Linda Maria Baros – La maison en lames de rasoir (extrait) –

Si le linteau de la porte te tranche la tête,
c’est mauvais signe
Je suis née dans la gamelle de la neuvième décennie,
au temps où la maison n’était qu’un mur.
Je viens vers vous du pays des aveugles.
Il y a longtemps, mon œil gauche a coulé
sur les boutons de ma chemise.
Ça fait sept ans que je marche, mon œil droit
dans ma paume droite.
Chez nous, les borgnes faisaient la loi.
Moi, j’ai quitté le pays de l’enfance,
où je pleurais cachée dans le débarras,
sous le lavabo.
Mais j’ai oublié ces histoires qui polissaient
naguère la fausse monnaie de mon délire.
Je ne vous dis qu’une chose : j’y suis arrivée, me voilà.
La clé fumait dans la porte
Défaire le nœud de la porte n’est pas chose facile.
Faire bouger, même avec un mot,
son bras raide de balance, ses frontières,
remuer le sel qui a poussé à l’entour,
entre les dalles,
comme des pigeons qui s’élèvent
des anciennes tourbières.
(Oh, ça se comprend,
ce sont les pigeons noueux des murs,
tournés à l’envers comme des gants, immobiles.)
Devant la porte, tu dois trouver la tranquillité.
(La petite clé qui pend autour du cou
et que les enfants ont l’habitude de perdre si souvent;
la petite clé à l’aide de laquelle
tu les faisais revenir à la maison.)
Reprendre haleine. Entendre claquer
à l’horizon le bec mécanique de la nuit.
Et te souvenir du loquet cassé. Des marches
qui disaient jadis du bien de toi.
De la clé qui fumait dans la porte.
LA MAISON EN LAMES DE RASOIR
CHEYNE ÉDITEUR
http://www.lindamariabaros.fr/poemes_de_Linda_Maria_Baros.html
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Cette entrée a été publiée le 01/08/2022 par susannedereve. Classé dans auteurs à découvrir et a été tagué chemise, clé, La maison en lames de rasoir, Linda Maria Baros, maison, mur, poésie, porte, Roumanie, Safet Zec, Sarajevo.
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