Marcel Migozzi – affleure la souche

peinture Eugène Jansson
Contre le muret sans passage :
cet espace récent, de malaise.
Le pin y est mort. Affleure
encore la souche
qui ne possède plus que la terre.
Certains soirs,
au-dessus de ce vide,
le ciel immobile, je suffoque.
Je ne dis rien à ma famille.
« Pas le temps » – ( Susanne Derève) –

.
Ça crie, ça crie dans la rue
« Pas le temps, pas le temps ! » .
.
Silencieuse et grise,
tu tires frileusement une dernière bouffée de ta clope
dans l’encoignure d’une porte silencieuse et grise,
avant de rejoindre d’un pas traînant celui
qui de ses bras trop courts
mouline impatiemment le vide
et crie vers toi :
« Pas le temps , pas le temps ! ».
.
Jean-Luc Parant – le chant du vide

C.M. – Mais la musique n est-ce pas le chant du vide ?
J.-L.P. – Oui, car si être aveugle c’est avoir perdu le soleil, être sourd ce serait avoir perdu le vide. Un texte qui ne laisserait rien entendre ne se laisserait pas lire.
La lumière sans l’espace ne pourrait pas l’éclairer, la nuit le recouvrirait aussi vite.
Si les oreilles sont placées de chaque côté de la tête et non ailleurs c’est parce que de chaque côté de nous il y a le vide sans fin.
À gauche et à droit nuit, devant nous le jour.
(extrait d’un dialogue avec Claude Margat )- CIPM editions
Anthony Phelps – fleur-soleil

Au plus vert de la vie
ma voix est sur ta voix
et ta pensée double la mienne
Tu es ma meilleure part
le matin de mes yeux
Ma plus pure émotion
Et ton sourire est dans mon cœur
un talisman contre la peur
Passe le temps sans toi plus lent si vide
Pleuvent à tout instant les confettis du souvenir
et l’écho de tes mimes se profile en silhouette
sur le blanc de l’absence
Mon nénuphar ma fleur-soleil
mon oiseau-mouche aux ailes vibrantes
ton infini est ma limite
car ta vie contredit la mort
et je bénis le jour où nos yeux s’allumèrent •
Luis Cernuda – remords en costume de nuit

Un homme gris marche dans la rue de brouillard ;
Personne ne le devine. C’est un corps vide ;
Vide comme pampa, comme mer, comme vent,
Déserts d’amertume sous un ciel implacable.
C’est le temps passé, et ses ailes maintenant
trouvent parmi les ombres une force pâle ;
C’est le remords, qui de nuit, hésitant,
Secrètement approche une ombre insouciante.
Ne serrez pas cette main. Plein d’orgueil le lierre
S’élèvera recouvrant les troncs de l’hiver.
Invisible dans le calme l’homme gris marche.
N’entendez-vous pas les morts ? Mais la terre est sourde.
Remordimiento en traje de noche
Un hombre gris avanza por la calle de niebla;
No lo sospecha nadie. Es un cuerpo vacio;
Vado como pampa, como mar, como viento,
Desiertos tan amargos bajo un cielo implacable.
Es el tiempo pasado, y sus alas ahora
Entre la sombra encuentran una pdlida fuerza;
Es el remordimiento, que de noche, dudando,
En secreto aproxima su sombra descuidada.
No estrechéis esa mano. La yedra altivamente
Ascender a cubriendo los troncos del invierno.
Invisible en la calma el hombre gris camina.
i No sentis a los muertos? Mas la tierra esta sorda.
Caroline Dufour – Saturation

et l’arbre se tient béant
devant tant d’yeux
sur le vide
et tant de vide
à vendre
d’autant béant
qu’autour de lui,
la blanche tombe cristalline
comme une grande
chanson d’amour
des milliards de
diamants cosmiques
projetés
d’une bouche céleste
sur un monde
gorgé
mais que
sais-je, se dit-il,
de l’instable
peut-être, dans
sa parfaite élégance, sa
courbure patiente
Zao-Wou-ki – Peindre, toujours

Peindre, peindre, toujours peindre, encore peindre le mieux possible,
le vide et le plein, le léger et le dense, le vivant et le souffle
le vide se creuse sous nos pieds – ( RC )

Désolé pour les rides
qui s’accumulent avec les années :
l’étendue de la consolation
ne tient pas compte du vide
qui se creuse sous nos pieds .
Nous buvons la lumière
à mesure que nous avançons.
Quand nous l’aurons toute épuisée,
nous ferons le chemin à l’envers
en remontant notre mémoire.
La lumière sera intérieure ;
— de l’incandescence,
il ne filtrera que peu de chose
personne ne pourra savoir –
que nous approchons la renaissance.
Nathalie Bachand – la table de cuisine

On est assise à la table de la cuisine, la nuit.
On observe des roches blanches. Il y a le thé et le napperon vert-de-gris.
Le thé dans la théière métallique et dans la tasse blanche.
Le napperon sur la table rectangulaire bois de pin et le cahier sur le napperon.
Le stylo à encre noire. On ne va pas écrire.
On a bu le thé et enlevé le napperon. Puis ses vêtements.
C’est le corps chaud qu’on s’est étendue sur le dos, nue, en étoile.
Le cœur en mouvance dans le corps immobile.
On a imaginé les étoiles par-delà le plafond, le stuc en donnait presque l’illusion.
Ce n’était pas spécialement singulier.
Simplement une façon comme une autre de se détacher de soi.
Coucher le corps plutôt que l’écriture, suspendue hors de soi pour un temps.
On a tenu deux roches: une dans chaque main, bras ballants dans le vide, les mains tournées vers la nuit.
Le corps étendu en étoile sur la table, un million de minuscules stucs de plâtre dans les yeux, deux roches froides et blanches dans les mains.
Une parfaite impossibilité d’écrire dans cette immobilité minérale et son cœur, d’un rouge éclatant dans la blancheur de cette cuisine devenue l’antichambre de soi-même.
Les roches sont devenues tièdes au creux des mains.
On aurait dit deux cœurs ossifiés: tout le corps comme un os.
On est longuement restée ainsi.
Et puis, les bras engourdis, on a légèrement retourné les mains vers le bas.
On a lâché les roches sous la table.
C’est dans le vide quelles sont tombées.
origine du texte revue québécoise « Jet d’encre n°9 »
Nathalie Bachand est diplômée en pratique des arts à l’université de Québec Montréal et s’intéresse à la relation entre l’art et l’écrit.
Candice Nguyen – la nourriture des méduses

Ces mots prisonniers des rochers et l’eau qui bat entre, inlassablement.
C’est une lumière noire qui décline sur la peau de visages rougis par le froid et les sourires piqués par les sels sont laissés là en feu sur la route des marées. Ils flotteront dans le bleu de l’obscurité toute la nuit et disparaîtront dès les premières agitations au matin. C’est la Baltique, en octobre, une nuit, c’est un silence lourd cassé par le ronronnement des machines et le reflux des méduses qui capturent en leur ombrelle toute la lumière des étoiles dont elles se repaissent avides, exclusives, affamées, en ces heures creuses du monde. Elles ne partagent pas. Elles conservent jalousement le trésor précieux et dans une lenteur agressive et gracieuse, elles attendent la mort pour renaître. Les méduses se reproduisent lors de leur mort. Coefficients, force des vents et l’écume blanche qui dégouline alors de nos corps mouillés, souillés, à bout, c’est dans la vase maintenant que nos lèvres se débattent et nos langues abandonnées au vide et l’absence de sens fouillent et triturent la nourriture des méduses en espérant y retrouver leur jeunesse et les balbutiements des premiers instants, des premiers jours – les premiers mots, inlassablement.
Carcasse d’un demi-queue en grimaces – ( RC )

photo: Robert Meffre – Lee Plaza Hotel – Detroit
Dans la vaste salle du Lee Plaza
les chaises renversées attendent sans public…
Arcs à caissons, décorés pour des fastes
costumés, . bals sur les parquets cirés
la lumière accrochée aux gravats bleutés
souligne un décor, – quelque peu fortuit –
de fenêtres ouvertes sur courants d’air
et carreaux qui font – en reflets
d’un vide silencieux – leur petit effet
–
Alors que trônent d’un air oblique
les touches d’un clavier tenace
accrochées à la carcasse
du demi-queue en grimaces
imposant de ses cordes croisées
témoin hagard, .. spectre à musiques
…un silence aux accents déglingués.
RC
9 fev 2012
—
voir aussi » il était une mazurka »
Thomas Vinau – Sun/sun

C’est pour ça que des hommes parlent fort.
Hurlent. Courent.
Et travaillent.
S’épuisent chaque soir.
C’est parce que c’est vide et c’est noir dedans.
C’est pour ça qu’on a appris à lire.
À écrire et à compter.
À souder et à conduire.
C’est pour remplir le noir dedans.
C’est pour ça qu’on court après un ballon.
Qu’on escalade une montagne.
Qu’on répertorie les papillons.
C’est pour ça que des hommes ont inventé dieu
et les ampoules électriques.
Ont construit des églises et des appartements.
C’est parce que c’est noir dedans.
Instant – (Susanne Derève )

Au lever d’un jour incertain,
la vitre me renvoie une image figée
que noient les verts humides du matin,
la ligne bleue des toits sagement alignés,
un paysage urbain
On croirait entrevoir un tableau de Hopper :
silhouette oisive accotée au comptoir
d’un bar ou d’une chambre vide
un mannequin de cire aux prunelles livides
au regard orphelin …
Ce n’est que mon reflet traquant mes rêves
souterrains,
la table de cuisine et le pain
une tasse jaunie où tiédit le café :
le même néant sans objet.
À tasse vide coupe pleine,
trinquons aux instants qu’on égrène
… comme des pans d’éternité
Comme chez Francis Bacon – ( RC )

Si c’est la chair abandonnée,
de peine, de joies, de rages,
l’éclairage cru, d’otage,
le sang égoutté
lentement dans la nuit,
cette grande baignoire
où la vie s’enfuit
d’un coup de rasoir.
Difficile ainsi de se représenter
en auto-portrait….
- plutôt se filmer là,
devant la caméra :
machine sans émotion
oeil indifférent
où s’installe l’espion
de nos derniers instants
( Pour ceux qui aurait du mal à le croire
en léger différé – vous pourrez revoir
la vidéo prise ce soir là ) :
une fleur pourpre s’étend
lentement sur le drap ,
- un bras pend
- et la lumière s’éteint
Bacon aurait pu peindre
cet évènement sur la toile:
une pièce presque vide
- un fond bleu pâle
- une sorte de suicide
sous un éclairage livide
cru dans son contour électrique
une ampoule laissée nue
( on dira que cela contribue
au geste artistique ).
Un corps semblant inachevé
aux membres désordonnés
exhibés comme dans une arène
livré au regard obscène
alors que , pour tout décor
l’air brassé par un vieux ventilateur
tourne lentement encore
dans d’épaisses moiteurs
La peinture a de ces teintes sourdes
comme enfermée dans une cage
On n’y rencontre aucun visage
c’est une atmosphère lourde
de senteurs délétères,
dont elle demeure prisonnière.
Même exposée dans le musée,
elle sent le renfermé …
Paysage – ( Susanne Derève)

Broyer le vide
le tordre comme un linge
J’en fais surgir des paysages que ne recouvre pas la mer
et qui pourtant moutonnent comme des vagues
à l’horizon
des verts profonds qui se chevauchent
et qu’au matin grise le gel
Une main y dessine pour moi le contour d’un chemin
l’herbe légère
Je lui dirai d’y ajouter quelques galets
pour changer le cours des rivières,
et la roue d’un moulin
y tissera les pleins arceaux du jour
ceux de magie et de lumière
où les heures s’étalent
Ainsi la couleur déposée sur la toile
en cerne les contours
Ahmed Kalouaz – A Genève, tu feuillettes, ce qu’il reste de moi
Il faut en reprendre l’habitude
l’hiver a couché sa saison
sur le Léman ;
les bateaux ne sont plus
que des coques givrées.
Il fait un froid terrible.
Dans la petite pièce
du quai de Miremont,
tu guettes le passage des enfants
au retour de l’école
alors que le courrier est en cheminement.
D’ici ne te parviennent
que des images de télévision,
des coups de feu d’une ville en émeute.
Un désordre sans inventaire possible,
un temps de chien.
Ici l’on dit
qu’un temps de chien est aussi
un sale temps pour les hommes.
Ces hommes comme des vagues
qui viennent se briser
indéfiniment et meurent
dans l’écume de l’habitude.
A Genève tu feuillettes
ce qu’il reste de moi
dans les tiroirs ;
ce qu’il reste de regards
sur les photos
diseuses de bonne aventure.
Le vide est là, au bord
de tes paupières de tulle blanc.
Déjà j’ai ordonné
au téléphoniste
de ne plus rien passer.
Mourir est un silence
à impulsions discrètes,
une falaise d’illusions,
alors que rien ne prouve
l’inexistence d’une suite.
Sur Genève il fait froid,
tu me disais encore dormir
dans le brouillard
retrouver les traces de mes doigts
sur ton ventre ;
là où toutes choses naissent,
là où toutes les douleurs s’enferment.
Un passage d’avions dans le ciel
quelques impacts étoilent
la façade d’en face
et je suis en instance de silence.
De l’autre côté les mêmes voiliers
inquiéteront le vent,
traverseront le soleil
et diront que le monde
n’est pas universel.
Quand un immeuble s’écroule à Beyrouth,
la mer tire la couverture et les enfants
continuent à courir,
sur les plages minées.
extrait de » à mes oiseaux piaillant debout «
Dominique Grandmont – le spectacle n’aura pas lieu ( extrait 01 )
photo Josef Südek
De sorte évidemment qu’ils seraient là sans l’être sous la peau déchirée des murs où des lambeaux d’annonces dessineraient pour eux une carte inconnue peut-être
un quartier comme un autre ces cafés agrandis par la résonance construits tout en longueur pour qu’on ne puisse pas compter les silhouettes ni trouver l’entrée
Un tel silence pourtant le samedi après-midi les guêpes s’énervaient tu le lui disais un peu plus quand on entendait l’hymne national qu’on se serait cru dans un studio après quoi dans des cours envahies d’herbes folles qui atteignent la poitrine ou bien quand tu t’arrêtes en plein milieu d’une phrase la lumière est si fausse que toute la ville est vide
C’est seulement quand ils tournaient la tête qu’on s’apercevait qu’ils n’avaient
qu’un seul profil et pas de visage ou restée dans les yeux mais verts tu l’oubliais toujours comme à travers une vitre l’ombre sans vêtement une route sur la colline
‘
du chapitre « L’autre côté du vide »
« Le spectacle n’aura pas lieu » a été publié chez messidor 1986, dispo aussi en version numérique.
Zbigniew Herbert – la pierre blanche

Il suffit de fermer les yeux –
mon pas s’éloigne de moi
comme une cloche sourde l’air va l’absorber
et ma voix ma propre voix qui crie de loin
gèle en une pelote de vapeur
mes mains retombent
encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle
se retirera au fond
de cavernes sombres et humides
subsistera l’odeur du corps
la cire qui se consume
alors grandit en moi
non la peur ou l’amour
mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit
le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief
je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux
les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang
plus touffue que l’arbre
la pierre blanche
plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau
la pierre recule
c’est à nouveau un grain de sable
noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide
notre voix se mesure avec l’espace
oreilles mains bouche tremblent sous les cascades
dans la coquille des narines vogue
un navire transportant les arômes des Indes
et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche
il suffit de fermer les yeux
L’indépendance des choses – ( RC )
Comme en strates . c’est de la matière qui se dépose…
On pense généralement à de la poussière,
ou bien les flocons de fausse neige
qui retombent lentement , une fois qu’on a posé la boule
après l’avoir secouée.
On ne pense pas que les choses ont cette indépendance,
comme il est fastidieux de toujours grouper par famille,
par genre, – à la façon des entomologistes,
qui détectent , parmi les insectes,
leurs caractéristiques communes, et les classent par genre .
Il en est ainsi des papiers.
Tous les papiers administratifs qui s’accumulent,
les factures et les publicités qui s’entasseraient
dans le plus grand désordre,
si on ne venait pas relever la boîte aux lettres .
Il faut classer par formulaire, par couleurs, par années…
mais il y en a toujours qui s’échappent,
du fait de l’inattention ,
et se retrouvent dans d’autres classeurs,
ou dans un livre fermé par inadvertance.
Aller à la ramasse, ce serait aussi comme
trier les champignons,
les comestibles, et ceux qui ne le sont pas
ceux qui se dissimulent,
et font semblant d’être bons….
J’imagine plutôt
…. quelque chose d’insaisissable :
Les vrais objets auraient pris la file de l’air,
aspirés par on ne sait quel phénomène,
il se serait créé un vide sidéral.
Il ne resterait que leurs images ,
et celles-ci clignoteraient encore quelques jours,
à la façon d’hologrammes,
avant de se fondre dans l’obscurité.
Un néant ?
Non, pas tout à fait,
mais > un monde derrière, qui existe,
ayant bu les objets
et gommé leur surabondance.
rendant l’air à nouveau respirable .
–
RC – oct 2017.
Bassam Hajjar – des maisons ( fin )
aquarelle : Paul Klee – vue de Saint-Germain
T’éloignes-tu à présent ?
Et ceux qui sont debout là-bas recouvrent-ils de blanc ton absence ?
La poussière trouve-t-elle son chemin vers toi ?
Le soleil de l’hiver abîme-t-il tes vêtements ?
Pleures-tu ?
Alors ne laisse pas les pleurs changer quoi que ce soit en toi
ni le rouge dans tes yeux
ni la barbe qui pousse.
Ainsi tu t’orienteras dans le sommeil,
si tu le peux,
car les maisons que nous quittons
délaissent leurs murs
leurs seuils, leurs entrées surpeuplées de vide,
et les maisons nous quittent,
et nous revenons habiter leur absence.
(Lyon, octobre-novembre 1985)
Des grands serpents au jardin étoilé – ( RC )
Van Gogh – la nuit étoilée
Du jardin étoilé
c’était un toit
pesant son poids
de ciel d’été
de plusieurs atmosphères :
un vide abyssal
parcouru de mistral
qu’une fausse lune éclaire,
les nuées se déroulant furieuses ,
loin du village immobile ,
– et les fers du campanile –
vallée ténébreuse
à la tranquilité factice
pourtant inquiète et raide
comme Le Greco peignant Tolède
au bord du précipice .
Des cyprès sont des flammes noires,
que l’on entendrait crépiter
défiant la réalité
d’un paysage expiatoire.
Celui-ci n’est pas décrit
avec exactitude ,
car la solitude
de Vincent est un cri
emportant tout sur son passage :
une nuit profanatrice
jetant ses feux d’artifice
juste avant l’orage
et qu’elle ne vrille
de ses grands serpents
un ciel devenu dément
au-dessus des Alpilles .
–
RC – juill 2017
Lié à la transparence – ( RC )
C’était comme un cauchemar,
car , au sortir d’un songe
je n’avais plus de visage,
comme le disait le miroir :
j’en avais perdu l’usage,
peut-être la glace renvoyait-elle un mensonge…
derrière moi – que du noir…
– ce qui est difficile à décrire…
c’est ainsi que l’on pense reconnaître
le plus commun des vampires
– n’arborant même pas une tête de mort…
or, j’étais vivant – et sûr de l’être
mais par un coup du sort
je n’avais plus d’apparence…
une vision un peu fantasque,
liée à la transparence :
j’ai dû me composer un masque,
copié sur un homologue :
une figure de cire
trouvée dans un catalogue :
histoire d’appartenir
à l’humanité ordinaire
que l’on croise d’habitude
sous toutes latitudes,
tous se donnant des airs
d’être eux même ..
mais comme savoir
si c’est un stratagème
donnant autre chose à voir
qu’ un vide habité:
quelqu’un définitivement effacé
qu’il a fallu remplacer
par une autre personnalité…
–
RC – nov 2016
Socrate – ( RC )
peinture: J L David: la mort de Socrate
En suspens sa phrase commencée
il peut reprendre son haleine
au bord de la falaise, avancé
il n’est pas au bout de sa peine :
personne ne voit que s’interrompt la ligne :
le discours peut reprendre
les dieux lui font signe
le temps peut se suspendre
nul n’attend son départ
quand il porte à ses lèvres le verre :
il peut savourer le nectar,
et bientôt voir à travers :
Baisse le niveau du breuvage
comme la mer se vide
découvrant la plage
une étendue livide
Passant du verre au bronze ancien
pas de vin écarlate
ni le sirop du pharmacien,
mais le poison offert à Socrate
Tu peux le voir, inclinant son calice,
les compagnons détournant la tête,
et lui, boit – comme avec délice
( on l’imaginerait bientôt « pompette »)
tout cela sans qu’il confesse
l’idée même d’une vie interrompue
dans la curieuse ivresse
donnée par la cigüe
comme quoi on ne sait pas où mène
une simple boisson :
l’accompagnant comme pour la Cène
( ce dernier repas manquait de cuisson )
C’est à mesure que tu bois,
que tu t’éloignes des bords,
> c’est ainsi que l’on se noie,
et qu’on trinque avec la mort.
–
RC – oct 2016
Le temps rit de toutes ses dents – ( RC )

–
Le temps rit de toutes ses dents ,
appelle la calligraphie mobile des arbres,
le hennissement des chevaux
et l’éternuement des nuages .
( toujours pressés, ceux-là ! ) .
Les hommes se sont un jour
approprié le paysage, en traçant
de longues pistes, cultivant jusqu’au fleuve.
Pour marquer leur emprise,
ils ont construit un temple,
aux lourdes pierres, abritant
l’esprit des dieux, pensant
dialoguer avec l’éternité.
Mais on ne l’a pas à l’usure.
La lune brille toujours entre les branches.
Oui, ce sont d’autres branches,
et d’autres arbres.
Et d’autres hommes sont passés,
ont vécu, puis sont partis,
abandonnant leurs dieux , coincés dans les sanctuaires.
Désormais vides de prières.
Les statues regardent dans le vide,
( ou plutôt leur regard s’est voilé ) ,
couvert de mousses.
La jungle a repris le dessus :
> la nature a horreur du vide.
–
–
RC – avr 2016
Un encrier versé sur le vide – ( RC )
Il y a un ciel d’orage en été,
Mais toi-seule peut le voir,
et cet encrier versé
sur le vide et la vie
dont tu pétris
la vaste esquisse…
Des nuages aux contours noirs,
Des bêtes étranges, les dents acérées,
Se bousculent et se développent
Dans l’esprit de brume
où tu navigues seule ,
bien au-delà
– on ne peut plus te suivre –
D’ailleurs le dessin au fusain,
retourne à la poussière,
et toi, à ton destin.
Il n’y a sur la page,
que les traces de tes doigts ,
mêlées aux premières gouttes
d’un ciel qui bascule .
–
RC – avr 2016