Jean-Pierre Voidies – feu d’artifice

Oh ! la belle bleue Ah ! comme elle éclate
Du grand oiseau bleu, c’est la grande patte
Grattant le ciel noir — Gare à nos cheveux !
Le bout de chaque ongle est pointe de feu
L’oiseau merveilleux, de sa patte gratte
Tombant de là-haut, cherchant dans l’espace
Peut-être un perchoir, mais alors s’efface
La patte dorée du grand oiseau bleu.
in « Le Pavillon » (éd. R. Maria)
Armand Dupuy – Un avant-goût de ne rien dire

image-collage Jane Cornwell
Un avant-goût de ne rien dire, ce temps friable autour.
Les images n’apaisent plus, les aplats stagnent.
On repousse les bords, aussi fort que possible, on s’entasse sur ses pieds.
On cherche un espace où loger son charabia, loger l’écume, mais pas d’issue — chut!
Flot ferme, fermé – on écoute ce peu, petit ciel sale et bas, son air déjà lu, même usé.
La brume s’est levée dans la forme, dis-tu, soudain moins étroite.
Alors on cherche ce fantôme, immobile et loin – les restes d’une courbe en tête.
Avec le tissu rayé du sommier, son odeur de paille et de ferraille.
Il reste cette lumière sur les pages et les tempes plus claires.
–
texte extrait de « Chut! » – recueil « sans franchir » éditions Faï Fioc 2014
Jacques Borel – la trace

photo: Izis
À qui veux-tu parler ?
Les trottoirs sont déserts,
Un petit soleil mort
Ou le crachat d’hier
Se sèche sur le mur.
O veine de mica,
Tesson, mucus, paupière,
Trace d’une lueur
Absorbée par la pierre,
Ne t’éteins pas encore,
Reste d’un geste humain
Ou souvenir du jour,
Illumine ce peu
D’espace consolable
Où ma vie comme un poing
Serre ses derniers rêves.
extrait de » sur les murs du temps »
Jean-Luc Parant – le chant du vide

C.M. – Mais la musique n est-ce pas le chant du vide ?
J.-L.P. – Oui, car si être aveugle c’est avoir perdu le soleil, être sourd ce serait avoir perdu le vide. Un texte qui ne laisserait rien entendre ne se laisserait pas lire.
La lumière sans l’espace ne pourrait pas l’éclairer, la nuit le recouvrirait aussi vite.
Si les oreilles sont placées de chaque côté de la tête et non ailleurs c’est parce que de chaque côté de nous il y a le vide sans fin.
À gauche et à droit nuit, devant nous le jour.
(extrait d’un dialogue avec Claude Margat )- CIPM editions
Pierre Seghers – entre les mailles des buissons

photographe non identifié
Entre les mailles des buissons
Pris à la nasse d’eau des sources
Il vécut dans la fosse aux ours.
O le temps des maisons du vent
Il a campé sur l’océan
Il a mangé le pain des vagues,
Il but l’hiver avec l’été
Le chien de peur à son côté
Le ciel a rongé son visage.
Tous les paluds ont la vérole
Il eût fallu tant de parole
Pour proclamer ce qu’il savait
Que dans le vent, la boue, la colle
Il traînait des semelles folles
De silence et de vérité.
Quand les marais perdaient sa trace
Il était l’hôte de l’espace
Il mâchait l’herbe et le roseau.
Et sur les routes de Décembre
Il brûlait de gel et d’attendre
Le dernier des quatre chevaux
Quelle méthode ? – ( RC )

Y a-t-il une méthode
que l’on doive suivre
pour écrire un poème,
courber les mots,
les faire danser,
sur le fil tendu
de la pensée ?
Personne ne m’a chuchoté
la réponse
et le rythme
de la musique
qui l’accompagne,
- alors je le laisse fleurir
comme bon lui semble…
Quelques images
lui sont attachées,
au gré de ma fantaisie
houle argentée
accompagnée du vent de l’inquiétude,
d’un soleil radieux
ou bien tragique…
le poème – si on le qualifie ainsi –
prend son envol ,
sans que je mesure l’espace
entre ses pieds,
Il ne paraît pas
entravé de normes rigides :
il s’échappe, sans que je le retienne.
Marcello Comitini – la fenêtre

Regarde. Dans l’immeuble d’en face
plusieurs fenêtres sombres
grande ouvertes sur le vide des pièces.
Une seule reflète le ciel
traversé par la fuite des nuages blancs
et des vols d’oiseaux qui remplissent le bleu
comme des cerfs-volants échappés de main:
le vent les pousse vers l’espace infini.
Elle seule résiste
au vide qui envahit ces pièces désertes,
où avant ils coulaient
la vie des hommes
les cris des enfants, les éclats de rire des mères.
Elle convertit la fuite des nuages en danse
rend immobile l’heure qui fuit
la fait revenir avec un nouveau visage
même quand elle s’enflamme
du soleil couchant.
Et à l’aube, elle s’allume de tendresse.
Regarde la. Ressens-tu
grandir cette grâce autour de toi
venir te rencontrer, donner un sens
au vide de nos pièces ?
Guarda. Nel palazzo di fronte
tante finestre buie
spalancate sul vuoto delle stanze.
Una soltanto riflette il cielo
attraversato dalla fuga di nuvole bianche
e voli d’uccelli che riempiono l’azzurro
come aquiloni sfuggiti di mano:
il vento li sospinge verso lo spazio infinito.
Lei da sola resiste
al vuoto che invade queste stanze deserte,
dove prima scorrevano
la vita degli uomini
i gridi dei fanciulli, le risate delle madri.
Converte in danza la fuga delle nuvole
rende immobile l’ora che fugge
la fa ritornare con un volto nuovo
anche quando s’infiamma
del sole al tramonto.
E nell’alba s’accende di tenerezza.
Guardala. Senti
crescere intorno a te questa sua grazia
venirti incontro dare un senso
al vuoto delle nostre stanze?
du site de Marcello Comitini
Le ruban noir – ( RC )

J’ai vu cette main en gros plan,
posée sur un membre,
ou un corps souple .
Peut-être était-ce celui d’un autre
plutôt que celui de la personne
à qui appartient la main.
Rien ne l’indique .
Ou peut-être une petite différence
de pigmentation de la peau :
Les doigts sont face à nous .
La main repose, légère,
abandonnée.
Lassitude, tendresse ?
Elle s’enfonce apparemment
dans la peau, souple, accueillante.
Mais les ombres sont pourtant assez marquées :
elles tirent sur le mauve.
Ce qui surprend ,
c’est aussi l’ombre portée du bras
sur l’arrière plan,
placé précisément sur l’axe diagonal du tableau ;
comme si celui-ci était plaqué
sur la surface d’un mur,
donc n’ayant pas l’espace nécessaire
pour qu’il puisse se poser
sans faire une contorsion.
C’est une main féminine,
et le torse, horizontal,
si ç’en est un,
montre un petit grain de beauté
au niveau du pouce :
cela fait un ensemble empreint de douceur,
mais l’arrangement de l’ensemble
ne semble pas tout à fait naturel :
la position rappelle un peu
celle de la main de l’Olympia, de Manet.
Le titre attire notre attention
sur un ruban noir étroit,
noué au niveau du poignet.
C’est un détail,
qui réhausse le côté un peu blafard de la chair;
et on se demande s’il y a un sens particulier,
donné par sa présence:
s’il était placé plus haut,
ou ailleurs,
plus épais, d’une teinte différente.
Si le nœud n’était pas si apparent…,
et s’il n’y avait rien du tout,
seulement son empreinte ?
Comme un ruban du même type
est aussi présent dans l’Olympia,
mais autour du cou, et noir également
c’est une similitude,
comme l’oblique du bras,
qui n’est peut-être pas fortuite ,
et on s’attendrait sur d’autres toiles,
à des rapprochements similaires…
–
Ryan Adams – ténèbres
darkness isn’t anything but the space in between the light

Les ténèbres ne sont pas autre chose que de l’espace entre la lumière
Ryan Adams

Causses – (Susanne Derève)-

.
Ondulant à perte de vue dans la lumière,
les courbes blondes des prairies
griffées de la pierre grise du calcaire,
le sillon brun des labours
et les vertes dolines
.
où le vent frais balaie la chaleur de midi,
berce dans les sous-bois les strates accumulées
d’anciens automnes.
.
Résonne de loin en loin
l’écho d’un pas,
le craquement assourdi du bois mort …
.
Soleil.
Le long dimanche de fiançailles
d’une fin d’été
avant les noces blanches d’hiver.
.
On se prend à rêver de chemins effacés,
de villages engloutis sous la neige,
du tintement des pelles sur les seuils,
de ciels de cire ponctués de fumées grises,
.
comme si l’oubli n’était en toute saison
le cœur de ce pays, son âme claire
sa terre promise
.
Aude Courtiel – des jours des semaines entre un sourire et l’esquive

J’ai guetté les plis sur ta peau.
Des jours des semaines entre un sourire et l’esquive.
Des centimètres de nuages à boire.
Et la peur d’échouer.
Parce que rien ne remplace l’absent.
Que tout pourrait s’arrêter au silence.
Que tu pourrais contourner le vent.
Fermer les fenêtres.
Tapisser l’être.
Pourquoi ne pas enfiler la tombe.
La mort n’est pas le silence.
Tu pourrais aussi passer par les trous dans la porte.
Remettre à plat les plis.
Nommer l’espace.
Du dehors du dedans.
Tamiser le temps.
Avant, maintenant.
J’ai plongé un papier entre tes doutes.
Qui sait si tu l’enveloppes comme un rêve.
Femme à la mer
Combien de temps elle flotte ?
Combien de peaux ?
Des couches
Des plus ou moins vraies
Des plus ou moins fausses
Des promesses
Des effluves
De fauve
Des chiens des chiennes et du velours
À un poil près pointait le bruit du vent
Silence
Encore du temps
À la surface de la lune
Pour soutenir le foutre
Pour dilater la blessure
Prendre le large
À l’horizon qui sait, le chant des sirènes
Combien de temps flotte avant les sirènes ?
Femme marine à deux queues
Envie d’être en soi
En vie d’un toi
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Hais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche
Jusque dans l’Iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Bruit de peaux entre les flammes
Pas de larmes consumées
De cris à l’aveugle
Mais le murmure d’un ruisseau qui fume
Jusque dans la bouche Jusque dans l’iris
Chance
Incandescence
Le désir dilatait le rêve
Est-il encore chaud ?
Gustave Roud – campagne perdue

Sépare-toi de ton double endormi, quitte la chambre du Temps,
le seuil débouche dans une perle!
Nacre et nuit, l’espace gris et rose s’irise et tremble au seul battement de ton désir.
L’espace devient couleur de ta pensée. Tu peux choisir.
L’aube? Le ciel miroite aussitôt comme un ventre de truite.
La nuit d’août? Ce grésillement d’étoiles tout à coup sur le lac d’odeurs
où fermente le vin des roses mortes.
Décembre, si tu veux… La fontaine, sa voix d’été perdue,
coule sans mot dire sous les glaçons,
louche rappel des grelottants réveils d’adolescence.
Tu peux marcher dans l’herbe, dans la neige, cueillir une fleur,
une pomme au jeune pommier Lebel, mâcher le miel des premières violettes
en chassant d’un claquement de mains le corbeau d’octobre
noix au bec à travers l’essaim des feuilles jaunes.
Tu désires l’orage – et l’éclair fend d’un fil de feu la suie et l’argent des nues.
L’étendue n’est qu’un chatoiement du possible autour de tes mains et de tes lèvres.
Murmure pluie! et les molles flèches de l’averse ruisselleront à tes bras nus.
Ta main debout – le soleil flambe aux croupes fumantes des collines…
Tu es le maître de l’espace et le Temps n’est plus pour nous deux
qu’un présent inépuisé.
GR –Une solitude dans les saisons
Dans la république des oiseaux – ( RC )
montage RC
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
Juste tourner la poignée de la fenêtre
pour marcher de plein pied dans l’espace.
Des traits se côtoient,
mais jamais ne s’enchevêtrent.
Les pépiements que j’écoute,
aussi , se superposent.
Je suis rentré dans la république des oiseaux,
( en fait dans un monde sonore
où se croisent les langages
de la nature ).
Quels que soient les plumages,
de bois, de cuivre
ou de simple roseaux
que le souffle entraîne.
Je voisine en musique un merle rieur,
une bécasse, et d’autres espèces
aux couleurs changeantes,
comme dans le catalogue de Messiaen.
Ces oiseaux sont de minuscules étoiles
qui animent le ciel tendu
à mes oreilles :
drap vivant de l’azur perpétué.
Il n’y a pas besoin de clé,
pour passer dans un autre monde:
il suffit , par exemple, d’écouter
Naïma , de Coltrane …
C’est comme une partition de liberté
où les notes filent à toute allure
comme ces hirondelles
dansant leur mélodie.
Qui la leur a apprise ?
Comment se fait-il qu’à chaque fois s’échappe
l’harmonie sans qu’on la rattrape,
quand le musicien improvise ?
Marchant dans le néant – ( RC )

IC356 Pixi Processed based on CCDS data
Avec l’apprivoisement du jour,
les étoiles s’enroulent
dans leur tissu lointain.
Tout est en suspension,
et je vois bien quelques figures,
qui clignotent encore :
la grande et petite ourse,
marchant dans le néant,
piétinant les anges,
avant qu’un bleu sans nuages,
envahisse le ciel,
et dilue le temps,
qui semble avoir
arrêté son mouvement,
sur la page
du manuscrit,
avec les dessins du zodiaque
étrangement liés avec les mois
de la terre,
pourtant , vu de l’espace,
une simple poussière…
–
RC- sept 2019
–
voir aussi la représentation du zodiaque tel que l’a dessiné Albert Dürer:
Zbigniew Herbert – la pierre blanche

Il suffit de fermer les yeux –
mon pas s’éloigne de moi
comme une cloche sourde l’air va l’absorber
et ma voix ma propre voix qui crie de loin
gèle en une pelote de vapeur
mes mains retombent
encerclant la bouche qui crie
le toucher animal aveugle
se retirera au fond
de cavernes sombres et humides
subsistera l’odeur du corps
la cire qui se consume
alors grandit en moi
non la peur ou l’amour
mais une pierre blanche
c’est donc ainsi que s’accomplit
le destin qui nous dessine au miroir d’un bas-relief
je vois le visage concave la poitrine saillante et les coques sourdes des genoux
les pieds dressés une gerbe de doigts secs
plus profonde que la terre le sang
plus touffue que l’arbre
la pierre blanche
plénitude indifférente
mais les yeux crient à nouveau
la pierre recule
c’est à nouveau un grain de sable
noyé sous le cœur
nous absorbons des images nous remplissons le vide
notre voix se mesure avec l’espace
oreilles mains bouche tremblent sous les cascades
dans la coquille des narines vogue
un navire transportant les arômes des Indes
et des arcs-en-ciel fleurissent du ciel aux yeux
attends pierre blanche
il suffit de fermer les yeux
Quelques traits, quelques tiges – ( RC )
Installation Shiaru Shiota
J’ai lancé des traits,
comme on lance un appel dans l’espace.
L’appareil photo a gardé trace de ceux-ci,
mais je n’y suis pas :
trop flou à cause du mouvement,
et de mes habits sombres.
Les traits sont devenus des tiges
avec des fleurs
qui se sont épanouies,
avant de flétrir et de tomber.
Les plantes ont continué de grandir,
et ont traversé le plafond.
Maintenant ce sont des colonnes,
qu’on ne pourrait plus déplacer ;
et c’est déjà un prodige
de pouvoir encore circuler
dans ce rétrécissement de l’espace
où je suis prisonnier.
–
RC – aout 2018
–
cet écrit est inspiré au départ d’une installation de Jacques Vieille, vue il y a longtemps à Lyon, mais dont je n’ai pu retrouver la trace en images… je propose celle-ci à la place…
Et si le vent ne contenait aucune promesse (Susanne Derève)
Granville Redmond Morning on the Pacific
Et si le vent ne contenait aucune promesse
S’il fallait rejoindre la mer
– les rivières ne recèlent qu’un reflet trop pâle
éphémère du temps,
de ce va et vient sur l’estran –
S’il fallait la rejoindre au-delà des estuaires
quand elle se déleste aux confins du rivage
de son trop-plein d’algues et de pierres
de bois flottés de coquillages
Lorsqu’on atteint le large, là est le vent
et sous le vent on largue à la mer
les derniers repères il n’y a plus trace
de ce que l’esprit formait de rêves et
de chimères
Ou plutôt le rêve est là, il vit, il nous précède
Il bondit plus bleu que le bleu des
pigments d’outre-mer
Et si le ciel blanchit c’est simplement
que la lumière l’inonde
et c’est là que s’abrase la plus petite parcelle
de l’esprit rétif, comme à coup de canifs,
à petits coups de langue, un halètement
plaintif
Là, la fête commence, les grandes épousailles
de la mer et du vent, on ne sait plus le dire,
ou peut-être les noces de l’espace et du temps
pour embrasser le vide
et d’y plonger on en est plus avide
d’immensité alors on sait ce n’est pas un vain mot
que la promesse est là de se couler dans le plus petit
interstice entre deux gouttes d’eau, deux esquilles
de vent sous la peau
comme la vague toujours plus haut
Paul Edouard ROSSET-GRANGER « Une vague, étude »
André Henry – ce n’était pas assez
Ils vous ont enlevé vos couteaux, vos lacets,
Vos maisons, vos jardins.
Ce n’était pas assez.
Ils vous ont poursuivis, ils vous ont pourchassés,
Sur vos mains, sur vos pieds,
leurs yeux se sont posés
Pour guetter le non-sens.
Ce n’était pas assez.
Ils ont fermé sur vous
les portes successives.
Ce n’était pas assez.
Vous preniez trop d’espace,
Ils entendaient vos voix, ils entendaient vos pas.
Ils ont poussé sur vous l’ombre
Et les murs
Qu’ils vous avaient laissés.
Ce n’était pas assez.
Ils auraient bien voulu murer vos cris, vos yeux.
Ils auraient bien voulu que vous disparaissiez.
Alberto Giacometti – facettes

— Alberto Giacometti, Écrits, Éditions Hermann, 2007
Catherine Pozzi – Nova
Dillon Samuelson – everything Happens to Someone
Dans un monde au futur du temps où j’ai la vie
Qui ne s’est pas formé dans le ciel d’aujourd’hui,
Au plus nouvel espace où le vouloir dévie
Au plus nouveau moment de l’astre que je fuis
Tu vivras, ma splendeur, mon malheur, ma survie
Mon plus extrême cœur fait du sang que je suis,
Mon souffle, mon toucher, mon regard, mon envie,
Mon plus terrestre bien perdu pour l’infini.
Évite l’avenir, Image poursuivie !
Je suis morte de vous, ô mes actes chéris
Ne sois pas défais toi dissipe toi délie
Dénonce le désir que je n’ai pas choisi.
N’accomplis pas mon jour, âme de ma folie, —
Délaisse le destin que je n’ai pas fini .
Ouvert sur l’infini – ( RC )
C’est ouvert sur l’infini,
d’une belle transparence ;
il y a le scintillement des étoiles,
une cascade d’astres ( ils ne tombent pas ) .
Cela ruisselle comme une eau,
à travers un ciel qui n’a pas de limite.
Le regard porte loin, et s’il le faut
on s’aide d’engins perfectionnés.
Des télescopes qui nous font découvrir,
cachés, des mondes palpitant par leurs ondes,
des signaux imperceptibles,
qui font supposer que d’autres mondes
se cachent derrière .
Mais quelles que soient les inventions,
les artifices pour voir plus loin,
plus précisément, dévoiler le secret des dieux,
on se heurte à des obstacles invisibles,
et qui pourtant n’obscurcissent pas la vue ….
car l’univers n’a pas de bornes,
et ce qui nous est donné à percevoir,
n’est qu’une infime partie ,
physiquement limité par l’étroitesse de la finitude,
qui se confronte à l’inversion des choses,
de la même façon que le concevable
s’oppose à l’inconcevable ,
à l’intérieur même de la pensée .
Et si on parle de vision,
malgré la transparence – que l’on pense acquise
l’image des astres – que l’on croit immobiles,
et de la lumière – son parcours rectiligne,
le regard bute contre le ciel
quelles que soient les distances,
et de quelque façon qu’on les repousse,
qu’on les envisage, encore :
celui-ci aspire l’âme,
et, à défaut, devient métaphysique ,
se fondant dans le rêve de l’espace ,
que même la conscience
ne peut conquérir .
–
RC – août 2017
( une tentative de réponse au texte d’ Anna Jouy )
Sculpteur de poème – ( RC )
sculpture Jaume Plensa Yorkshire park
–
Tu t’imagines sculpteur
en travaillant le volume d’un poème….
Tu as à ta disposition,
comme celui du métier,
une matière malléable
qui serait comme la terre glaise
avec laquelle tu modèles tes idées.
Elles peuvent prendre toute forme
et le dire , en être rugueux
ou volontairement lisse,
selon le choix des verbes.
Tu travailles rapidement,
rajoutes, enlèves, soudes,
crées les espaces nécessaires,
associes les nuances,
se froissant même,
au parcours des sons.
Tourne donc autour de ta sculpture :
tu l’envisages sous un autre angle,
évidant les mots,
multipliant les arabesques.
Regarde l’ombre portée des phrases.
Creuse encore, où les sonorités s’affrontent ;
Imagine d’autres couleurs,
portées par d’autres voix.
Comment respire l’ensemble,
s’il se dilate avec le souffle,
s’il a la fluidité d’un marbre poli.
Il se nourrit de lumières et d’ombres
au foisonnement des images :
métaphores cristallisant l’imagination
avec la magie des vers:
le poème vibrant de son propre espace.
–
RC – mai 2017
Mouvements figés – ( RC )
photographe non identifié
Mouvements de la main
tendue, vers toi
contre la surface
que je ne peux franchir.
Mouvements de la lumière,
s’accrochant à moi,
c’est ainsi
que tu me vois
Mouvements du jour,
plaqués sur l’image :
un mur sans fissure
s’emparant de l’espace .
Mouvement figé,
immobilisé de même ,
ne pouvant dépasser,
le rectangle de la photo.
Mouvement du regard :
il va vers toi, et toi vers moi,
mais il y a le mur,
infranchissable des pixels .
–
RC – oct 2017
Pierre Reverdy – Mémoire
Une minute à peine
Et je suis revenu
De tout ce qui passait je n’ai rien retenu
Un point
Le ciel grandi
Et au dernier moment
La lanterne qui passe
Le pas que l’on entend
Quelqu’un s’arrête entre tout ce qui marche
On laisse aller le monde
Et ce qu’il y a dedans
Les lumières qui dansent
Et l’ombre qui s’étend
Il y a plus d’espace
En regardant devant
Une cage où bondit un animal vivant
La poitrine et les bras faisaient le même geste
Une femme riait
En renversant la tête
Et celui qui venait nous avait confondus
Nous étions tous les trois sans nous connaître
Et nous formions déjà
Un monde plein d’espoir
Pierre Reverdy
Les ardoises du toit,
: La plupart du temps (coll. Poésie/Gallimard, 1989)
C’est pour celà que tu l’as reconnue – ( RC )
–
Que se passe-t-il, une fois retraversé le temps ?
Ou plutôt que le temps nous ait retraversé.
Tu as enfoui dans ta mémoire un évènement
vécu dans ta jeunesse… oh, rien de spectaculaire :
une impression, un bruit, une odeur , une image.
Et tout cela s’est transformé en une petite boule invisible,
une graine, comme il doit y en avoir tant d’autres.
Puis un jour tu es revenu au même endroit,
et ces impressions, ces odeurs, identiques
sont venues te traverser, comme si tu étais passé
de l’autre côté d’une surface, qui serait venue
s’interposer, entre ce que tu étais
et ce que tu es aujourd’hui.
Tu saisis une limite mystérieuse,
qui n’a pas de consistance,
encore moins que celle du tain d’une glace
où tu sembles regarder un autre toi-même
avec lequel tu serais prêt à dialoguer.
Bien entendu, d’autres morceaux d’existence ,
d’autres graines seraient prêtes à éclore,
si les circonstances s’y prêtent…
en fait il suffirait de plonger au plus profond de soi,
que l’espace qui nous en sépare se dissolve .
Çà peut arriver. C’est une sorte de réminiscence,
qui franchit des limites mystérieuses.
Mais plus encore, quand ces impressions,
une fois exprimées, sont aussi partagées par d’autres .
comme si elles n’avaient plus d’hier ni demeure ,
comme si on passait en-dehors de notre enveloppe,
à travers soi, pour rejoindre l’autre personne :
elle a peut-être vécu sur un rythme aux phases identiques
quelque part, elle s’est égarée dans les mêmes labyrinthes.
C’est pour celà que tu l’as reconnue.
–
RC – avr 2017