Ilarie Voronca – les mains vides

Tes émissaires se tiennent sur notre seuil
« Que chacun apporte ce qu’il a de meilleur », disent-ils
Les riches ont entassé leurs joyaux, leurs étoffes,
Chargés de bagues leurs doigts ont plus d’éclat que leurs yeux,
Le parler des monnaies a couvert celui de leur mémoire
Ils n’entendent pas la marche des hommes de l’avenir
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Une fois encore nous sommes les méprisés, les humbles.
Eux, ils ont rempli les vaisseaux. Ils marchent
A la tête d’armées glorieuses. Ils appellent
Du fond des temps leurs moissons, leurs troupeaux,
Nul trophée n’est oublié et sur leur front
Le songe de leur force élève une couronne
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous avons vu l’inoubliable étoile,
La fanfare altière des forêts dans l’orage
Le soleil dans les arbres comme en le bois d’un cerf,
Les océans traçaient autour leur cercle de feu
Chaque chose murmurait « rappelle-toi bien »
Il fallait garder l’image non pas la chose
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Eux, ils apportent ce qu’ils ont pris, mais non
La flamme sans parure en l’urne de leur âme,
Toujours le contenant, jamais le contenu,
La pierre mais non pas sa voix muette,
L’oiseau mais non la fumée de son vol,
Le métal non l’éclat dans les roues de l’aube
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Notre part a été la part du faible.
Non pas demander, mais se donner tout entier,
Nous distribuant dans l’univers pour mieux ensuite
Le recevoir en nous. O ! Mers, montagnes, astres,
Nous n’avons retenu que vos reflets,
Du riche bétail dans les étables nous avons préféré le souffle,
Et nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Nous venons les mains vides, le regard serein
Car les noms sont en nous. Tes émissaires sauront les lire
Les autres entassent tout ce dont ils nous ont dépouillés
Et le monde purifié dans le feu de leur envie
Nous protège et nous accueille. Les autres s’écroulent
Sous le fardeau des triomphes et des parures
Mais nous
Nous avançons les mains vides, le regard serein.
Jean-Yves Fick – Nuit / Icaria 43

La main irascible
il aurait tout calciné
des jours et des signes
n’en resteraient plus
au creux de sa paume ouverte
que cendres ténues
il sait ou devine
les tourbillons de l’angoisse
l’effroi de la chute
il lui faudra bien
tôt ou tard c’est imminent
reprendre son souffle
passages de feu
luisent dans son dos
il s’ouvre son chemin là.
texte de J Y F issu de gammalphabets
Sous une couverture de feuilles – ( RC )

Au milieu d’une forêt, aux arbres centenaires,
je me serais arrêté dans une clairière.
De petits éclats mauves, clignotant de leurs pétales,
au pied du rocher, où je confierais au vent ma destinée.
Je serais le chercheur d’herbe, déplaçant les pierres
me guidant sur le fil invisible de la sueur des fleurs.
Le rocher enflammé doucement
avec le soleil couchant comme un dernier espoir
avant la couverture du soir.
Je me coucherais là, sous une couverture de feuilles
pendant que les plus sèches s’échappent,
avec le souffle le plus léger, qui les agite.
Je laisserais, posé à mes côtés,
le bouquet d’orchidées, immobile dans la nuit.
Car, à qui puis-je offrir des fleurs que je n’aurai pas cueillies ?
Celle à qui je pense est loin sur la route
quand moi, je m’éloigne de la vie.
—
( basé sur un écrit de Ph Jaccottet » A travers le verger « ,
et ce texte d’une auteure chinoise anonyme…( dont le texte suit )
Dans la forêt nouvelle a fleuri l’orchidée,
Qui, çà et là, s’emmêle à la vigne,
J’en ai cueilli les fleurs toute la matinée;
Le soir venu, je n’ai pas fini ma brassée.
À qui donc présenter les fleurs que j’ai cueillies?
Celui à qui je pense est au loin sur la route…
Les parfums délicats vite s’évanouiront;
Soudain, toutes les fleurs se trouveront fanées.
Quel espoir luit pour moi que je puisse évoquer?
Au vent qui vole, je confierai ma brassée.
Auteure chinoise anonyme, 200 ans av. J.-C. --
Zao-Wou-ki – Peindre, toujours

Peindre, peindre, toujours peindre, encore peindre le mieux possible,
le vide et le plein, le léger et le dense, le vivant et le souffle
Herta Müller – tous les chats sautent à leur façon

J’ai toujours cherché, en tout, la juste mesure. Je me disais que si je mangeais mon poids de trèfle, le trèfle allait m’aimer – sans savoir si c’était une bonne chose ou non.
Ou encore, je me voyais manger tout un carré de plantain lancéolé, de la taille d’un lit, histoire d’y faire un petit somme quand les vaches se coucheraient paresseusement sur l’herbe. Je pensais aussi que tous nos souffles étaient comptés, enfilés comme des perles de verre pour former un collier. Quand ce collier de souffles allait de la bouche jusqu’au cimetière, on mourait.
La respiration était invisible, personne ne connaissait la longueur de son collier de souffles.
extrait de » tous les chats sautent à leur façon »
Lionel Ray – Ni rides ni raison –

Ni rides ni raison . c’est la foudre aux yeux bleus
qui éclaire les seuils.
fragile est son secret : ce nœud léger du souffle
ces traces de naissance nouvelle ce cri brisé. –
nous serrons contre nous une cage pareille
à la fumée – distance qui déchire.
et nous marchons dans son obscur empire
vers cette vitre innommable, notre voisine sèche.
ainsi nous habitons le mouvement des jours :
l’ombre dans l’ombre va, envol de nul oiseau.
Poésie 84
Janvier Février 1984
Revue dirigée par Pierre SEGHERS
Ibn Zaydùn – fidélité

photo Roland Michaud 1967 – l’homme à la rose- Afghanistan
Je t’ai évoqué à Az-Zahrâ avec ardeur,
Le ciel était bleu, et la terre
Toute de splendeur vêtue.
Au crépuscule le zéphyr était doux,
Et s’accordait à l’âme,
Comme si, par compassion,
Il s’apitoyait sur mon sort.
Le verger de rosée souriait
Comme s’il portait des perles
Un jour comme tant d’autres de nos jours de plaisirs écoulés,
Nous veillâmes comme des voleurs,
Quand le temps s’assoupit,
Nous jouissions de ce qui séduit l’œil dans les fleurs,
La rosée les inondait jusqu’à les faire frémir sur leurs tiges.
Si ses yeux savaient mon insomnie,
Ils pleureraient sur ce qui m’affecte,
Et les larmes auraient brillé et se seraient écoulées.
Fleurs qui étincelèrent au temps de l’éclosion,
Accordant au matin la radieuse clarté des yeux.
Dans la nuit s’exhalent les senteurs du nénuphar assoupi
Qui dessillent, de l’aube, les paupières.
Tout dans la nature éveille
Le souvenir de notre passion
Au point que le cœur en est oppressé.
Que Dieu fasse que votre souvenir ne s’absente
Ni ne s’envole sur les ailes palpitantes des passions.
Si la brise de l’aube voulait porter mon fardeau,
Quand elle répand son souffle
Elle aurait conduit à vous un jeune homme
Que les coups du malheur ont fait dépérir.
Si un jour exauçait le désir de nos retrouvailles,
Il serait de tous le plus généreux.
Ô femme précieuse, sublime,
Toute pétrie de lumière,
L’aimée de mon âme tu serais
Si je te cueillais comme les amants la rose.
La tendresse était l’aire d’intimité
Que, librement, nous avons longtemps parcourue.
Aujourd’hui je chante, de votre règne, le passé révolu.
Dans l’oubli vous avez enfoui mon souvenir,
Mais l’amour de vous ne m’a pas déserté.
extrait du recueil paru chez » Orphée » ed la Différence.
c’est un auteur qui a vécu au 10 è siècle
Ivo Fleischmann – Vers

Les secrets. Nous en sommes entourés.
Un seul visage, ou deux ?
J’écoute ton souffle et quand tu ouvres les yeux
et que tu me demandes pourquoi je veille
jamais je ne dirai le nom de la rue le nom de la ville
le chiffre de l’année
Jamais je ne dirai que des nuages là-haut filent vers l’horizon
Je te soulève de la rivière où tu dors
et je t’y replonge pour descendre avec toi au fil de l’eau
la nuit, comme un torrent
qui ne remontera jamais vers sa source.
(Quelques feuilles et la rivière )
— extrait du recueil « poésie », la nouvelle poésie tchèque
Pierre Mhanna – respiration et souffle
sculpture: Barbara Hepworth
When I am down
I breathe in and out
as deeply and widely as I can,
centering myself
in the clarity of her light,
the intuition of eternity.
Quand je n’ai pas le moral
Je respire et souffle
Aussi profondément que possible ,
En me centrant
Dans la clarté de sa lumière,
L’intuition de l’éternité.
–
Fouad El Etr – amour, ma double solitude
photo craigmac
–
Amour
Ma double solitude
Qui surprends
Même en rêve
Avec tes seins pensifs
Mon cœur
Rien que
Retenant notre souffle
Ton goût de silex
Doucement
Dans le noir
M’asphyxie
Quand tu déplies
Jusqu’aux étoiles
Tes jambes
Et me dissous
Dans ta beauté acide
Foie reins cœur moelle
Adriana Mayrinck – Rideau de fumée
photo Dielucie
Dans la fente qui répand la lumière
Je ne trouve pas ton reflet
Dans le rideau de fumée
Qui nous sépare
Infranchissable
Je ne peux pas t’atteindre
À quel moment j’ai perdu le raccourci
Quel mot mal dit
T’a fait taire
Insomnie..
Je traverse le désert de l’aube
Dans la solitude accompagnée de ton souffle.
–
traduit du brésilien:
texte original:
–
Cortina de fumaça
Na fresta que espalha luz
Não encontro teu reflexo
Na cortina de fumaça
Que nos separa
Instransponível
Não consigo te alcançar
Em que momento perdi o atalho
Que palavra mal dita
Te fez calar
Insone
Atravesso o deserto da madrugada
Na solidão acompanhada pelo teu respirar.
un pont entre tes paroles – ( RC )
détail d’une peinture de Botticielli (Vénus et Mars )
J’ai entendu la mer
dans la conque marine.
Et dans le ressac,
m’est parvenue ta voix,
dans le silence qui se retire,
suivant la marée basse.
Il y a du silence en toute chose,
et c’est un pont entre tes paroles.
Elles se poursuivent dans le temps,
et l’émotion tinte de leur écho.
C’est une voix sereine
qui rend sa grâce
au sourire d’un enfant,
auquel tu redonnes le souffle.
Je t’ai écoutée,
comme le ressac,
dans la conque marine.
Ile Eniger – Des jours et des nuits
photo: Sebastiao Salgado » genesis »
J’ai déchiré des pans entiers du ciel trop bleu, trop confiant, trop indécis.
J’ai gardé quelques livres, un vieux rêve, deux poignées de sable,
une ou deux pommes vertes, de l’eau entre les doigts,
de la musique sur un fil d’horizon ou de violon.
On n’entend plus mes pleurs d’animal ni mes pas qui raclent le sol.
De loin, on me fait quelques signes.
Dessous, la rivière grande, la rivière gronde.
Des veines d’eau gonflées charrient les passés.
Dessus, le plafond trimballe ses nuées bâtardes.
Des jours et des nuits se disputent l’espace.
Il y a sans doute un accord possible.
Autour, des choses à prendre ou à laisser.
Et le souffle porté, supporté, emporté.
Loin de la mesure des hommes.
J’ai vacillé et tenu bon.
Je me suis bricolé des ailes pour faire danser mes espadrilles.
J’ai tenté d’aimer et la lumière qui va avec.
Pierre Mhanna – le feu de son parfum
—
photo: Josef Breitenbach
Sa robe tombante
Un souffle de brouillard et de rosée
L’entre-laçage de la forêt,
Nue elle se promène alors
L’eau bleue de l’aube,
Dans le baiser de sa peau
Le lever du soleil du matin.
Dans d’innombrables corniches
Le feu de son parfum
Remplit mon encrier,
Hors de la dureté de la pierre
Persuadant ma volonté de monter
Et faire face au monde à nouveau,
Façonner le renouveau du monde
Hors de la profondeur
De mon amour et de ma passion,
La maturité de ma virilité,
La vigueur rajeunissante de sa présence
Floraison dans mon coeur,
Imprégnant mon être
À la lumière de l’éternité.
–
( tentative de traduction: RC )
–
Her falling dress
a breath of fog and dew
lacing the forest,
naked she then wades
the blue water of dawn,
in the kiss of her skin
the morning sun rising.
In countless streamlets
the fire of her fragrance
replenishes my inkwell,
out of the hardness of stone
coaxing my will to rise
and face the world again,
shape the world anew
out of the depth
of my love and passion,
the maturity of my manhood,
the rejuvenating vigor of her presence
flowering in my heart,
pervading my being
with the light of eternity.
Jacques Audiberti – Rien ne sera de ce qui fut
Prison Au clair soleil…
Un coup pour a. Deux coups pour b.
Le monde bouge. Il va tomber.
Trois coups pour c. Quatre pour d.
C’est le moment de regarder. Cinq coups pour é.
Six coups pour f. Il n’a plus d’âme. A-t-il un chef?
G, coups sept. Hache huit. 1 neuf.
Comment faire un monde plus neuf?
Dix coups pour j, plus un pour k.
L’existence nous convoqua.
Taciturne à force de cris,
la jupe grosse de conscrits,
elle nous apprend tour à tour
l’ombre claire, le sombre jour,
l’enfer béni, le ciel puni,
tout le fini de l’infini,
douze pour 1 et treize pour
ème, les griffons de l’amour,
n, o, p, q, quatre, cinq, six
et sept, le poison. Le tennis
mais, aussi, la peur de périr
qui nourrit l’honneur de souffrir.
R dix-huit. S dix-neuf.
Elle s’en va. Tu te sens veuf.
Vingt coups pour t, plus un pour u.
A mesure qu’elle décrut,
le souffle approcha notre main.
Aujourd’hui s’appelle demain.
Vingt-deux et trois pour les deux v.
Que voulons-nous? Nous élever.
Quatre et cinq pour l’x et l’i grec.
Mais le bourreau ne vienne avec.
Pour la lettre z un seul coup.
Le prisonnier se met debout.
Car le terme ouvre le début
Rien ne sera de ce qui fut.
Jacques AUDIBERTI « Des tonnes de semence » (N.R.F.)
Même le paysage s’interrompt dans ses éclats – ( RC )

peinture: R Magritte : le promenoir des amants.
–
Et c’est illusion, si l’espace, que l’on pensait libre de contrainte,
se voit tout à coup enfermé dans une paroi.
Ainsi l’oiseau en plein vol se précipite dans le piège des vitres,
où même le paysage s’interrompt dans ses éclats .
C’est comme si l’élan était rompu (un baillon ).
On se voyait libre, de parler, de réfléchir, et de se dire ;
mais on se heurte aux faux semblants et aux étendards de l’arrogance .
Le souffle n’avait pas besoin de ponctuation ;
et voilà qu’on ne peut pas terminer ses phrases.
Le fil de la pensée est rompu ; on en arrive à ne plus oser se dire,
puisque vivre ne peut pas se faire, sans que des barrières soient imposées.
Certains aiment en jouer , parcourir les murailles d’un labyrinthe inextricable :
ils ont de l’ambition ; ce sont souvent des bavards et souhaitent avoir réponse à tout….
D’autres préfèrent leur parcours intérieur, visible d’eux seuls, et se réfugient dans le silence.
–
RC – mai 2015
Florence Noël – branche d’acacia brassée par le vent ( 1 )
Premier mouvement : Presto
et si nous revenions, tu sais, le cuivre des saisons, le parfum blanc l’égarement, si nous revenions à cette source où le jour coule sans discontinuer
et si tu me prenais la main, le premier seuil à dépasser comme un jardin qu’on nomme,
et qu’ainsi on habille et qui s’étonne d’un pied – nous foulons la houle herbeuse
et si nous disions ce mot, éparpillé dans nos silences, rassemblé de ma lèvre, ange, de la mienne pure parce que la tienne, ce souffle encore y œuvrerait
et si nous nous laissions aux berges, main ballante dans l’air levé, si nous nous lisions aux rives, battant l’eau échappée des vapeurs
suffoqués sous les vœux givrés des aubes
encore venir tout de désir
lourds dans la lèvre unique
d’un matin retenir le pelage et sa texture stridulée par le souffle
prodigue et tant penche mon visage qu’il lape
je sais l’enjambée dessus ce pont – profilent ces arbres mères ceinturés de secret – là choit l’enfance et ses sommeils – tu sais ma volte dans leur branches
je sais le précipité de ta silhouette, sa course projetée sur les tessons de pierres, leur vibration de petites ombres, ton corps en avant et tu reçois la première brassée – hoquet brut, poitrine hachurée
je sais le feutre des murmures – ininterrompre laisser fuir – et mon oreille pour les récoltes, tapisserie de lourds dais, nous nous voyions par paravent – vole une feuille colle à ta joue
hurlé au tendre des côtes
la plainte plus tôt forera l’air
en son milieu
par mes poumons orgues à pétrir
cent fois sur le métier pétrir
et de nos blessures
fourrager l’évidence
Le tracé lumineux des écarts – ( RC )
Se lancer comme un projectile, à travers les espaces, à la manière d’une fusée destinée à explorer d’autres mondes, et dont elle ne sait rien encore..
Ainsi les étoiles seraient bien reliées entre elles, par des fils ténus cheminant de l’une à l’autre,
Ce serait l’équilibre des pensées, reflétées, ou renvoyées ( une balle au rebond), sur la perpendiculaire d’un mur de verre, invisible, .
Le tracé lumineux fixé dans les écarts, et dont on tire de l’invisible, l’écrire,
( comme un souffle vital que l’on expulse).
Le libre intervalle entre l’immobile, et le moment où court la plume, chantournant les mots.
Toujours en équilibre instable .
Ce serait ainsi que l’on parcourt l’univers
( en le construisant au fur et à mesure ).
–
RC – mai 2015
Fromage de tête – ( RC )
–
L’espace tangue dans ma tête.
S’il pleut encore des pierres …
J’hésite entre la vie et la survie.
La parole se découpe en une meule compacte.
Il me faut, pour l’ouvrir plutôt un scalpel,
Que le fil tranchant du fromager.
Extraire ce qu’il faut, juste pour avancer,
Encore quelques années .
Une fois que j’aurai tout consommé,
Tu pourras me coudre la bouche,
Vendre le temps des étés, au plus offrant.
Je resterai quelque temps tapi dans mon corps,
A cheval sur un souffle d’air,
Avant de l’offrir à la science.
On pourra toujours graver mon nom quelque part,
Je serai déjà trop loin, pour le déchiffrer.
–
RC – oct 2014
Gaston Miron – Une fin comme une autre
(ou une mort en poésie) Si tu savais comme je lutte de tout mon souffle contre la malédiction de bâtiments qui craquent telles ces forces de naufrage qui me hantent tel ce goût de l'être à se défaire que je crache et quoi dire que j'endure dans toute ma charpente ces années vides de la chaleur d'un autre corps je ne pourrai pas toujours, l'air que je respire est trop rare sans toi, un jour je ne pourrai plus ce jour sera la mort d'un homme de courage inutile venue avec un froid dur de cristaux dans ses membres mon amour, est-ce moi plus loin que toute la neige enlisé dans la faim, givré, yeux ouverts et brûlés
L’acteur a disparu, dans un tourbillon – ( RC )
C’est une vue qui suggère la chute .
Cela pèse, un désir qui grandit
Mèle le sentiment de vertige,
Et l’attirance des couleurs .
Bien entendu, quand on les pose sur la toile,
On ne s’en rend pas compte tout de suite .
C’est un état de veille,
Où l’ extérieur n’émeut plus.
La respiration manque.
C’est sur le fil du labeur ,
Que se construit l’ équilibre.
Toujours précaire.
En fait le peintre a franchi le bord.
Le bord du vide, … depuis longtemps
Un sommeil éveillé,
Empêche qu’il chute .
Et d’ailleurs , sa vue n’emprunte pas
Les chemins de ses yeux ,
Comme si quelqu’un voyait à travers lui,
Et lui guidait la main.
L’inconscience parle,
Regarde à sa place,
Déplace ses gestes,
Maintient suspendu, son souffle .
Quand le vertige se dissipe,
Le corps se recompose,
Traverse son écran d’âme ,
Il retombe sur ses pieds.
Ne se souvient plus du vide,
S’il s’est envolé, ou a chuté…
Il regarde la toile .
Elle est achevée …
Il ne peut dire qu’il l’a rêvée,
La matière de la peinture en témoigne.
Elle colle encore aux doigts .
Cà sent la térébenthine.
Le regard s’ouvre,
Et avec, parfois le doute….
Comment pourrait-il avouer,
– » Ce qu’on voit n’est pas de moi ?
Je n’ai que disposé des couleurs,
« dans un certain ordre assemblées » « ….. ,
D’avoir déclenché une action .
– Il se remémore la chimie,
Les produits mis en contact,
Neutres, se cotoyant dans le récipient…
Il fallait un catalyseur
Pour que la réaction commence… –
« Je ne l’ai pas contrôlée…
Comme l’apprenti sorcier…
Veuillez m’excuser…
– Chacun peut commenter
… Si cette œuvre, est la mienne
Elle m’échappe encore…
J’ai connu ce privilège
D’en être le premier spectateur…
L’acteur a disparu dans un tourbillon,
J’ai rendez-vous avec lui…
Dans un jour, dans un an … ?
Pour la prochaine toile… »
–
RC – sept 2014
Rassasié d’une vie – ( RC )
-art – enluminure médiévale: La Hague, MMW, 10 A 11, detail of fol. 320r (‘Souls ascending to Janus and Terminus, who are holding the world; souls descending to hell’). , La Cité de Dieu Translation from the Latin by Raoul de Presles. Paris; c. 1475
La tête est venue
La première…
Et l’extérieur tout d’un coup
Se projette au -dedans
Envahit les poumons ,
Le premier jour d’un cri,
C’était naissance,
Ce jour là ,
Et la tête la première,
Arrivée au monde, – lourde.
> Les corps usés, inversement ,
Le dernier jour, de cri,
Voient les âmes s’échapper,
Du monde, …. légères .
– On ne sait où,
Personne ne peut les suivre,
Ni ici, ni sur terre
Ou ailleurs, si elles se rassemblent ,
Ou reviennent,
Redistribuées à d’autres,
Si leur souffle se transmet,
Par les ondes,
Ou les racines,
Et sous d’autres formes.
Figures passagères,
Locataires des corps,
Rassasiés d’une vie,
Qui peut recommencer ,
Au sortir de la nuit.
–
RC – avril 2014
Espaces brisés de la salle aux miroirs – ( RC )
–
Une salle aux miroirs se penche sur moi,
Des rayons de lumière y rebondissent,
Et sont autant de flèches,
Au trou noir de mon souffle,
Perçant la nuit, sans pourtant atteindre,
Au coeur de ta beauté.
Elle concentre l’azur,
Même quand ta voix s’éteint,
Une part d’infini, dans ta main,
Dans ton visage aussi,
Que je ne peux atteindre,
Condamner à errer, après t’avoir trop cherchée.
Je me noie dans un temps,
Et l’idée que j’en ai,
Même parmi les espaces brisés,
Des miroirs enchevêtrés,
Ne me conduisent pas, jusqu’à ta voix,
Aux silences enroués, ni à ton image…
Elle m’est renvoyée , brisée,
Et ne se superpose pas,
A celle du souvenir,
Noyé aussi dans la noirceur,
D’une distance, s’effondrant sur elle-même,
Comme celle d’une étoile déchue.
RC
———– ( c’est une variation sur le texte d’un auteur canadien.. que voici)
Il y a dans mes souliers
Des rues inondées
Où je me noie dans ta main
Il y a dans mes yeux
Ta voix qui s’éteint
Cette noirceur dans l’azur
Il n’y a rien d’autre au-delà de toi
Il y a dans la nuit
Des silences enroués
Pour t’avoir trop cherchée
Le temps s’échappe de moi
Déraciné de l’avenir
Pur au coeur de ta beauté
Que je donne à ma peine
Il y a dans mon coeur
Une plaie dans l’air
Un trou noir dans mon souffle
Où tout s’effondre sur moi
—
Stabat Mater – ( RC )
C’est une voix intérieure,
Dont je peine à dessiner la forme,
Puisqu’elle est cachée dans l’âme,
Et le regard de celui
Qui la fait vibrer ,
Trempée dans celle de la musique,
Et ses couleurs en contre-jour,
Inscrite en dentelles d’encre,
Sur une ancienne partition,
… Notre oreille en ignore,
les passages soulignés de crayon.
Une parenthèse ardente,
Celle de la Passion,
Où l’invisible des sons,
Se transmet de nuit aux jours,
En plusieurs siècles au fil,
Quand se donne le chant,
Jusqu’aujourd’hui,
Et bien plus encore,
D’une émotion palpable,
Partagée en frissons,
Et portée par les accords…
Une colonne s’élève ,
Se sépare en volutes,
Peut-être vers un plafond à fresques,
Dessiné par les voix,
Se détachant des portées,
Emplissant tout l’espace,
Puis fuyant sous les voûtes,
Pour que renaisse le souffle,
S’appuyant sur le silence,
Remplacé bientôt par
le tapis dense d’instruments anciens.
—
( en hommage à la restitution des musiques du passé,
et ici particulièrement dédié à Gérard Lesne,
dans son interprétaton du « Stabat Mater » de Pergolèse)
—
RC – 10 novembre 2013
—
–
Camille Loty Malebranche – Désenchantement
Je me suis réveillé
Au cœur d’un monde
Colosse de mirage, empoigné de déroutes
Exhalant l’odeur âcre, méphitique
De nos ordres chaotiques, imprégné de malheurs
Et l’entêtement des bonheurs artificiels
Je me suis réveillé
Et je n’ai vu que la lourdeur de nos gestes et l’interaction de nos maux
Jonglerie maniaque pour nos spartiates désabusés,
Nos fauves anthropomorphes, anthropophages
Je me suis réveillé
Au cœur d’une terre vacillante, entropie ténébreuse
Aux baraques sanguines des mers guerrières.
Et le sang qui gicle dans son tourbillon
Disque d’accrétion létale, patibulaire
Au sens contraire des rotations de la terre,
Dément les soleils faux de nos chartes balisées de noirceurs intestines
Et malgré l’évolutive odyssée temporelle de l’histoire aux avatars et du progrès,
Piétinent nos vœux, pataugent les pas sans marche, traîne-savates, démarche abjecte
De l’homme, phylum de nains, d’avortons
Hibernent les étoiles, soleils scalpés ;
Et les ères génitrices où la terre s’est faite mère,
Au firmament de nos œuvres, accouchent de tertres mortuaires, tremplin mortel
Aux dépouilles de l’homme, aux débris de l’humain
Ah ! Voûtes géantes, spectrales de nos actes ! Charnier homicide de l’action !
L’espace ne brille
Que des ténèbres humaines ;
Et la vie et le souffle – hymne christique
Profanés par nos fronts cogitants
Champs arides, xérophiles des balourds
Ignorent l’esprit, immanente semence
Poussent des mutants où l’ivraie des ivresses criminelles s’abreuvent d’Âme et de Sang !
Ô ! Malheureuses épines des noires mémoires !
Des moires !
Que de visages de parque
Au miroir atomisé des virages
A l’image brisée des ombres !
Ah ! Geignent les faces fragmentées
Du temps et de l’absence !
–
–
Romain Verger -La nuit, les étoiles

peinture: J Whistler: nocturne en noir et or
La nuit, les étoiles sont des ouvertures sur des possibles inconnus, sur des visions du calme infini, sur des rassemblements d’ancêtres.
La nuit est ouverte en des millions de points par lesquels on peut passer pour rejoindre ceux qui nous ont précédés, ceux qui nous accompagnent, ceux qui nous suivront.
Hier soir, pour la première fois depuis des mois, j’ai pris un livre & j’ai lu, à la lueur de ma vieille lampe à alcool, jusqu’à m’effondrer de fatigue.
J’ai dormi longtemps.
Lorsque je dors ainsi, je n’ai plus besoin de parler, je ne me regarde plus, je n’ai plus besoin de vivre à la surface de moi-même, je n’ai plus besoin de ne pas m’aimer…
J’ai les yeux fermés, je ne me déçois plus, je m’échappe, je reviens, je suis seulement un souffle, un souffle léger.
extrait du « Carnet des morts » – site de l’auteur ( un nécessaire malentendu)
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Gué de tes îles – ( RC )
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Traverse l’espace,
le gué des îles,
jetées sur le hasard,
Léchées par l’aube,
– Elle s’épanouit –
Sous mes mains en corolle,
Les vagues les entourent,
Et je vais,
Nu parmi les encres sèches,
Avant de retourner à la boue, *
Equilibre instable sur ce gué,
Oiseau des augures ayant perdu
Ses ailes,
A parcourir,
Sous ton regard liquide,
Les chutes du silence.
A l’air ne manque,
Que le souffle inverse
Qui m’aspirerait,
Comme il me dépossède,
Douceur et violence,
Aux îles
Basculées,
Tes courbes entre mes mains…
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RC – 8 août 2013
* ces deux vers sont de Dominique Sorrente, dans « enjambées fauves »
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