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Articles tagués “mourir

Xavier Bordes – gravité folâtre


Vaillance du papillon dévoué à la rose
en dépit de ce monde qui depuis des âges
n’est plus un jardin
.                               Écoute le frôlement,
le froissement soyeux, mystérieux des années,
en organza de soleils à la moire fanée
Malgré le ciel – brûlant et glacé tour à tour –
elles ruissellent réfractaires aux ténèbres
comme à la lumière
.                                Telles ces fenêtres
en lesquelles s’éteint la fleur rouge du soir
indéfiniment au même instant où dans nos veines
le sang chasse le sang en réglant les secondes
sur le pas de l’inéluctable avenir
.                                                   Celui qui pétrifie
en une même inanité l’aimer le vivre et le mourir

extrait du site de l’auteur


Paul-Armand Gette – Je suis où le bonheur m’a dit


photo Paul-Armand Gette

Je suis où le bonheur m’a dit,
dans cet effroi de trop où la
mort nous galope.

Je suis là ébahi, comme péché
par mon arête, mais je suis là conquis,
mercenaire adoubé aux fièvres convenues.

Désincarné vidé de tous mes doutes amis;
empaillé jusqu’aux yeux du foin des trouilles avides.
À l’aube d’être éteint non pas
vaincu ni même las, éteint
de la vie en-aller, ces mots
qui ne me disaient plus se turent et me tarirent.

Des ombres qu’un figuier matisse
chahutent sur le mur et agacent
le chien.

À l’extrême de l’autre, dans son dos d’avril,
se gaffe la peur que j’ai de lui.

Il y joute l’obscur où froncent
les soupirs et ramasse buté
ce que je crois cailloux.

Dans l’exact intervalle qui nous,
cet autre qui ne me, n’en revient
pas de moi.

Ainsi silence est dit et dit ainsi maudire.

Alors si las que long, un mot haut plus
que l’autre, des autres ainsi mourir.


Roland Reutenauer – Ratissant tous les soirs son intime lopin


photo Philippe Jacquot

Un jour on voyagera dans l’herbe
autour de chapelles totalement historiques
écoutant des chorals de Bach des choses
vivifiantes
indéchiffré le monde sera il aura plu acidement
dans les philosophies théologies cosmogonies
les poètes auront sucé la pulpe des mots
savouré les pépins amers
on aura dit je reviens à la surface
et j’y reste

 
    2

On peut s’asseoir sur l’idée qu’on se fait de soi-même
et s’y trouver mieux que sur un coussin agrandir au mur
l’œil mélancolique et laiteux du moineau de mars
on peut regarder les poèmes comme autant de minutes
chauffées à blanc de la prose quotidienne galettes de magnésium
sirop du dasein
se redire que la poésie a bouclé son temps
que son temps viendra qu’elle se nourrit de doutes
que la meilleure façon de tourner en rond
c’est encore de danser on peut se lever sortir
en une longue dérive en ville se rejoindre peu à peu
jusqu’aux abords flous de la ville où l’air vient mourir et renaître
expulsé d’un immense sac en plastique bleu
on peut se taire

décembre 1983 – mai 1987


Mario Benedetti – des mots qui n’existent plus


montage RC

Combien de mots n’existent plus.
Le présent repas n’est pas la soupe.
L’eau qui reste ici n’est pas la mer.
Une aide c’est trop demander.
Il n’y a rien à vivre et il n’y a plus rien, sauf mourir, quand on m’enlève les mots .
Et pas de sauts à la corde, de mains qui ensemble se tiennent
, sourires, caresses, baisers.
Le lit de la maison est une lande imprononçable :le repos des mourants,
dans les spasmes agités, quand on sent que l’on vit encore.
Province d’Udine, Codroipo, le malade des deux poumons,
le pantalon trop large, le visage avec la peau sur les os,
le nez effilé , ce n’est pas quelque chose à raconter, ni les souvenirs.
Se savoir aride, se sentir aride…
Et je me dis, réalisez donc, n’ayez pas seulement vingt ans,
et une vie comme éternelle, pour juste me faire du mal.

( traduction « improbable de Google trad,  » au mot à mot modifiée pour que cela soit plus compréhensible. )

texte issu du site une nouvelle poésie italienne.


L’envers et l’oubli – ( RC )


Cet endroit ne se visite pas,
on n’a aucune raison de faire le détour,
car il ne nous verra ni naître, ni mourir.
Je ne l’ai entrevu que lors d’une exposition,
de photographies ternes, annotées
en mots d’allemand, rajoutés en blanc.

On devine que s’y est joué là quelque chose,
maintenant hors de portée du regard,
où celui qui a saisi ces portions de paysage,
se couche contre son passé enfoui,
les souvenirs gris ne suffisant pas
à le garder debout.

Les récits y sont peu abondants,
ceux qui pourraient témoigner
sont partis dans la vallée des larmes,
où le silence se referme sur eux.
Les absents ont toujours tort,
et que pourraient-ils dire d’un monde

dont la vie s’est effacée ?


Frantisek Hrubin- Ne meurs pas,


peinture N Gonchavora   ornement  électrique   1913

Ne meurs pas, m’as-tu dit ce matin.

Moi mourir ?

Je suis assis à la fenêtre je dois veiller.

Et toi tu dors je ne sais où

Là-bas, loin, quelque part

dans la carriole à rideaux. Moi mourir ?

Aujourd’hui il y a tous ces jours en plus, où je m’épanouis

dans l’éclat du soleil me répandant

comme une chanson à mille refrains.

Aujourd’hui il y a aussi cette nuit en plus

et je me retrouve à la charge des autres

et de moi-même………..

extrait de »Romance pour un clairon » (  recueil de la nouvelle poésie tchèque )

André Blatter – Je couds ma bouche


photo RC

Je couds ma bouche
au plus près du silence
pour mieux t’entendre
je brise le miroir
du mourir quotidien
au fil du rien la réponse
j’habite au plus près de l’hiver
comme une racine de l’être


Nelly Sachs – Tant de graines aux racines de lumière


the Prophet Elijah Пророк Илия
Icône
Ascension enflammée d’Élie avec une vie (XVIIe siècle) (collection privée)

Tant de graines aux racines de lumière
qui arrachent aux tombes leur secret
et le confient au vent
pour parsemer d’énigmes en langues de feu les chevelures
des prophètes,
et apparaissent dans le bûcher blanc du mourir
avec tous les aveuglements de la vérité
quand le corps près de là repose
avec l’ultime souffle dans les airs
et ce bruit de chaînes dans le retour
et l’enfermement de fer dans la solitude
et tous ces yeux perdus dans le noir —

-extrait de Enigmes ardentes ( recueil re-publié chez Verdier sous le titre « Partage-toi, nuit )


Un dimanche à la fête des morts – ( RC )


photo RC – Chanac

Les pierres sont immobiles.
laminées par le temps,
leur couleur est passée,
comme celles des photos
qui y sont accrochées,
ternies,
dans de petits médaillons.

On imagine un peu
ceux qui ont vécu,
le regard perdu
à travers le rideau des années
qui nous séparent d’eux
davantage que les chaînes argentées.

Les tombes voisines sont luisantes de pluie,
c’est toujours en novembre
que semble mourir l’automne,
et que s’échouent les fleurs,
qui perdront inéluctablement
leurs couleurs.

Tu te souviens de la Toussaint,
des demeures massives
en granite poli,
et du gravier blanc
que tu trouvais si joli.

Tu en prélevais un peu
pour dessiner un coeur,
pour répondre aux formules
écrites en noir
sur le fond émaillé.

« A ma soeur chérie » ,
« à mon oncle bien aimé.. ». etc
Puis il fallait s’en retourner,
laisser tranquilles ceux
qui ont le sommeil éternel,
auprès des cyprès centenaires.

La mort est un jour sans fin,
qui ne se contente pas
de fleurs sacrifiées…
la vie ne compte
que ceux qui meurent,
en effeuillant les pages du calendrier ;

le chagrin et l’absence demeurent
pour ceux qui se souviennent.
Je ne parlerai pas des chrysanthèmes
fanant dans leur vase,
des allées désertes,
et des croix qui penchent.

C’était un dimanche,
la fête des morts
( on imagine mal qu’ils dansent
quand tout le monde est parti ).
Le vent a arraché les dernières feuilles
des platanes de l’avenue.

Eux aussi sont en deuil.
Ils secouent leurs branches
comme des membres décharnés :
ils sont les gardiens des ténèbres,
mais attendent le retour du printemps

près de l’enclos funèbre.


Jacques Dupin – une forêt nous précède


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source photo: pxhere

 

 

Une forêt nous précède
et nous tient lieu de corps
et modifie les figures et dresse
la grille
d’un supplice spacieux
où l’on se regarde mourir
avec des forces inépuisables
mourir revenir
à la pensée de son reflux compact
comme s’écrit l’effraction, le soleil
toujours au coeur et à l’orée
de grands arbres transparents


Miguel Veyrat – derrière ta voix


Résultat de recherche d'images pour "don van vliet painting"

 

 

peinture : Don Van Vliet

 

—raison qui s’embrase
parmi les rires et les jeux,
dans l’espace
de lumière noire je cherche
À renaître
—ou bien à naître sans mourir,
comme au moment
fragile de ton esprit
où tu me conçus
Et que devint
soudainement chant
la nuit infinie
—ta propre peur, ma propre
crainte de prononcer ton nom.


Henri Bauchau – La règle


IMG_1399.JPG

sculpture  sumérienne – Mésopotamie ( Irak )

 
Avec mes pierres carrées

Je t’enfermerai dans une œuvre

Car tu es coureur de chagrins

Et la règle est d’apprendre à rire

Homme
Avant de mourir.


Fleur recluse – ( RC )


Cim  Chanac      10.JPG

photo perso –   Chanac

 

 

C’est comme un coeur
qui garde sa couleur
encore quelque temps :
il parle doucement
de ses quelques printemps
vécus bien avant .
–         C’est une fleur à l’abri de l’air,
qui, par quelque mystère
        jamais ne fane,
mais ses teintes diaphanes
à defaut de mourir,
finissent toujours par pâlir .

Détachée de la terre ,
elle est prisonnière
d’une gangue en plastique,
un procédé bien pratique
pour que la fleur
donne l’illusion de fraîcheur .
–     C’est comme un coeur
qui cache sa douleur ,
et sa mémoire,
dans un bocal de laboratoire,
( une sorte de symbole
conservé dans le formol ) .

Une fleur de souvenir ,
l’évocation d’un soupir :
celui de la dépouille
devant laquelle on s’agenouille :
les larmes que l’on a versées,
au milieu des pots renversés .
        C’est comme s’il était interdit
à la fleur,       d’être flétrie :
elle,       immobilisée ,
figée, muséifiée,
( églantine sans épines,
au milieu de la résine ) .

A son tour de vieillir :
         elle va lentement dépérir :
le plastique fendille, craque
ou devient opaque :
         les vieux pétales
cachés derrière un voile
entament leur retrait :
d’un pâle reflet
où les couleurs se diffusent :
       la rose recluse
se ferait virtuelle :
–    elle en contredit l’éternel –


RC – nov 2017


Cimetière militaire – ( RC )


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On ne voit plus qu’un pré tout vert
                    où pourrait paître le bétail.
Pourtant,    c’est un champ de bataille
habillé de blanc,        comme en hiver.

On distingue des croix anonymes,
comme       autant de noms effacés :
>          c’est la plaine des trépassés :
on n’en compte plus les victimes :

Elles sont tombées au champ d’honneur,
sous les obus,             les mitrailleuses,
–             …. et la plaine argileuse
ne saurait désigner les vainqueurs

les vaincus,        tant les corps se sont mêlés
durant les assauts.
On en a retrouvé des morceaux ,
accrochés aux barbelés .

Pour les reconnaître, on renonce :
C’est un grand cimetière
qui nous parle de naguère :
              Les croix sont en quinconce ,

             régulièrement espacées :
le « champ du repos »
comme si l’ordre pouvait remplacer
de l’horreur,             son tableau .

             Suivant les directives :
             les stèles règlementaires
             émergent de la terre,
             en impeccable perspective

Ainsi,                         à perte de vue
ce sont        comme des ossements,
peuplés des silences            blancs
                              des vies perdues :

                            Ils ont obéi aux ordres.
( Laisser la terre saccagée,
le témoignage de combats enragés,
aurait plutôt fait désordre ).

Sous le feu des batteries,
affrontant le péril,
          il aurait été plus difficile,
de jouer, comme ici,     de géométrie…

On ne peut espérer de miracle:
        Aucune de ces plantations ne va fleurir :
Voyez-vous comme il est beau de mourir !
Une fois la guerre passée,   c’est un beau spectacle…

RC – dec 2016


T.S. Eliot – Les mots bougent


Les mots bougent, la musique se déplace
Seulement dans le temps;          Mais seulement ce qui est vivant
Peut seulement mourir.       Les mots, après le discours,se fondent
Dans le silence.                       Ce n’est que par la forme, le motif,
Que les mots ou la musique peuvent atteindre
Le silence,                comme un vase chinois immobile
Remue perpétuellement             dans son immobilité.

T.S. Eliot, Quatre Quatuors (V)

( tentative de traduction  RC )PH_magazine_22_2012_Page_24  Martin Marcisovsky.jpg

 

 

Words move, music moves
Only in time; but that which is only living
Can only die. Words, after speech, reach
Into silence. Only by the form, the pattern,
Can words or music reach
The stillness, as a Chinese jar still
Moves perpetually in its stillness.

T.S. Eliot, Four Quartets (V)


Eugenio de Andrade – Le sourire


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Je crois que c’était le sourire,
Le sourire qui a ouvert la
porte.
C’était un sourire avec
beaucoup de lumière
et dedans, donnait envie
de lui entrer dedans, de se déshabiller,
et rester
nu dans ce sourire.
Courir, naviguer, mourir
dans ce sourire.
..
.


Eugenio de Andrade – Avec la mer


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J’apporte la mer entière dans ma tête
De cette façon
Qu’ont les jeunes femmes
D’allaiter leurs enfants;
Ce ne qui ne me laisse pas dormir,
Ce n’est pas le bouillonnement de ses vagues
Ce sont ces voix
Qui, sanglantes, se lèvent de la rue
Pour tomber à nouveau,
Et en se trainant
Viennent mourir à ma porte..


Zareh Chouchanian – Tu cherches quelqu’un dans le miroir


 

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Je suis perdu dans un bois
Fait de pierre
De gens et de chair
Je suis ligoté dans un filet
Fait d’amour et de tendresse
Où je suis l’araignée
Et la mouche
Je pensais que je pouvais courir
Je pourrais voler
Je pensais que je pouvais mourir
Mais je ne pouvais pas

J’ai oublié qui je suis
Comment j’étais
Là où j’étais
De là où je suis
J’ai oublié de temps en temps

Maintenant, j’ attends
Que quelque chose se passe
Que quelqu’un arrrive
Pour me rappeler
Pour retrouver
Un nom
Un visage
Un endroit

Il n’y a rien
Tout est pareil
L’heure
L’espace
Juste un miroir plat.

Pour m’aider à sortir

Rien ne sera
Rien ne peut
Je ne vis pas
Je ne peux pas mourir
Je ne peux que crier
Pleurer
De plus en plus fort

Qui suis-je ?


LOOKING FOR SOMEONE IN THE MIRROR
I am lost in a wood
Made of stone
People and flesh
I’m tied up in a web
Made of love and tenderness
Where I am the spider
And the fly
I thought I could run
I could fly
I thought I could die
But I couldn’t

I forgot who I am
How I was
Where I was
From where I came
I forgot now and then

Now I’m waiting
For something to happen
Someone to come
To remind
To re-find
A name
A face
A place

There’s nothing
All the same
Time
Space
Just a plane mirror

To help me get out

Nothing will
Nothing can
I don’t live
I can’t die
I can only shout
Cry
Louder and louder

Who am I

( visible  sur le site de la poésie arménienne )


Catherine Pozzi – Vale


Christophe Possum  rêve de ver.jpg

peinture  aborigène: Clifford Possum  1997

La grande amour que vous m’aviez donnée
Le vent des jours a rompu ses rayons —
Où fut la flamme, où fut la destinée
Où nous étions, où par la main serrée
Nous nous tenions

Notre soleil, dont l’ardeur fut pensée
L’orbe pour nous de l’être sans second
Le second ciel d’une âme divisée
Le double exil où le double se fond

Son lieu pour vous apparaît cendre et crainte,
Vos yeux vers lui ne l’ont pas reconnu
L’astre enchanté qui portait hors d’atteinte
L’extrême instant de notre seule étreinte
Vers l’inconnu.

Mais le futur dont vous attendez vivre
Est moins présent que le bien disparu.
Toute vendange à la fin qu’il vous livre
Vous la boirez sans pouvoir être qu’ivre
Du vin perdu.

J’ai retrouvé le céleste et sauvage
Le paradis où l’angoisse est désir.
Le haut passé qui grandi d’âge en âge
Il est mon corps et sera mon partage
Après mourir.

Quand dans un corps ma délice oubliée
Où fut ton nom, prendra forme de cœur
Je revivrai notre grande journée,
Et cette amour que je t’avais donnée
Pour la douleur.


Vale

Del gran amor que tú me habías dado
El viento de los días los rayos destrozó —
Donde estuvo la llama, donde estuvo el destino
Donde estuvimos, donde, las manos enlazadas,
Juntos estábamos

Sol que fue nuestro, de ardiente pensamiento
Para nosotros orbe del ser sin semejante
Segundo cielo de un alma dividida
Exilio doble donde el doble se funde

Ceniza y miedo para ti representa
Su lugar, tus ojos no lo han reconocido
Astro encantado que con él se llevaba
De nuestro solo abrazo el alto instante
Hacia lo ignoto.

Pero el futuro del que vivir esperas
Menos presente está que el bien ausente
Toda vendimia que él al final te entregue
La beberás mientras te embriaga el
Vino perdido..

Volví a encontrar lo celeste y salvaje
El paraíso en que angustia es deseo
Alto pasado que con el tiempo crece
Es hoy mi cuerpo, mi posesión será
Tras el morir.

Cuando en un cuerpo mi delicia olvidada
En que estuvo tu nombre se vuelva corazón
Reviviré los días que fueron nuestro día
Y aquel amor que yo te había dado
Para el dolor.

Versión de Carlos Cámara y Miguel Ángel Frontán


Jean-Claude Pirotte – tu ne sauras jamais qui je suis


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tu ne sauras jamais qui je suis
dit l’enfant je passe mon chemin
je vais vers les prairies lointaines,
où l’herbe chante à minuit près des saules
qui pleurent car c’est ainsi
que s’ouvre à mon cœur la musique fidèle
et que le monde enfin commence à vivre
et que je commence à mourir
tu ne me verras pas vieillir
ni ne reconnaîtras mon ombre
adossée au talus là où le sentier noir
se perd dans un fouillis d’épines
et les étoiles des compagnons blancs
 
tu as beau regarder sans cesse derrière
toi comme si tu craignais l’orage
et que tu te hâtais poursuivi par l’éclair
jamais tu ne surprendras mon sourire
tendrement cruel comme celui d’un tueur triste

 

in

Veilleurs, Passage des ombres


François Corvol – Justifier ma longue existence


 

 

photographe non identifié.  The Oath

photographe non identifié. The Oath

 

 

 

 

 

Je suis en mesure de justifier ma longue existence dans ses mains
y mourir sans doute plus volontiers que sous un drapeau
une éternité de peines s’efface volontiers de ma mémoire
sitôt que la féerie
sitôt que ses bras
et tant pis
tant pis je cède
cette peau chaque jour est plus neuve
si parfois elle te semble vieillir c’est qu’elle fait semblant
je ne comprends pas tous ces corps qui prennent feu
mon feu à moi n’est pas tant visible
et si j’ai dit que j’étais seul c’est que j’ai menti
je suis au beau milieu des étoiles


(nt) – c


photo perso: rencontres  de la photographie. Arles  2013

photo perso:           rencontres de la photographie. Arles 2013

Il m’arrive  de naviguer  sur  beaucoup de sites et forums,  et de temps  en temps ,  je  découvre des pierres  précieuses.
J’ai extrait ce court poème  du forumbleu, ( lien ) qui a cessé son activité, mais  dont les posts restent  consultables..

l’étonnement est une fulgurance d’oiseaux
la pensée se diffuse dans leurs étincelles

un coeur brûle ainsi
les yeux ouverts
par le sel d’une étrange clarté

le corps voudrait transgresser
la migration du sang jusqu’au tableau
où les étoiles viennent mourir

perdre son nom est ultime allégement


Paul Fleury – Flux sur un échiquier


Marcel Duchamp   - jeu  d'échecs  de poche  avec  gant en caoutchouc      1944       

 Marcel Duchamp         – jeu d’échecs de poche avec gant en caoutchouc    – 1944

 

 

 


« Franchissement de l’aube »

Toute écriture de fondation
anticipe le champ
de ses métamorphoses
loin – jusqu’à s’éblouir
dans l’éclair soudain de sa joie.

La vérité fulgure en l’espace d’un jeu
clos – qui n’est pas encore.

Le poème lancé en avant
ne quitte son lieu sûr
son erre
que pour la case d’un damier blanc.

Son erre devient errance.
Il y repose en paix, il n’est déjà plus !

Le jeu n’est pas dans la topique
mais dans le bond,
tout entier contenu dans ses déplacements.
Pour dominer l’âme du jeu,
il faut user plusieurs damiers,
postuler plusieurs dames
agir et mourir debout.
Les cases de l’échiquier ne suffisent pas.
Il faut un chiffre infini,
– une aube franchie pas à pas.
L’incertitude peut y loger sans armes,
la terre y cède au fleuve ouvert à tous les vents
et parfois se confie au feu du mascaret.

———————-

Cet  extrait est disponible  sur le site  des  éditions  des Vanneaux


Raymond Farina – Sommes nous cette fable ?


 

 

 

 

-

 

 

 

 

 

 

 

sommes-nous

cette fable

que notre corps

raconte

sommes-nous

le mot de l’énigme

un presque vivre

ou un presque mourir

quelque chose d’étrange

entre Dieu et poussière

sommeil

comme désert

ou village

sous la neige

 

extrait de Virgilianes,    Rougerie 1986


Claude Esteban – Ne crie pas


affiche  d'expo: Reinhard Klessinger   video

 –                       affiche d’expo: Reinhard Klessinger   video  2010

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ne crie pas, non, ne
crie pas, si tu cries, quelque chose

va mourir, peut-être un arbre ou le souvenir
du soleil

un après-midi d’été sur une pierre
et ta main, juste au bord

se réchauffant, si tu cries, c’est
un insecte en moins

dans l’herbe jaune, la peur qui s’insinue
partout, le cri

comme un poignard, forçant
la gorge.


Colette Fournier – transfuge


photo: Ann Arden McDonald

photo:       Ann Arden McDonald

Publié le 16/10/2012 par

Entre dérobade et vertiges

La cambrure de ton âme ressemble

A s’y méprendre à ces nefs d’église

Que la foi a désertées…

Paysage rongé de ronciers et aride

Où nulle eau ne serpente

Où nulle joie ne se créée…

J’en connais de ces vaisseaux amers

Qu’une houle bascule

En roulis de bitume

Et qui ne veulent plus même

Etre sauvés !

Et frotter leurs cœurs vides

A l’aumône du temps

Battant à pleine pompe

L’heure de tous les vents !

Crois bien que ma lanterne

Se brise plus qu’à son tour

Sur des récifs étranges

Aux étranges contours

Mais je les veux mouvants

Malléables et tordus

A l’aune de mes désirs

Trempés d’encre et perdus

S’ils ne s’écrivent pas…..

Je suis une maison

Balayée de printemps

Et qui se refuse à mourir

Tant qu’il restera

Quelque chose à faire frémir

A la pointe de mon regard

Transfuge

De toutes les mémoires…

photo: Josef Koudelka
photo:            Josef Koudelka

  ( visible  donc  sur son site  colettefournier.com )


JC Bourdais – L’arbre à bière Bernard Noël – grand arbre blanc


peinture perso:  " Grand  arbre"   1979

peinture perso:           » Grand arbre »    acrylique  sur papier affiche  1979

 

« Autrefois dans ce pays

On ne pouvait pas dire

pour désigner la fin d’un arbre qu’il était mort.

Seuls l’homme et l’animal pouvaient mourir.

On raconte que pour éloigner l’étranger du village,

On lui disait :

« Tu n’as pas ton arbre ici »

——————-                     

JC Bourdais , L’arbre à bière,Rhizome,2002, Nouméa

 

auquel j’ajoute   » grand arbre blanc »  de Bernard Noël

 
Grand arbre blanc

à l’Orient vieilli
la ruche est morte
le ciel n’est plus que cire sèche

sous la paille noircie
l’or s’est couvert de mousse

les dieux mourants
ont mangé leur regard
puis la clef

il a fait froid

il a fait froid
et sur le temps droit comme un j
un œil rond a gelé

grand arbre
nous n’avons plus de branches
ni de Levant ni de Couchant
le sommeil s’est tué à l’Ouest
avec l’idée de jour grand arbre
nous voici verticaux sous l’étoile

et la beauté nous a blanchis

mais si creuse est la nuit
que l’on voudrait grandir
grandir
jusqu’à remplir ce regard

sans paupière grand arbre
l’espace est rond
et nous sommes
Nord-Sud
l’éventail replié des saisons
le cri sans bouche
la pile de vertèbres grand arbre
le temps n’a plus de feuilles
la mort a mis un baiser blanc
sur chaque souvenir
mais notre chair
est aussi pierre qui pousse
et sève de la roue

grand arbre
l’ombre a séché au pied du sel
l’écorce n’a plus d’âge
et notre cour est nu
grand arbre

l’œil est sur notre front
nous avons mangé la mousse
et jeté l’or pourtant
le chant des signes
ranime au fond de l’air

d’atroces armes blanches qui tue
qui parle le sang
le sang n’est que sens de l’absence
et il fait froid grand arbre
il fait froid
et c’est la vanité du vent

morte l’abeille
sa pensée nous fait ruche
les mots
les mots déjà
butinent dans la gorge

grand arbre
blanc debout
nos feuilles sont dedans
et la mort nous lèche
est la seule bouche du savoir

*
.Bernard Noël..