J’ai guetté les plis sur ta peau. Des jours des semaines entre un sourire et l’esquive. Des centimètres de nuages à boire. Et la peur d’échouer. Parce que rien ne remplace l’absent. Que tout pourrait s’arrêter au silence. Que tu pourrais contourner le vent. Fermer les fenêtres. Tapisser l’être. Pourquoi ne pas enfiler la tombe. La mort n’est pas le silence. Tu pourrais aussi passer par les trous dans la porte. Remettre à plat les plis. Nommer l’espace. Du dehors du dedans. Tamiser le temps. Avant, maintenant. J’ai plongé un papier entre tes doutes. Qui sait si tu l’enveloppes comme un rêve. Femme à la mer Combien de temps elle flotte ? Combien de peaux ? Des couches Des plus ou moins vraies Des plus ou moins fausses Des promesses Des effluves De fauve Des chiens des chiennes et du velours À un poil près pointait le bruit du vent Silence Encore du temps À la surface de la lune Pour soutenir le foutre Pour dilater la blessure Prendre le large À l’horizon qui sait, le chant des sirènes Combien de temps flotte avant les sirènes ? Femme marine à deux queues Envie d’être en soi En vie d’un toi Bruit de peaux entre les flammes Pas de larmes consumées De cris à l’aveugle Mais le murmure d’un ruisseau qui fume Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris Chance Incandescence Le désir dilatait le rêve Est-il encore chaud ? Bruit de peaux entre les flammes Pas de larmes consumées De cris à l’aveugle Hais le murmure d’un ruisseau qui fume Jusque dans la bouche Jusque dans l’Iris Chance Incandescence Le désir dilatait le rêve Est-il encore chaud ? Bruit de peaux entre les flammes Pas de larmes consumées De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps, le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir. L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite. La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs où fermente le vin des roses mortes. Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue, coule sans mot dire sous les glaçons, louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur, une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues. L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres. Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines… Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux qu’un présent inépuisé.
Avec l’apprivoisement du jour, les étoiles s’enroulent dans leur tissu lointain. Tout est en suspension, et je vois bien quelques figures, qui clignotent encore : la grande et petite ourse, marchant dans le néant, piétinant les anges, avant qu’un bleu sans nuages, envahisse le ciel, et dilue le temps, qui semble avoir arrêté son mouvement, sur la page du manuscrit, avec les dessins du zodiaque étrangement liés avec les mois de la terre, pourtant , vu de l’espace, une simple poussière…
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RC- sept 2019
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voir aussi la représentation du zodiaque tel que l’a dessiné Albert Dürer:
mon pas s’éloigne de moi comme une cloche sourde l’air va l’absorber et ma voix ma propre voix qui crie de loin gèle en une pelote de vapeur mes mains retombent encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle se retirera au fond de cavernes sombres et humides subsistera l’odeur du corps la cire qui se consume
alors grandit en moi non la peur ou l’amour mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang plus touffue que l’arbre la pierre blanche plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau la pierre recule c’est à nouveau un grain de sable noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide notre voix se mesure avec l’espace oreilles mains bouche tremblent sous les cascades dans la coquille des narines vogue un navire transportant les arômes des Indes et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche il suffit de fermer les yeux
Maintenant ce sont des colonnes, qu’on ne pourrait plus déplacer ;
et c’est déjà un prodige
de pouvoir encore circuler
dans ce rétrécissement de l’espace
où je suis prisonnier.
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RC – aout 2018
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cet écrit est inspiré au départ d’une installation de Jacques Vieille, vue il y a longtemps à Lyon, mais dont je n’ai pu retrouver la trace en images… je propose celle-ci à la place…
Ils vous ont enlevé vos couteaux, vos lacets,
Vos maisons, vos jardins.
Ce n’était pas assez.
Ils vous ont poursuivis, ils vous ont pourchassés,
Sur vos mains, sur vos pieds,
leurs yeux se sont posés
Pour guetter le non-sens.
Ce n’était pas assez.
Ils ont fermé sur vous
les portes successives.
Ce n’était pas assez.
Vous preniez trop d’espace,
Ils entendaient vos voix, ils entendaient vos pas.
Ils ont poussé sur vous l’ombre
Et les murs
Qu’ils vous avaient laissés.
Ce n’était pas assez.
Ils auraient bien voulu murer vos cris, vos yeux.
Ils auraient bien voulu que vous disparaissiez.
« On peut comparer le monde à un bloc de cristal aux facettes innombrables.
Selon sa structure et sa position, chacun de nous voit certaines facettes, certaines parties de facettes et son tableau poème objet etc. n’est qu’un témoignage de ce qu’il aperçoit.
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C’est bien évident que toutes les facettes vues par un groupe de gens à une certaine époque doivent être très près l’une de l’autre, à peine des petites différences d’angle, d’inclinaison, et vue de loin elles ne forment qu’une seule masse claire par rapport à toutes les innombrables qui trempent dans le noir de l’espace.
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La production de chacun de nous est le reflet exact de cette différence d’angle et de position. »
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— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
Dans un monde au futur du temps où j’ai la vie Qui ne s’est pas formé dans le ciel d’aujourd’hui, Au plus nouvel espace où le vouloir dévie Au plus nouveau moment de l’astre que je fuis Tu vivras, ma splendeur, mon malheur, ma survie Mon plus extrême cœur fait du sang que je suis, Mon souffle, mon toucher, mon regard, mon envie, Mon plus terrestre bien perdu pour l’infini.
Évite l’avenir, Image poursuivie ! Je suis morte de vous, ô mes actes chéris Ne sois pas défais toi dissipe toi délie Dénonce le désir que je n’ai pas choisi.
N’accomplis pas mon jour, âme de ma folie, — Délaisse le destin que je n’ai pas fini .
C’est ouvert sur l’infini, d’une belle transparence ; il y a le scintillement des étoiles, une cascade d’astres ( ils ne tombent pas ) . Cela ruisselle comme une eau, à travers un ciel qui n’a pas de limite. Le regard porte loin, et s’il le faut on s’aide d’engins perfectionnés. Des télescopes qui nous font découvrir, cachés, des mondes palpitant par leurs ondes, des signaux imperceptibles, qui font supposer que d’autres mondes se cachent derrière .
Mais quelles que soient les inventions, les artifices pour voir plus loin, plus précisément, dévoiler le secret des dieux, on se heurte à des obstacles invisibles, et qui pourtant n’obscurcissent pas la vue …. car l’univers n’a pas de bornes, et ce qui nous est donné à percevoir, n’est qu’une infime partie , physiquement limité par l’étroitesse de la finitude, qui se confronte à l’inversion des choses, de la même façon que le concevable s’oppose à l’inconcevable , à l’intérieur même de la pensée .
Et si on parle de vision, malgré la transparence – que l’on pense acquise l’image des astres – que l’on croit immobiles, et de la lumière – son parcours rectiligne, le regard bute contre le ciel quelles que soient les distances, et de quelque façon qu’on les repousse, qu’on les envisage, encore : celui-ci aspire l’âme, et, à défaut, devient métaphysique , se fondant dans le rêve de l’espace , que même la conscience ne peut conquérir .
Tu t’imagines sculpteur en travaillant le volume d’un poème….
Tu as à ta disposition, comme celui du métier, une matière malléable qui serait comme la terre glaise avec laquelle tu modèles tes idées.
Elles peuvent prendre toute forme et le dire , en être rugueux ou volontairement lisse, selon le choix des verbes.
Tu travailles rapidement, rajoutes, enlèves, soudes, crées les espaces nécessaires, associes les nuances, se froissant même, au parcours des sons.
Tourne donc autour de ta sculpture : tu l’envisages sous un autre angle, évidant les mots, multipliant les arabesques.
Regarde l’ombre portée des phrases. Creuse encore, où les sonorités s’affrontent ; Imagine d’autres couleurs, portées par d’autres voix.
Comment respire l’ensemble, s’il se dilate avec le souffle, s’il a la fluidité d’un marbre poli.
Il se nourrit de lumières et d’ombres au foisonnement des images : métaphores cristallisant l’imagination avec la magie des vers: le poème vibrant de son propre espace.
Une minute à peine Et je suis revenu De tout ce qui passait je n’ai rien retenu Un point Le ciel grandi Et au dernier moment La lanterne qui passe Le pas que l’on entend Quelqu’un s’arrête entre tout ce qui marche On laisse aller le monde Et ce qu’il y a dedans Les lumières qui dansent Et l’ombre qui s’étend Il y a plus d’espace En regardant devant Une cage où bondit un animal vivant La poitrine et les bras faisaient le même geste Une femme riait En renversant la tête Et celui qui venait nous avait confondus Nous étions tous les trois sans nous connaître Et nous formions déjà Un monde plein d’espoir
Pierre Reverdy
Les ardoises du toit,
: La plupart du temps (coll. Poésie/Gallimard, 1989)
Que se passe-t-il, une fois retraversé le temps ?
Ou plutôt que le temps nous ait retraversé.
Tu as enfoui dans ta mémoire un évènement
vécu dans ta jeunesse… oh, rien de spectaculaire :
une impression, un bruit, une odeur , une image.
Et tout cela s’est transformé en une petite boule invisible,
une graine, comme il doit y en avoir tant d’autres.
Puis un jour tu es revenu au même endroit,
et ces impressions, ces odeurs, identiques
sont venues te traverser, comme si tu étais passé
de l’autre côté d’une surface, qui serait venue
s’interposer, entre ce que tu étais
et ce que tu es aujourd’hui.
Tu saisis une limite mystérieuse,
qui n’a pas de consistance,
encore moins que celle du tain d’une glace
où tu sembles regarder un autre toi-même
avec lequel tu serais prêt à dialoguer.
Bien entendu, d’autres morceaux d’existence ,
d’autres graines seraient prêtes à éclore,
si les circonstances s’y prêtent…
en fait il suffirait de plonger au plus profond de soi,
que l’espace qui nous en sépare se dissolve .
Çà peut arriver. C’est une sorte de réminiscence,
qui franchit des limites mystérieuses.
Mais plus encore, quand ces impressions,
une fois exprimées, sont aussi partagées par d’autres .
comme si elles n’avaient plus d’hier ni demeure ,
comme si on passait en-dehors de notre enveloppe,
à travers soi, pour rejoindre l’autre personne :
elle a peut-être vécu sur un rythme aux phases identiques
quelque part, elle s’est égarée dans les mêmes labyrinthes.
C’est pour celà que tu l’as reconnue.
Mon cher Télémaque, La guerre de Troie Est terminée maintenant; Je ne me rappelle pas qui l’a gagnée. Les Grecs, sans doute, car ils ne laisseraient pas Tant de morts si loin de leur patrie. Mais encore, le chemin de mon retour s’est avéré trop long. Alors que nous étions en train de perdre du temps, le vieux Poséidon, semble presque étendu et l’espace s’est agrandi.
Je ne sais pas où je suis ni ce que cet endroit peut être. Il semblerait que ce soit une île sale, Avec des buissons, des bâtiments et de grands porcs qui grognent. Un jardin étouffé de mauvaises herbes; quelque reine ou une autre. De l’herbe et d’ énormes pierres … Telémaque, mon fils! Le visage de toutes les îles ressemble à chaque autre, pour un vagabond Et l’esprit du voyage, le décompte des vagues; rend les yeux douloureux à scruter les horizons de la mer, Et la chair de l’eau enveloppe les oreilles. Je ne me souviens pas comment la guerre s’est finie; Même quel est ton âge, je ne m’en souviens pas.
Grandis, alors, mon Télémaque , grandis. Seuls les dieux savent si nous nous reverrons encore. Tu as depuis longtemps cessé d’être ce bébé avant que je me sois arraché aux labours des boeufs. Si ce n’était pour la trahison de Palamède Nous deux devrions vivre sous un même toit. Mais peut-être qu’il avait raison : loin de moi Vous êtes tout à fait à l’abri de toutes les passions œdipiennes, Et tes rêves, mon Télémaque, sont irréprochables.
—
–My dear Telemachus, The Trojan War is over now; I don’t recall who won it. The Greeks, no doubt, for only they would leave so many dead so far from their own homeland. But still, my homeward way has proved too long. While we were wasting time there, old Poseidon, it almost seems, stretched and extended space.
I don’t know where I am or what this place can be. It would appear some filthy island, with bushes, buildings, and great grunting pigs. A garden choked with weeds; some queen or other. Grass and huge stones … Telemachus, my son! To a wanderer the faces of all islands resemble one another. And the mind trips, numbering waves; eyes, sore from sea horizons, run; and the flesh of water stuffs the ears. I can’t remember how the war came out; even how old you are–I can’t remember.
Grow up, then, my Telemachus, grow strong. Only the gods know if we’ll see each other again. You’ve long since ceased to be that babe before whom I reined in the plowing bullocks. Had it not been for Palamedes’ trick we two would still be living in one household. But maybe he was right; away from me you are quite safe from all Oedipal passions, and your dreams, my Telemachus, are blameless.
–
la traduction de Georges Nivat diffère quelque peu…
mais le sens en reste le même…
Télémaque, mon fils, la guerre de Troie a pris fin.
Qui l’a gagnée, je n’en sais rien.
Les Grecs, sans doute : pour jeter à la rue tant et tant de morts,
il n’y a que les Grecs!
Elle a pris fin; mais le chemin du retour
si tu savais combien il me paraît long!
Comme si Poséidon, pendant que là-bas nous perdions le temps, avait brouillé l’espace.
Je ne sais diantre pas où j’ai échoué, ni ce qui est devant moi :
îlot crasseux, buissons, murets pierreux et cochons qui grognent;
tout à l’abandon; une femme qui règne; de l’herbe et du caillou…
Mon cher Télémaque, ce que les îles peuvent se ressembler pour qui voyage trop!
comme le cerveau s’égare à compter les vagues qui l’assaillent!
Et l’œil, où l’horizon s’est coincé, larmoie;
l’oreille est assourdie par l’aqueuse masse.
Je ne sais plus comment la guerre a fini,
et j’ai perdu le compte de tes années.
Deviens grand, mon Télémaque, deviens homme!
Les dieux seuls savent si nous nous reverrons.
Déjà tu n’es plus le petit nourrisson devant qui je dus arrêter les taureaux.
Palamède a tout fait pour nous séparer.
Mais il n’avait peut-être pas tort : sans moi
tu es affranchi du tourment œdipien,
et tes songes, mon Télémaque, sont sans péché.
Comment je suis entrée dans l’ineffable
Qui a toujours été ma quête insaisissable et secrète
Comment je suis entrée dans l’interstice
unissant les numéros un et deux
Comment j’ai connu la frontière qui sépare mystère et feu
Combien souterraine est cette frontière
Entre deux notes de musique vibre une autre note
Entre deux maintenants de vie se glisse un autre maintenant de vie
Et deux grains de sable même inséparablement liés
Sont partagés par un espace infime
Entre deux sentiments se loge un autre sentiment
Et dans toute matière se love un espace
Qui est respiration du monde.
Et cette incessante respiration du monde
N’est autre que ce que nous entendons
N’est autre que le silence.
Un peu de peinture frottée, quelques touches posées, et que sourde la lumière inventée par la mer, et les ors se répandent jusque dans les lavandes :
tu as rêvé d’un soleil traversant le sommeil de la toile : le chuchotement des étoiles émergeant peu à peu de tout ce bleu : la grande épure des blés mûrs :
Le grand accord donné à leurs ors . La mer jaune des mimosas et des champs de colza , la chanson secrète – les couleurs de la palette – qui, sous l’été, crépitent – un espace sans limite – ( le tout orchestré dans quelques centimètres carrés )
Si rien comme autrefois ne doit plus être
si les mêmes nuages ne doivent plus revenir
si l’on se leurre en conservant un souvenir
si avec l’être humain doit vieillir le désir
tout oubli est utile et l’automne
sera un autre et long moment
couvert de jaunes et de brumes
Peut-être si chaque vert est recréé
si les rayons suggèrent des lumières nouvelles
et il m’en souvient sans peine
car c’était beau
de contempler les dessins que firent dans l’espace
toutes ces feuilles en tombant
peut-être alors sera-ce plus beau encore
qu’il y ait demain un soleil
et que je puisse le palper