu de corps
et modifie les figures et dresse
la grille
d’un supplice spacieux
où l’on se regarde mourir
avec des forces inépuisables
mourir revenir
à la pensée de son reflux compact
comme s’écrit l’effraction, le soleil
toujours au coeur et à l’orée
de grands arbres transparents
Amandine Monin – c’est pour ça aussi que la nature nous est si familière
photo : John Finnan
Un mouvement continu brasse la terre.
Whitman écrit que l’herbe, c’est peut-être les cheveux des morts, il y a tant de monde en dessous qu’au bout d’un moment ils refluent, ils sont les arbres, le lierre, les roches, c’est pour ça aussi que la nature nous est si familière.
Guy Goffette – Dimanche
La cloche du beurrier ancien dans le soleil d’octobre est une église oubliée sur la table des hommes
Elle rassemble autour d’elle les miettes éclatantes du cœur qui a vécu son heure de gloire dans le partage et l’apaisement des cris pépites qu’une main sèmera sur le gazon
bleu pour les oiseaux les insectes les dieux invisibles qui portent la lumière au creux des arbres immobiles et dans l’espace ouvert la nuit entre nos songes
Une île d’écriture – ( RC )
Il y a bien un moment, où le bateau,
à force de dériver, accoste à une île.
Je suis d’abord méfiant, puis y risque quelques pas,
on ne sait quel sera l’accueil.
> Je laisse passer du temps.
On apprivoise l’île et ses occupants,
animaux, végétaux et humains
( s’il y en a ).
Inversement l’île apprivoise,
on dirait qu’elle veut m’inclure dans elle,
faire connaître ses humeurs,
à travers ses mangroves, ses lianes,
ses singes et insectes .
Les fruits exotiques sont mon apéro,
et j’ai trouvé un abri
pour les jours de pluie.
Bientôt je vais me greffer aux arbres,
je serai leurs racines,
et une extension de feuillage,
comme si avant j’étais une chose morte,
et qu’alors j’eusse renoncé à l’inutile.
C’est ainsi que j’ai abordé l’île d’écriture,
porté par les alizés,
et maintenant je fleuris d’encre .
–
RC – oct 2017
Din Mehmeti – Naissance
peinture: étude de nuages – John Constable
Les nuages se donnent la charge,
tels une armée d’enragés.
D’en haut et d’en bas
descendent ou montent des monstres
de tous âges.
Les cloches se brisent quand divorcent les idéaux.
Mais cette cité que vous trouverez
toujours en état de veille
et l’ombre des arbres monte la garde
sur les ponts jetés par-dessus le sang des veines.
Je suis vivant,
debout sur mes jambes.
Quelque chose aspire l’âme
une chose est en train de naître.
Nos yeux sauront la voir.
Passent et repassent mes nostalgies.
Din Mehmeti est un auteur d’origine albanaise. Il vit au Kosovo. voir son ouvrage » il est temps «
Revenue – ( RC )
Au delà,
des rues du carrefour,
des voitures immobiles,
et des arbres qui attendent.
un banc
au milieu d’une place,
peut-être un jardin,
qu’on ne distingue pas bien:
il y a un mur
aux écritures blanches.
puis une lumière dorée
comme si on voyait au travers
alors, laissant tomber les pinceaux ,
j’irai dessiner sur la muraille une porte ,
je l’ouvrirai sans bruit
et saurai que tu es revenue…
–
RC – fev 2018
Bordée par la nuit – ( RC )
peinture: Arthur Dove « moon & see II »
L’œil blanc est sans expression,
et dissémine un clair distant ,
qui ne rappelle pas les ombres .
L’univers est bordé par la nuit .
On ne sait pas s’il s’éveillera
dans le balbutiement des étoiles .
Les entrecroisements des branches
se courbent dans une silhouette
les confondant avec celles d’autres arbres .
La lune pointe parfois entre les nuages,
aiguisant le regard des oiseaux nocturnes.
Ils se répondent de colline en colline.
Jusqu’à ce qu’elle descende
contre toute attente
prélever sur la terre
un peu d’atmosphère
un reflet dans le lac,
qu’elle emporte aussitôt
avec des meutes de fleurs noires,
avant de s’effacer
comme si elle n’avait jamais existé .
–
RC – janv 2018
L’ép(r)ouvante – ( RC )
peinture – Frida Kahlo
—
Epouvante,
qu’il pleuve ou qu’il vente,
tu t’échappes des contes pour enfants,
et ris de toutes tes dents:
et si c’était une comptine,
on verrait luire tes canines …
Et encore, l’épouvante , chante
comme la cigale de La Fontaine,
mais trouves avec peine
l’hiver étant venu, ( air connu ),
où se loger dans les arbres dévêtus
que l’on sait trouver fort dépourvus.
Voila qu’elle a caché la lumière,
et qu’elle effraie la bergère,
avec des histoires de loup,
ou à dormir debout :
on peut presque palper la peur,
distinguer au loin le château la Terreur.
Pendant que tes pas s’égarent
tu erres dans les idées noires :
Si les arbres ont perdu leurs feuilles,
l’épouvante a répandu son deuil,
et les racines d’une forêt ingrate,
multiplient les croche-pattes .
La fontaine s’est refermée,
oubliée dans les ronces et l’églantier :
les fées sont capturées
pieds et poings liées
prisonnières
au coeur de l’hiver.
- Les eaux obscures m’ont bu
tu n’en as rien su :
je me suis noyé
dans l’eau glacée :
mes yeux te regardent
et ma peau est blafarde:
elle a pris les couleurs de la cendre
dans le long bain de décembre :
il m’a été ôté la joie :
nous n’irons plus au bois :
j’ai pris pour compagne l’épouvante ,
dans la forêt – – désormais je la hante.
Mais les années s’étant écoulées,
et tu m’as désormais oublié:
tu as délaissé tes terreurs d’enfance :
la vie a pris une autre consistance,
elle t’emmène vers d’autres horizons,
( c’est maintenant une autre chanson ) .
Tu as remisé toutes ces fadaises,
et t’en vas cueillir des fraises :
Cigale, cigale, il te faut rechanter :
les lauriers des bois ont bien repoussé !
la fontaine est garnie de fleurs d’églantiers,
… tu en accroches une sur ton chemisier…
Attention quand même aux épines :
elles sont restées assassines ! ,
voila qu’une fleur de sang grandit sur ta poitrine ,
alors… te revient en tête la comptine :
l’épouvante et la peur de mourir…
( je me rappelle à ton bon souvenir… )
–
RC – mars 2018
Erri De Luca – Arbres en lecture
peinture : Henri le Sidaner
Nous apprenons les alphabets et nous ne savons pas lire les arbres.
Les chênes sont des romans, les pins des grammaires, les vignes sont des psaumes,
les plantes grimpantes des proverbes, les sapins sont des plaidoiries, les cyprès des accusations,
le romarin est une chanson, le laurier une prophétie.
In « Trois chevaux »
Marine Laurent – Femme de papier
peinture: Egon Schiele
–
Suis une femme de papier
De celui dont on fait les arbres
Et j’ai puisé à leur aubier
Et mangé leurs feuilles vivantes
Arraché l’écorce du fût
Pour tenir debout à ma table
L’hiver sur du papier glacé
Je laisse mes traces effaçables
La sève qui coule des doigts
Trace des mots sans importance
Je flotte au vent car mes racines
Courent à peine sous le sable
Suis une femme de papier
Qui se froisse à moindre risée
Qui brûle à petite flambe
Dans un foyer désaffecté
Mais si l’oiseau à ma fenêtre
Vient poser une plume blanche
Je sens mes folioles renaître
Et la plante à mon encrier
Je partirai sur une branche
Emportée par nuit sans étoile
Et vous dirai dans mon absence
Ce que j’ai laissé sur la toile.
Lindita Aliu – Le bonheur léger
photo lux coacta
C’était un amour étrange,
j’étais comme une partie de tous ces hommes sans que jamais
je ne les eusse vus en rêve.
Ils étaient présents, lors même que m’endormait
le murmure rocailleux du temps.
J’éprouvais un bonheur sans poids,
qui menait je ne sais où.
Il ne s’arrêtait que lorsque des arbres ou des nuages lui faisaient obstacle.
Il semait des mots à tous vents, toutes les lettres folâtraient de par le jardin.
Et aujourd’hui je ressens plus fortement l’hiver du jour que le poids de la terre entière.
Il m’ôte le sens de toute chose, en aplatit les raisons sur l’étendue intemporelle de son propre cercle.
Les lettres, désormais, décrochent mes yeux, me trouent le corps.
Ah ! douleur de mes yeux, eux qui autrefois étaient si savants.
Me torture aussi le désir qui ruisselait sur moi, maternellement, comme une pluie.
–
Lindita Aliu est une auteure du Kosovo
Leon Felipe – Le poète promethéen
Dessin Max Ernst
Biographie, poésie, destin
Le poète raconte sa vie d’abord aux hommes ; puis,
quand les hommes s’endorment, aux oiseaux ;
après, quand les oiseaux s’en vont, ils la racontent
aux arbres…
Ensuite le Vent passe et il y a un murmure de frondes.
Ce qui peut aussi se traduire de la manière suivante :
Ce que je conte aux hommes est plein d’orgueil ;
ce que je conte aux oiseaux plein de musique ;
ce que je conte aux arbres, de pleurs.
Et tout forme une chanson composée pour le Vent,
dont, plus tard, ce spectateur unique et oublieux
ne pourra retenir que quelques mots.
Mais ces mots dont il se souvient sont ceux que
les pierres n’oublieront jamais.
Ce que le poète raconte aux pierres est
rempli d’éternité.
Cette chanson-là, c’est la chanson du Destin que les
étoiles, non plus, n’oublieront pas.
(Extrait de TU GAGNERAS LA LUMIERE ) MEXICO 1942
Deux-bout dans le vent – ( RC )
—
Debout dans le vent
Tronc contre tronc,
Deux arbres —
Marient leurs branches,
Echangent sans doute,
Un dialogue que l’on n’entend pas,
Ecorce lisse,
Contre peau rugueuse
Deux espèces,
deux langages cohabitent,
Par leur sève
Racines imbriquées,
Les unes dans les autres.
Ou bien s’agit-il
D’une lutte silencieuse,
A longueur de siècle,
Un seul sortira vainqueur,
Se nourrissant de sa mémoire,
Laissant ce qu’il en demeure,
Aux insectes,
Découpe d’une silhouette
Libre de ses feuilles,
Sculpture éphémère,
Dans un ciel,
Ou l’orage succède à l’azur,
Le jour, à la nuit ( comme il se doit ).
–
RC- août 2015
Des temps et des vents – ( RC )
- photo: le vase de Sèvres – gorges de la Jonte, Lozère
Il faut écouter la poussée du vent,
Bien sûr, parcourir sa transparence,
Les secousses, qui bousculent,
Les sommets des arbres,
Et parfois les couchent.
Comme la voile qui se tend,
Offerte en sa béance,
Ce cap, cette péninsule,
Sous les rafales, se cabre ,
Tendue à l’extrême , farouche.
Puis, soudain, se déchire,
Sur toute la longueur,
Désormais livrée à elle-même,
Lambeaux agités
dans la tourmente.
Sans s’infléchir ,
> Si c’est un vent libérateur,
Les graines se sèment,
Dispersées en quantité,
Comme une pluie bienfaisante.
Elle transmettent leurs gênes,
Aux mains ouvertes de la terre,
Toujours prêtes à les accueillir,
Alors que les pierres chantent,
De leur corps minéral.
Une réponse au chant des sirènes,
Gardiennes de la mer,
De la brise aimable et ses soupirs ,
Ainsi les rochers sur les pentes,
Leur présence immémoriale …
Mais il arrive que par l’usure des temps,
Ce qu’on croyait éternel,
Selon notre mémoire,
Même la plus ancienne,
Un pan de montagne bascule…
Et si c’est la puissance du vent,
Celle de l’eau et du sel,
A conjuguer leurs pouvoirs,
> L’histoire devient incertaine
Equilibre précaire du funambule…
–
RC – mai 2015
Yannis Ritsos – Inévitable
photo: Lydia Roberts
Ils sont partis, l’un après l’autre.
Nous avons attendu.
Ils ne sont pas revenus.
Comment peut-on s’habituer à tant d’éloignement ?
Ni montagnes, ni arbres, ni maisons,
ni gens du tout, et les noms oubliés,
et la cendre répandue jusque dans les pages vierges.
Seulement dans le champ sec aux ronces jaunes,
a poussé une rose comme par erreur. La nuit,
souviens-t’en quand tu regarderas au loin, vers le large,
les trois petits feux errants. Souviens-t’en.
O, triste, inconsolable clair de lune, garde-moi.
Karlovassi, 10. VII. 87